De l’essor des "GP Stake" à l’accélération de leur commercialisation, les fonds rencontrent aujourd’hui des problématiques de financement, de distribution et de communication. Nouvelles pour l’industrie française de la gestion d’actifs, elles sont pourtant communes à n’importe quelle PME ou entreprise du CAC 40. Autant de mécanismes qui poussent les fonds à développer des logiques de marque.

Fin 2021, Laurent Bénard et Dominique Gaillard, deux figures du private equity, quittaient la direction de Capza, une des plus anciennes maisons de financement par dette privée, pour lancer Armen, leur propre fonds GP Stake – une prise de participation minoritaire au capital de sociétés de gestion – et le premier en Europe. Cas d’espèce, l’opération permet de comprendre les tendances qui traversent la gestion d’actifs en France. Depuis, le véhicule a fait son chemin et investi dans plusieurs sociétés de gestion, RGreen ou encore Private Corner, dont Armen a acquis 30 % en mai dernier. Qu’il s’agisse de GP Stake, ou encore d’introduction en Bourse, comme celle d’Antin Infrastructure Partners en 2021, pour se financer, les fonds d’investissement ont aujourd’hui un accès aux capitaux comparable à celui d’une entreprise. Des possibilités qui les transforment en une classe d’actifs comparable aux participations de leur portefeuille. "Pendant longtemps, c’était une classe d’actif très confidentielle. Aujourd’hui on voit beaucoup plus de fonds, on en entend davantage parler, ils sont plus nombreux, plus importants et couvrent des actifs plus larges, ils ne sont plus fermés à un milieu de financiers", explique Sarah Michel, avocate associée au sein du pôle Private equity du cabinet américain Goodwin.

Une tendance venue des États-Unis

"Le GP Stake est une tendance récente en France et en Europe mais plus ancienne aux États-Unis. Historiquement ce mode d’investissement était réservé aux fonds large-cap, aujourd’hui nous voyons également des offres visées des fonds upper- mid-cap", complète Sarah Michel. Parmi les stars des GP stake outre-Atlantique, on compte Dyal Capital Partners créé en 2010 ou encore Goldman Sachs à travers sa filiale Petershill Partners, lancée en 2007. Des gestionnaires tellement installés, qu’ils investissent le Vieux Continent. En témoigne l’entrée au capital du français PAI par Blue Owl, à hauteur de 15 à 20 % du capital en 2022. Une opération de GP Stake qui en présage d’autres, alors que l’accès aux capitaux se révèle plus difficile. Pour Sarah Michel, "Il s’agit d’une évolution particulièrement intéressante. Au regard du contexte macroéconomique et géopolitique complexe qui influence les levées de capitaux, les sociétés de gestion trouvent des ressources alternatives pour se développer, ce que permettent des investisseurs financiers minoritaires comme le sont les GP Stakes".

"Les investisseurs institutionnels continuent à allouer des ressources significatives dans l’investissement non coté et ne souhaitent plus – ou ne peuvent plus – gérer une multitude de GP" N. de Nazelle, associé-gérant, Amala Partners

Popularisation du private equity

Avec la démocratisation de l’accès des acteurs privés au capital-investissement, les gestionnaires d’actifs sont poussés à développer leurs marques. En 2016, la loi Macron autorise l’intégration de fonds de private equity au sein de l’assurance-vie française avec un seuil de 10 % de la valeur du contrat. Il disparaîtra en 2019 avec la loi Pacte, qui contribuera à rendre plus liquide l’investissement privé dans des ETI et PME. Un rapprochement entre l’épargnant et l’entreprise qui a encouragé la popularisation des sociétés de gestion et donc la nécessité de consolider leurs offres et leur distribution. « Il y a une dizaine d’années, un gérant de private equity, un GP, proposait une stratégie unique, souvent dans un seul pays à travers des fonds qu’il levait tous les 3 ou 4 ans. La diversification incombait aux investisseurs institutionnels, les LP, pas au gérant. Aujourd’hui un mouvement inverse s’opère : les investisseurs institutionnels continuent à allouer des ressources significatives dans l’investissement non coté et ne souhaitent plus – ou ne peuvent plus – gérer une multitude de GP. Pour ces LP, la concentration de leurs relations avec quelques gérants qui offrent plusieurs fonds est plus efficace. C’est cette tendance qui a engendré une "plateformisation du private equity".", détaille Nicolas de Nazelle, associé-gérant chez Amala Partners.

Un phénomène qui se traduit dans les chiffres. D’après une étude de Roland Berger avec l’appui de Bpifrance, entre 2007 et 2017, près de 40 % des sociétés de gestion mono-produits ont fait évoluer leur stratégie vers un modèle de plateforme d’investissement, en créant de nouvelles lignes ou en se rapprochant d’autres fonds. Notons également que l’augmentation des coûts de gestion des fonds les poussent à créer des économies d’échelle : "Gérer un fonds de private equity en 2023 coûte plus cher qu’en 2003. Il y a davantage de demandes de la part des LP et des autorités de régulation : RCCI, reporting plus complets, suivi des demandes des investisseurs, et, depuis quelques années, l’amélioration des sujets de RSE. Cela nécessite des ressources qui peuvent être mutualisées dans une plateforme ", complète Nicolas de Nazelle.

Les stratégies de multiplication des canaux de distribution s’inscrivent dans la continuité des mesures lancées par les pouvoirs publics pour orienter l’épargne des ménages vers le financement de l’économie réelle

Retailisation

Si l’expression provient d’outre-Atlantique, la "retailisation" concerne aujourd’hui les marchés européens. Désormais, les stratégies de multiplication des canaux de distribution s’inscrivent dans la continuité des mesures lancées par les pouvoirs publics pour orienter l’épargne des ménages vers le financement de l’économie réelle. Côté souscripteurs, les taux bas des dernières décennies ont accentué l’intérêt des investisseurs privés pour le capital-investissement, les gestionnaires de fonds démontrant leur capacité à diversifier des portefeuilles et à générer des rendements supérieurs. En 2022, d’après France Invest, l’association des professionnels du capital-investissement, le TRI net était de 12,3 % contre 10 % en 2015. En parallèle, les particuliers et les family offices pesaient 4,8 milliards d’euros soit 19 % des montants levés (en tenant compte des levées en unités de compte à travers l’assurance-vie) contre 13 % en 2019. Pour Nicolas de Nazelle : "La distribution des fonds de private equity à un public plus large accélère le mouvement de la plateformisation. Les sociétés de gestion doivent investir significativement dans la distribution de leurs produits mais également dans leur "marque" afin de renforcer leur notoriété auprès d’un public constitué de plus en plus d’acteurs privés. Là encore, l’effet de taille joue à la fois en termes de visibilité et de mutualisation des coûts". Un cercle vertueux – ou vicieux – en fonction des fonds qui réussissent à bâtir une plateforme de marque pour tirer leur épingle du jeu.

"ELTIF II sera un nouvel outil de démocratisation du private equity" S. Michel, avocate associée, Goodwin 

Un mouvement à l’échelle européenne

Alors que l’enjeu de distribution d’actifs accroît la nécessité de se démarquer, l’arrivée du règlement européen "ELTIF II" pousse la logique à l’échelle européenne. Le règlement entrera en vigueur en 2024 et ouvre les fonds alternatifs (private equity, private debt et real asset) aux investisseurs de détail dans toute l’Europe. L’objectif des institutions européennes est le même : stimuler l’économie du Vieux Continent en permettant aux investisseurs particuliers d’accéder à des actifs privés tels que des projets d’infrastructures des petites et moyennes entreprises, souvent familiales et toujours non cotées. Parmi les évolutions notables d’ELTIF II, la suppression du ticket d’entrée de 10 000 € et l’abaissement à 55 % du quota minimum investi en actifs éligibles. Pour Sarah Michel : "ELTIF II sera un nouvel outil de démocratisation du private equity. Les fonds qui obtiendront le label pourront davantage accepter une clientèle retail dans [leur] fonds. Ce règlement contribuera à accélérer le rôle des fonds dans l’économie européenne et leur popularité auprès du grand public".

L’engouement pour le private equity a accru le besoin pour les sociétés de gestion de muscler leurs offres pour se différencier dans un marché de plus en plus accessible

ESG, communication, marketing, relations investisseurs

L’engouement pour le private equity a accru le besoin pour les sociétés de gestion de muscler leurs offres pour se différencier dans un marché de plus en plus accessible. "Les sociétés de gestion ont vu naître le besoin de s’armer en relations investisseurs et en marketing, qui historiquement étaient les parents pauvres du private equity. Aujourd’hui, elles ont conscience qu’il faut investir dans ces fonctions dites "de support" qui deviennent aussi centrales que la qualité des équipes d’investissement", précise Nicolas de Nazelle. En conséquence, les profils ont changé au sein des équipes. Les professionnels en charge des relations investisseurs ont pris de plus en plus de place et sont de plus en plus recherchés par les sociétés de gestion. En outre, les fonds développent des offres qui répondent de plus en plus à des objectifs sociaux et environnementaux. Ces dernières années, le marché a vu naître des véhicules de capital-développement dédiés à l’entrepreneuriat féminin, aux énergies renouvelables ou encore à l’agriculture durable. Une offre qui se veut responsable en plus d’être différenciante. Côté capital-investissement, la communication extra-financière est d’ailleurs devenue un tel enjeu de marque pour les sociétés de gestion, que L’AMF s’est lancé dans une lutte active contre le greenwashing. Le gendarme des marchés financiers imposant aux sociétés de gestion une publicité "claire, exacte et non trompeuse" face à l’accroissement spectaculaire de la communication extra-financière.

Des marques d’intermédiaires financiers

Un exemple de réglementation qui rappelle que même si les fonds tendent à se développer en marques, ils ne sont pas pour autant des entreprises comme les autres. Agréées et réglementées par l’AMF, les sociétés financières répondent à des obligations qui leur sont propres. Quant à la démocratisation de l’accès aux offres de private equity, Jean-Christel Trabarel, CEO de Jasmin Capital – société de conseil spécialisée dans l’accompagnement des fonds – rappelle qu’"élargir sa typologie de souscripteurs s’inscrit dans une logique normale de diversification. Avoir une offre retail correspond à cette stratégie de diversité, avec une nécessité d’être en phase avec la réglementation assez soutenue pour faire souscrire les particuliers, car les fonds ne sont pas tout à fait des entreprises comme les autres". Les sociétés de gestion ont beau être plus nombreuses, plus présentes, plus accessibles, les tendances qui traversent la classe d’actifs témoignent surtout de la place croissante qu’elles ont pris dans le financement de l’économie.

Céline Toni

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