Les associés en fiscalité, Pauline Corouge et Arnaud Viard du cabinet PGA reviennent sur l’arrêt du 5 juin 2023 rendu par le Conseil d’État relatif au management package. Ils nous apportent leur éclairage sur cette récente jurisprudence qui apporte une timide perspective sur celle de juillet 2021 à prendre en considération lors de la mise en place de LBO.

Décideurs. Pouvez-vous rappeler l’intérêt de l’arrêt du 5 juin 2023 ?

Pauline Corouge. À la suite des arrêts du 13 juillet 2021, le monde de la fiscalité et des LBO a été relativement bouleversé par ce rebondissement. Depuis deux ans, nous attendons tous des précisions concrètes qui seraient apportées par la jurisprudence ou par la voie législative. Cet arrêt du 5 juin 2023 a immédiatement suscité notre intérêt mais force est de constater qu’il ne résout pas les problématiques que nous rencontrons, liées notamment à l’interprétation de certains dispositifs non légaux et à la qualification des gains réalisés lors de la cession d’actions de société par un salarié ou un mandataire. On espérait une décision plus engagée et partisane. Si cet arrêt brosse les critères retenus pour aboutir à la qualification du gain en plus-value (et non en salaire), il s’agit d’un cas d’espèce et de faits particuliers. On attendra cependant avec un intérêt modeste l’arrêt de renvoi.

Arnaud Viard. Nous attendons avec impatience le projet de loi qui donnera un cadre fiscal au co-investissement des managers dans les opérations de LBO. Il était question d’une taxation similaire de tous les gains avec un taux prédéfini à l’avance afin d’obtenir une certaine harmonisation. Ce pourrait être une solution. Nous espérons vivement, comme tous les acteurs du marché qui pratiquent le LBO et le PE, qu’une position claire pourra être trouvée rapidement afin de supprimer cette épée de Damoclès de requalification fiscale des gains de cession d’actions.

"La transmission de titres se prépare bien en amont" Arnaud Viard

Qu’en est-il de l’imposition des gains résultant des apports de titres souscrits en exercice de BSPCE ?

P. C. L’administration apporte des précisions sur les modalités d’imposition des gains résultant de l’apport de titres souscrits en exercice de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise et considère en particulier que de tels gains ne peuvent bénéficier du sursis d’imposition. Le gain net réalisé par le bénéficiaire de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), attribués à des salariés ou dirigeants d’une société en considération de leurs fonctions ou de leur qualité de mandataire social, lors de la cession des titres souscrits en exercice de ces bons est soumis à un régime fiscal de faveur « ad hoc » prévu par l’article 163 bis G du CGI. Il est, en principe, imposé à l’impôt sur le revenu comme plus-value de cession de valeurs mobilières « dans les conditions prévues à l’article 150-0 A et aux 1 ou 2 de l’article 200 A » du CGI. L’administration fiscale affirme que le gain résultant de l’apport de titres souscrits en exercice de BSPCE ne peut bénéficier du mécanisme du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du CGI et précise que le gain résultant de l’apport de titres reçus en exercice des BSPCE doit être imposé au titre de l’année de l’apport en vertu de l’article 163 bis G du CGI.

A. V. Ces précisions traduisent une position de l’administration fiscale très sévère qui contraste avec les annonces du gouvernement. L’administration fiscale taxe lourdement les dirigeants et les managers alors que nous sommes censés être dans un mouvement qui favorise l’actionnariat salarié. Cette nouvelle position administrative soulève un réel problème de liquidité, puisque le salarié en question n’a pas forcément le cash nécessaire pour payer l’impôt au moment de l’apport. La vente en question n’entraîne pas une contrepartie en cash mais en titres, d’où la difficulté de payer cet impôt. Voilà l’incohérence; la dissonance existe entre une posture du gouvernement avec des projets de loi assez favorables à l’actionnariat salarié et la sévérité de l’administration fiscale. Cette dernière n’est pas allée au bout de son raisonnement.

"On espérait une décision plus engagée et partisane" Pauline Corouge

Pouvez-vous revenir sur l’arrêt du 11 mai 2023 sur la holding animatrice et le pacte Dutreil et nous énoncer les différents apports de cette jurisprudence ?

A. V. Rappelons que le pacte Dutreil permet de bénéficier d’un abattement de 75 % de la valeur des titres transmis, s’agissant des droits de mutation, sans limitation de montant. Grâce à cet arrêt, la Cour de cassation précise que pour bénéficier du dispositif Dutreil, la qualité d’animatrice de la holding doit être caractérisée de manière concrète au jour de la donation-partage et également en amont de l’opération.

P. C. La qualification de holding animatrice, assimilée à une société exerçant une activité opérationnelle a été progressive. C’est au fil des années et des dispositifs que la qualification s’est dessiné. Aujourd’hui, cette appréciation et analyse s’effectuent au cas par cas, in concreto à l’aide d’un faisceau d’indices. Chaque fois, il s’agit de critères factuels, afin de démontrer le caractère animateur de la société.

A. V. Il existe une différence de traitement entre une société opérationnelle et la holding animatrice, ce qui n’est pas très logique puisque pour cette dernière on exige une activité réelle antérieure à la donation-partage. Or, les titres d’une société opérationnelle peuvent, quant à eux, être pactés dès la création de la société. Il existe une distorsion. Pour cela, la signature d’un engagement de conservation suivie d’une donation de titres de sociétés holdings ne doivent pas être pris à la légère. Ils doivent au contraire être organisés, structurés pour éviter les écueils fiscaux. Cette position nous oblige à sensibiliser fortement nos clients en précisant que la transmission se prépare bien en amont et pas seulement deux mois avant une cession.

Propos recueillis par Laura Guetta

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