Christophe Deldycke est président de Turenne Groupe, qui rassemble quatre sociétés de gestion implantées en régions depuis plus de 25 ans. Les 240 sociétés de son portefeuille, dont beaucoup de PME et ETI, donnent à l’actionnaire professionnel une vision aiguisée des préoccupations des dirigeants et de l’avenir du capital-investissement en 2023. Rencontre
C. Deldycke (Turenne groupe) "La gouvernance et le partage de la valeur nécessitent encore de la pédagogie au sein des PME et ETI"
Décideurs. Quelle vision vous donnent les 240 entreprises de votre portefeuille du tissu entrepreneurial français ?
Christophe Deldycke. Nos participations représentent un véritable observatoire de l’économie française. Nous étions inquiets en 2020 et en 2021 à cause du Covid-19 et pourtant nos performances se sont avérées excellentes. Nous étions sereins en 2022 et nos atterrissages sont globalement bons. En 2023, nous avons certes des interrogations mais nous restons confiants. Nos inquiétudes portent plus sur l’environnement macroéconomique, moins sur le développement des business.
Comment expliquez-vous les performances de votre portefeuille dans un contexte de ralentissement global des opérations ?
Nos positionnements nous permettent de rester sur des secteurs en croissance, malgré cette conjoncture dégradée et anxiogène. Nous avons fait le choix de constituer des fonds avec de fortes expertises sectorielles dans des secteurs très dynamiques. Les participations de nos trois fonds spécialisés dans la santé se portent extrêmement bien. L’année 2022 a été historique pour l’hôtellerie grâce à la reprise des voyages d’affaires et qui a su attirer une nouvelle clientèle "loisir" en semaine, notre véhicule dédié, a réalisé de belles performances. Nous avons même lancé "Turenne Hôtellerie 3", un nouveau fonds dédié au secteur, début 2023.
"Beaucoup subissent et voient les normes ESG comme une contrainte"
Concernant cette transition énergétique, comment les PME et ETI françaises gèrent-elles l’augmentation des normes ESG ?
Beaucoup subissent et voient les normes ESG comme une contrainte. En tant qu’actionnaires présents à leurs côtés, nous leur expliquons qu’une contrainte peut également devenir une opportunité pour se positionner différemment et émerger sur son marché. En 2023, la prise en compte du critère environnemental n’est plus un sujet, nous mettons partout en œuvre des mesures concrètes pour décarboner : des outils de production responsables jusqu’à une démarche globale de réduction des émissions carbone. Je constate une grande acceptation de la part des dirigeants sur ces sujets. En revanche, des obstacles peuvent exister sur les points de gouvernance et de partage de la valeur. Comment réconcilier travail et capital ? Comment partager la plus-value ? Comment mettre en place des systèmes d’intéressement ? C’est un vrai travail de conviction d’expliquer qu’il est bénéfique de partager la création de valeur.
Est-ce plus difficile à accepter pour des PME-ETI ?
Il n’y a jamais de rejet mais cela nécessite beaucoup de pédagogie. Notre implantation historique dans les territoires permet la proximité nécessaire pour appuyer sur ces sujets et expliquer aux dirigeants que l’approche ESG n’est pas une contrainte mais qu’elle contribue à la création de valeur. Pour attirer les jeunes talents, il faut pouvoir leur donner du sens, partager avec eux la stratégie et la création de valeur, au-delà de la seule rémunération du salaire. Je constate une bonne connaissance de ces enjeux au sein des PME et ETI, mais la mise en application est plus longue pour les sujets sociaux et de gouvernance que pour les sujets environnementaux. Je suis très confiant dans notre capacité à les faire progresser, c’est notre travail en tant qu’actionnaire professionnel de contribuer à leur mise en œuvre. Chez Turenne Groupe, tous les collaborateurs sont actionnaires, c’est en quelque sorte un modèle pour nos participations.
" Être présent dans les territoires, investir dans l’emploi local, c’est aussi donner du sens à l’épargne."
Comment, en tant que société de gestion, intégrez-vous ces sujets dans votre stratégie de développement ?
A l’issue d’un appel d’offre gagné, nous gérons depuis 2021 le fonds Nov Relance Impact, souscrit par la Caisse des Dépôts et des assureurs français, qui intervient dans les PME et ETI régionales avec une forte composante d’impact. Nous avons pris en 2020 trois engagements. 75% de nos participations doivent avoir mis en œuvre d’ici 2025 des mesures concrètes pour réduire leur empreinte environnementale et nous étions déjà à 80% fin 2022. La signature de la charte de parité-mixité de France Invest. Enfin, nous souhaitons que 80% de nos participations aient mis en place un processus de partage de valeur au-delà des obligations réglementaires d’ici 2025. Douze personnes en interne s’occupent de cette démarche ESG coordonnée au niveau du groupe. Nos objectifs extra-financiers parlent aussi bien aux sociétés dans lesquelles nous investissons qu’aux souscripteurs qui investissent dans nos fonds. Être présent dans les territoires, investir dans l’emploi local, c’est aussi donner du sens à l’épargne. Et ce d’autant plus que la démocratisation du capital-investissement va s’accélérer. Nous ne sommes qu’au début de l’histoire.
"Tout dirigeant qui porte un projet de croissance devrait avoir un actionnaire professionnel dans son tour de table."
Selon vous, quel est l’intérêt d’avoir un actionnaire professionnel dans son capital ?
Tout dirigeant qui porte un projet de croissance devrait avoir un actionnaire professionnel dans son tour de table. L’expérience du Covid-19 a montré aux entreprises accompagnées par les acteurs du capital investissement que nous apportions plus que de l’argent. Les dirigeants ont apprécié d’être soutenus dans cette période difficile que ce soit dans la mise en place des PGE, la négociation avec les banques, la revue des options stratégiques... Nous avons traversé la crise ensemble. Avant la pandémie, les dirigeants ne parlaient quasiment pas à leurs amis ou confrères de leur ouverture de capital. Depuis, nous sentons qu’un nouveau dealflow s’est développé par le bouche à oreille entre les chefs d’entreprises. Ils ont compris que le capital-investissement apporte un soutien opérationnel et stratégique très important pour accompagner leur développement et faire preuve de résilience dans les moments critiques.
Propos recueillis par Céline Toni