Les récents bouleversements sur le marché des cryptoactifs ont remis en perspective les risques et les opportunités de ce type d’actif dématérialisé. Alors que l’Union européenne étoffe son cadre réglementaire avec l’entrée en application des directives MiCA et MiFID II, Pierre-Olivier Bernard, avocat et associé fondateur du cabinet Opleo revient sur les enjeux de ces actifs pour les entrepreneurs, actionnaires de référence ou investisseurs qu’il accompagne.
Pierre-Olivier Bernard (Opleo) : “On ne peut plus parler du marché de l’art sans parler de blockchain"
Décideurs. Comment le cabinet s’est il emparé du sujet des cryptoactifs ?
Pierre-Olivier Bernard. Historiquement, il est inscrit dans l’ADN d’Opleo Avocats d’être centré sur les besoins de nos clients. Ces dernières années, nous avons observé une dématérialisation des instruments financiers dédiés à leur patrimoine privé et professionnel. Les jeunes générations de dirigeants que nous accompagnons possèdent des cryptoactifs. La question s’est alors posée de la structuration des donations et des droits de succession avec ce type d’instrument financier dématérialisé. Nous avons aussi toujours beaucoup travaillé sur le marché de l’art, or, avec l’explosion récente des NFT, on ne peut plus parler du marché de l’art sans parler de blockchain. Au regard de la typologie d’actifs que possèdent nos clients, nous avons été amenés à sécuriser des NFT. L’évolution de la réglementation européenne, avec l’arrivée des directives MiFID 2 et MiCA, nous a également permis de travailler à la création de nouveaux produits et à considérer ces actifs comme des biens. Aujourd’hui, nous traitons les cryptoactifs dans le cadre de transmissions, de création de valeur et de leur sécurisation.
"L’année 2022 a marqué le début d’une accalmie pour tout l’écosystème"
Quelles tendances observez-vous en matière de transaction de cryptoactifs ?
Après un engouement global autour des cryptoactifs, notamment après la crise du Covid, l’année 2022 a marqué le début d’une accalmie pour tout l’écosystème. La chute de FTX en novembre de la même année a remis en question la confiance des investisseurs dans ce type d’instruments financiers dématérialisés, une partie des clients de la plateforme n’ayant pas pu récupérer leurs fonds. Cet événement a remis au premier plan la question de la réglementation et de la sécurisation des actifs. En Europe, l’Allemagne et la France sont d’ailleurs précurseurs en matière de réglementation des cryptoactifs. L’arrivée de MiFID 2 et MiCA a justement vocation à répondre aux besoins de protection des investisseurs et à étoffer le cadre des transactions entre les futurs acteurs du secteur. La question de la sécurisation du minage des cryptomonnaies est aussi un enjeu majeur. Aujourd’hui les fermes de minage, chargées de valider les transactions en cryptoactifs, sont pour la plupart basées dans les pays de l’Est, où le coût de l’énergie était traditionnellement faible. Les ordinateurs qui servent au minage étant très consommateurs d’énergie, avec l’augmentation généralisée du coût de l’électricité et les tensions géopolitiques à l’Est, la sécurité de l’activité et des données de minage devient un sujet essentiel. À l’avenir, la réglementation européenne devra intégrer ces questions, en plus de la qualification du salaire des mineurs.
"Les jeunes générations d’entrepreneurs sont intéressées par ce type d’actif en raison de leurs possibilités de diversification"
Quels avantages présentent les tokens pour un dirigeant ?
Les tokens se distinguent en plusieurs catégories, dont les security tokens qui permettent aux entrepreneurs de placer des fonds, et de constituer des paniers et donc de diversifier leurs investissements. Puis les utility tokens, qui n’ont pas de valeur faciale mais permettent l’accès à un service. Il y a aussi les fameux NFT, qui garantissent la propriété d’un actif numérique. Les jeunes générations d’entrepreneurs sont intéressées par ce type d’actif en raison de leurs possibilités de diversification. Dans le cas des NFT, les tokens facilitent aussi la certification d’oeuvre et donc leur circulation. Le flou réglementaire qui entourait ce type de cryptoactif a joué en faveur des tokens pendant un temps.
Quels sont les risques ?
L’absence de frontières du système crée une opacité quant aux règles applicables. Les security tokens, par exemple, peuvent relever d’un appel public à l’épargne qui, en fonction de la juridiction, n’est pas soumis aux mêmes contraintes. Dans ce cas, le risque est de voir son investissement caractérisé en détournement ou malversation. Dans le cas de rémunération en cryptomonnaie, il y a un risque lors de la conversion si les cours dévissent. Une entreprise qui rémunère ses salariés en cryptoactifs pourrait ne plus être en mesure de faire face à ses paiements malgré une activité prospère. C’est un enjeu pour les experts-comptables qui vont devoir provisionner ce type de risques.
À l’avenir, n’importe quel actif pourrait il être "tokenisable" ?
Non, et ce, malgré la dématérialisation croissante des actifs financiers. Les valeurs mobilières, interchangeables sur des marchés financiers auront toutes, un jour, la capacité d’être qualifiées en tokens, en revanche, il ne pourra pas y avoir de tokenisation des biens immeubles.
Propos recueillis par Céline Toni