De Polytechnique à l’investissement dans la deeptech, Anne-Sophie Carrese évolue dans des milieux où les femmes sont rares. Aujourd’hui elle est partner d’Elaia, un fonds de venture qui a toujours eu des équipes paritaires. Elle revient sur l’importance de créer des exemples pour plus de diversité et… de performance.
A.-S. Carrese (Elaia) : "Améliorer la parité commence par montrer l’exemple"
Décideurs. Vous êtes partner dans fonds spécialisé dans la deeptech. Un environnement traditionnellement peu paritaire, comment êtes-vous arrivée là ?
Anne Sophie Carrese. J’ai effectivement démarré dans un environnement très technique avec des produits pointus et des équipes composées principalement d’hommes car j’étais passionnée par les avions et je me suis dirigée vers des études d’ingénieur. À ma sortie du corps de l’armement après l’École polytechnique, j’ai rejoint le ministère de la Défense où je travaillais sur les moteurs de l’avion Rafale. Avec mes parents scientifiques, être une femme et me passionner pour la technologie ne comportait pas de barrière. Au cours des études, les notes n’ont pas de genre, il faut être motivé et résilient, c’est pareil pour tous. Ce qui peut être plus discriminant, c’est le réseau. En tant que femme, la proximité par sororité naturelle est moins présente dans un environnement majoritairement masculin, donc il faut faire sien le réseau des hommes.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée au monde de l’investissement en particulier ?
Un investissement est un enchaînement de trois étapes : l’intuition initiale en rencontrant un projet ou une société, l’analyse la plus rigoureuse possible et enfin la négociation de l’investissement puis la contribution au conseil d’administration de la société, qui ressemble à un mariage. J’aime beaucoup ces trois aspects de l’intuition, de l’analyse et de l’humain, et chaque société est différente. J’ai découvert ce monde de l’investissement lors d’un stage de fin d’études dans la branche finance de General Electric, par la suite j’ai intégré Bpifrance où j’ai contribué à structurer quatre fonds en dix ans. Une fois ma mission de fonctionnaire terminée, j’étais devenue passionnée par le métier d’investisseur que j’ai souhaité poursuivre dans un environnement privé. Grâce à d’anciens camarades de classes préparatoires, je connaissais Elaia, et en particulier son cofondateur, Xavier Lazarus. J’ai intégré l’équipe de partners en 2017 pour monter une deuxième ligne de fonds avec un angle sur la deeptech.
Selon vous, quelle est la priorité pour améliorer le nombre de femmes dans la tech et parmi les investisseurs ?
Améliorer la parité commence par montrer l’exemple. Chez Elaia, nous avons plus de femmes que d’hommes, une chance car nous avons simplement cherché les meilleurs profils, il s’avère que c’étaient des femmes et que les femmes attirent les autres femmes. La parité de nos équipes s’est faite naturellement. Il est également important d’avoir de la diversité à tous les niveaux. À titre d’exemple, nous avons plus de partners femmes que d’hommes, ce qui est rare dans les sociétés de gestion. Mais la diversité n’est pas qu’une question de genre, c’est aussi l’âge, les nationalités et le parcours. En tant que fonds d’investissement nous estimons qu’avoir des équipes diversifiées est un gage de performance. Elles permettent de se poser les bonnes questions au moment de l'investissement.
"Ce qui peut être le plus discriminant pour une femme, c'est le réseau"
Du fait de l’importance de la recherche, la deeptech s’inscrit dans un temps long peu compatible avec les attentes des investisseurs, comment les fonds se décident-ils à investir dans cette branche de la tech ?
C’est une question de personne et de timing. Il faut identifier l’équipe qui va porter le business, celle sans qui on ne peut pas faire une entreprise. Chez Elaia, nous passons beaucoup de temps à rencontrer des chercheurs, notamment grâce aux réseaux des huit PHDs dans notre équipe d’investissement, mais tant que nous n’avons pas trouvé à qui sert l’innovation et comment la transformer en business, nous n’investissons pas. La seconde question naturelle est celle du bon moment. Lorsqu’on est face à une technologie, qu’il est temps de la lancer sur le marché, le rôle de l’investisseur est de prendre le risque et d’y aller.
Propos recueillis par Céline Toni