Sébastien Dalle et Arthur Wastyn sont associés au sein des activités Deals de PwC. Tous deux reviennent sur une caractéristique de ces dernières années : l’accès particulièrement facile au financement par les entreprises. Politique monétaire expansive, taux bas et plans de soutien publics ont permis d’obtenir des financements bon marché sans avoir à répondre à de trop nombreuses questions des investisseurs. Dans une nouvelle conjoncture moins facile, ils proposent quelques éléments de feuille de route pour les managers.

L’abondance de capital bon marché a permis aux entreprises en bonne santé de réduire leurs coûts de financement et de réaliser des profits records, aux entreprises plus fragiles de se refinancer « cahin-caha », et aux start-up de se développer, souvent très loin des contraintes de génération de trésorerie. La donne change depuis mi-2022, avec des investisseurs de plus en plus sélectifs, en réaction aux événements géopolitiques, à leurs conséquences sur les coûts de l’énergie et les primes de risque, et plus généralement à un contexte macroéconomique difficilement lisible. Cette sélectivité accrue des investisseurs est de surcroît procyclique : en questionnant (légitimement) les perspectives de certains acteurs ou secteurs, ils contribuent à tarir les financements et aggraver les difficultés. 

Les entreprises vont donc probablement subir dans les prochaines années un rattrapage de la « sélection naturelle » à l’œuvre dans l’économie, en partie disparue ces dernières années. Là encore, le processus risque d’être procyclique, car les défaillances de certaines entreprises pourront en affaiblir d’autres. Dans ce contexte, agilité de l’entreprise et confiance des investisseurs sont critiques:  

  • Agilité dans une conjoncture hyper-volatile : les perspectives évoluent constamment, impliquant de s’ajuster en quelques semaines à des changements profonds et réguliers sur les fronts des prix, du niveau de la demande, des contraintes de supply chains et de la disponibilité des talents.
  • Confiance des investisseurs : tout l’enjeu est d’accompagner les partenaires financiers de l’entreprise afin qu’ils puissent faire la part entre les difficultés conjoncturelles et structurelles, celles qui sont réparables ou irréparables, sur la capacité du management à affronter la tempête, et enfin sur le caractère crédible des prévisions qui leur sont adressées. 

Sur la base de nos relations historiques avec de nombreux entrepreneurs et managers dans ce type de situations, nous proposons quelques contributions à leur feuille de route : 

1. Soyez positif, mais sans naïveté. L’environnement général est encore relativement porteur. Cependant, il y a suffisamment de signaux d’alerte pour que les entreprises se préparent à une série de macro et micro-scénarios. Soyez positif, mais sans naïveté quant à la détérioration de votre environnement. L’un des principaux enseignements que nous avons tiré des cycles économiques ou des chocs précédents est que beaucoup ne veulent voir que les scénarios optimistes et les meilleurs. En sous estimant la probabilité des scénarios défavorables (par exemple une inflation soutenue des matières ou de l’énergie), ils négligent de se préparer.

2. La gestion active de la trésorerie revient à la mode. Dans un environnement où le capital est plus rare et plus cher, nous constatons que la gestion active de la trésorerie (et de son meilleur ennemi, le BFR) est de nouveau en vogue. Nous n’avons pas vu ce niveau d’attention depuis 2012 − et particulièrement pendant ces dernières années d’argent facilement accessible et pratiquement gratuit. Tous les maillons de la supply chain qui le peuvent sont en train de reconsidérer leurs conditions de BFR, au détriment des maillons les plus faibles ou les moins proactifs. Le défi pour les entreprises est que beaucoup sont mal équipées dans les trois principaux domaines nécessaires pour gérer et améliorer la trésorerie : la culture, la méthode et la motivation durable des managers et des équipes. Des habitudes se sont installées et doivent être corrigées. Nous continuerons à nous concentrer sur ces domaines en appui des entreprises car la trésorerie est l’oxygène qui insuffle la vie à tout redressement ou transformation réussi. 

"Identifiez les talents et développez des incitations appropriées pour chacun. Chaque génération, chaque salarié, peut avoir des motivations différentes."

3. Plus que jamais, vous avez besoin d’excellence dans vos équipes. Une communication régulière, claire et transparente avec vos équipes est essentielle pour stimuler l’engagement et instaurer la confiance. Identifiez les talents et développez des incitations appropriées pour chacun. Chaque génération, chaque salarié, peut avoir des motivations différentes. Retenir et motiver une base d’équipe talentueuse et diversifiée est essentiel pour votre avenir et vous procure un avantage opérationnel, surtout par gros temps. 

4. Communiquer régulièrement avec toutes les parties prenantes: Identifiez et gérez vos relations avec les principales parties prenantes; évaluez l’impact probable de l’incertitude sur elles; assurez-vous de comprendre leurs agendas − y compris leur potentiel d’activisme ou de nuisance. La perception devient souvent réalité, il est donc essentiel de maintenir un dialogue régulier et ouvert pour entretenir la confiance. 

5. Soyez clair sur le cap à tenir et ses variations éventuelles. Les redressements d’entreprises sont complexes, difficiles et nécessitent souvent des inflexions à court terme. Si l’action immédiate est une bonne chose, il est tout aussi important, pendant la phase de transition, de savoir où l’on veut arriver dans trois à cinq ans. 

Les salariés et les parties prenantes ont besoin d’un horizon pour les guider dans la transition, d’autant plus que les périodes de changement peuvent exiger des concessions de leur part. Changer le business model de l’entreprise implique de pouvoir démontrer la résistance du nouveau modèle à l’épreuve du temps, et l’alignement sur les horizons d’investissement des investisseurs. Tenez compte de l’impact, réel ou attendu à terme, des grandes tendances telles que la technologie, les relocalisations, la décarbonation, les questions éthiques, sociales et de gouvernance. 

6. Continuez à planifier l’avenir : ne sacrifiez pas l’innovation, investissez dans les domaines de croissance ; maintenez les engagements ESG/CO2 ; n’oubliez pas votre marque. Optimisez votre bilan pour vous permettre de saisir les opportunités de manière proactive, qui souvent ne manquent pas en période chahutée. 

En synthèse : concentrez-vous sur ce que vous pouvez contrôler dans votre entreprise, envisagez tous les scénarios possibles et planifiez vos réponses potentielles, restez disponibles pour saisir les opportunités. Nous laissons le dernier mot à Winston Churchill : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». 

Les points clés 

  • L’abondance de capital bon marché a beaucoup facilité la vie des entreprises ces dernières années. La donne change depuis mi-2022, avec des investisseurs de plus en plus sélectifs. Les entreprises vont donc probablement subir dans les prochaines années un rattrapage de la « sélection naturelle » inhérente à l’économie de marché ; 
  • La gestion active de la trésorerie revient en haut des agendas. Dans un environnement où le capital est plus rare et plus cher, nous constatons que la gestion active de la trésorerie (et de son meilleur ennemi, le BFR) est de nouveau en vogue ; 
  • Être hyper-agile est de plus en plus nécessaire dans une conjoncture volatile. Il faudra aussi entretenir la confiance des parties prenantes, notamment par une communication régulière et cohérente dans le temps;
  • La confiance réclame un cap stratégique clair, adapté régulièrement tout en restant cohérent, et des équipes talentueuses et diversifiées.

 

Sur les auteurs 

  •  Sébastien Dalle (à droite sur la photo) est spécialisé dans l’accompagnement des refinancements, restructurations de bilan et plans d’optimisation opérationnelle, notamment dans des contextes de sous-performance ou retournement. 

  • Arthur Wastyn (à gauche sur la photo) a pour mission d’aider les entreprises à optimiser leur besoin en fonds de roulement, et, plus largement, leur trésorerie dans des contextes pré ou post-transactions, de sousperformance, ou de croissance. Avant de rejoindre PwC, Arthur Wastyn a exercé différentes fonctions au sein de directions financières en entreprise et en cabinet.

 

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