Placée en redressement judiciaire, l’aciérie d’Ascoval dans le Nord, devient le théâtre d’une lutte des ouvriers, de la direction, et des responsables syndicaux pour sauver leur usine mais aussi l’avenir de la sidérurgie en France. Ce documentaire, signé Eric Guéret, met en lumière les coulisses d’un dialogue social lors d’une procédure collective.
Le feu sacré, épopée d’un redressement judiciaire
Saint-Saulve, commune située dans les Hauts-de-France, abrite en 2017 l’une des aciéries les plus modernes d’Europe. Créée en 1975 par Vallourec, l’usine qui emploie près de 300 salariés vient d’être refaite et fabrique de l’acier à partir de ferraille recyclée. Une stratégie de développement durable qui ne suffit pas à la sauver. Le groupe Vallourec, actionnaire principal, perd des débouchés dans un contexte de contraction du marché pétrolier. Si Ascoval est rentable, ce n’est qu’un petit maillon de la chaîne de ce grand groupe du CAC 40. Pour ajuster la production et maintenir la confiance des investisseurs, l’usine est plus facile à mettre en liquidation que les autres actifs du groupe. La décision de fermeture du site est annoncée, mais les salariés n’entendent pas baisser les bras.
En immersion
C’est dans ce contexte qu’Éric Guéret pose ses caméras. Le réalisateur a l’habitude de filmer des combats collectifs, comme dans ses précédents documentaires, Greenpeace : Opération plutonium ou encore Tous ensemble ou il y suit des syndicalistes de la CGT. Dans Le feu sacré, il réplique son modèle et filme en immersion dans l’usine, au plus près des salariés et de la direction mais aussi des pouvoirs publics. Bruno Le Maire, Xavier Bertrand ou encore Agnès Pannier-Runacher, actuelle ministre de la Transition énergétique, alors ministre déléguée en charge de l’Industrie, apparaissent à l’écran.
L’industrie française à l’heure de la relocalisation
La mondialisation de l’industrie est en toile de fond du documentaire qui ne l’aborde par frontalement. On comprend pourtant que la menace vient d’usines lointaines, en Asie ou Amérique du Sud où Vallourec investit dans une branche brésilienne. Si quelques candidats repreneurs sont français, beaucoup de dossiers viennent de pays étrangers comme l’Iran, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Le coût du travail et les acquis sociaux du site français sont au cœur de débats entre repreneurs et l’équipe d’Ascoval. "Vous démolissez la paix sociale de l’entreprise", invective un représentant syndical lors d’une réunion face au premier repreneur Altifort. Il lui répondra que les accords historiques de l’entreprise ne lui permettent plus d’être compétitive. Désigné par le tribunal de commerce, le groupe se révélera, au bout d’un mois, incapable d'apporter les fonds prévus. Mais l’histoire ne s’arrête pas là pour autant. Convaincus que la production d’acier a encore sa place dans le Nord, et que le niveau de qualification des ouvriers a de la valeur, la bataille du chef d’entreprise et des équipes continue.
Le feu sacré réussit la prouesse de rendre perceptible le suspense et l’émotion d’une procédure collective.
L’épopée d’un redressement judiciaire
Le feu sacré réussit la prouesse de rendre perceptible le suspense et l’émotion d’une procédure collective. L’accent mis sur les moments de dialogue entre salariés et représentants syndicaux ou entre le chef d’entreprise et l’administrateur judiciaire, permet de saisir l’importance de la force du collectif dans ces situations de crise. Le documentaire montre une véritable bataille menée de front par toutes les parties prenantes convaincues par la valeur d’Ascoval pour ses salariés, pour l’industrie française et pour une économie plus durable. En filigrane, des soupçons de relations d’influence entre le groupe du CAC 40 et Bercy à la suite de décisions d’écarter des repreneurs. Un cabinet de conseil, Roland Berger, sera d’ailleurs mandaté après que le délégué interministériel aux restructurations de l’époque ait été écarté du dossier. La réalisation, qui s’articule autour du calendrier des 18 mois de procédure fait la part belle au manque de sommeil, aux larmes, aux moments de doute. À l’image, on reste accroché aux inquiétantes ombres des ouvriers en casaque de protection et au spectacle de l’acier en combustion. Le feu sacré est celui de ces flammes mais aussi celui qui anime cette force collective documentée avec beaucoup de lucidité.
Céline Toni