Malgré un environnement macroéconomique globalement plus difficile, Edmond de Rothschild Corporate Finance affiche plus de soixante opérations sur l’année 2022. Plusieurs secteurs prédominent comme la santé, la tech, l’immobilier mais aussi l’éducation, la formation et le transport logistique. Un joli bilan pour cette équipe qui compte dorénavant 53 professionnels répartis entre Paris et Lyon.
A. Petit (EdRCF) : "Les secteurs recherchés par les investisseurs n’ont pas souffert de conditions de marché plus difficiles"
Décideurs. Quelle tendance retiendrez-vous pour l’année 2022 ?
Nicolas Durieux. Comme en 2021, le marché a été très actif. Nous réalisions entre vingt-cinq et trente transactions par an avant 2020. Nous en avons réalisé plus de soixante en 2022. Principalement sur du small et du mid cap, puisque c’est notre ADN. Cela démontre la forte dynamique du marché mais également la capacité de nos équipes à gérer un nombre important de dossiers tout en gardant une qualité d’exécution irréprochable. Nous avons doublé nos effectifs en l’espace de trois ans. Cela nous permet notamment d’intervenir sur des opérations de taille plus importante et de renforcer notre exposition sur l’upper mid cap. Malgré la hausse des taux ces derniers mois, les banques continuent de financer les opérations sur notre segment et nous sommes donc relativement confiants. Par ailleurs, les fonds ont levé des sommes considérables ces dernières années et sont au rendez-vous, tout en étant plus attentistes et prudents qu’auparavant.
Arnaud Petit. Nous avons d’abord pu remarquer un marché à deux vitesses. Certains secteurs sont très recherchés et n’ont, par conséquent, pas particulièrement souffert des conditions de marché difficiles. C’est le cas de la santé, de la tech, du digital, de l’éducation et de la formation. Ces secteurs, contrairement à d’autres, bénéficient encore et toujours d’un niveau de valorisation élevé. Nous avons également constaté une année 2022 en deux temps. Jusqu’à l’été, le marché était en surchauffe, très intense, avec beaucoup de transactions. Dès le mois de juillet, nous avions senti une décélération en raison de la conjoncture macroéconomique. L’inflation a entraîné une hausse des taux, ce qui a naturellement perturbé le marché du financement. Un financement moins attractif impacte forcément la valorisation. Nous avons senti un décalage entre les acheteurs et les vendeurs, ces derniers n’ayant pas toujours pris conscience de la nouvelle réalité économique. L’environnement est progressivement devenu anxiogène. Le marché s’est montré plus calme, plus attentiste, que sur la première partie de 2022. Nous étions dans un point d’inflexion du marché et les investisseurs se sont naturellement mis en pause. Nous pensions que cette dynamique allait s’installer au fur et à mesure, mais la tendance s’est inversée. Nous sentons un rebond depuis le mois d’octobre et notre carnet de commandes s’est rapidement rempli pour les prochains mois.
"Nous sentons un rebond depuis le mois d’octobre et notre carnet de commandes s’est rapidement rempli pour les prochains mois." A. Petit
Malgré des circonstances macroéconomiques compliquées, certains secteurs résistent, notamment celui de la santé...
A. P. Les fonds d’investissement sont particulièrement intéressés par les plateformes de santé. Ils ont aujourd’hui la possibilité d’acheter des actifs de plus petite taille et d’en accélérer la croissance via un processus de consolidation. La création de valeur dans ce secteur peut être importante. Si, pendant la crise sanitaire, nous avons pu bénéficier d’un système de diagnostic efficace, c’est grâce aux groupes de laboratoires d’analyses médicales qui avaient pu industrialiser efficacement l’activité en raison de la consolidation du marché. Il ne faut pas oublier que c’est un secteur réglementé avec des prix fixés. Mais l’État reste très attaché à la santé et va accompagner le développement et la modernisation de ce secteur, ce qui est rassurant pour les investisseurs. En effet, l’État va mettre en place les conditions pour rendre le secteur attractif. Autre élément rassurant : la tendance sociétale actuelle. Non seulement la population vieillit, mais elle est également de plus en plus préoccupée par son bien-être. C’est donc un marché très porteur qui, sans aucun doute, restera très actif dans les années à venir.
N. D. Nous travaillons beaucoup sur le secteur du sanitaire social et notamment des Ehpad et cliniques MCO. Ces secteurs restent attractifs et de nombreuses transactions sont en cours. L’évolution démographique de notre pays donne une forte visibilité sur la croissance du marché à moyen terme. Les groupes comme les fonds l’ont bien compris.
A. P. Une autre tendance forte sur le marché de la santé est le phénomène d’externalisation par les grands laboratoires pharmaceutiques de certains services comme la production ou les services autour de la recherche. Certains investisseurs soutiennent des plateformes pour reprendre ces activités. L’éducation et la formation ont également eu le vent en poupe en 2022.
"Malgré la hausse des taux ces derniers mois, les banques continuent de financer les opérations sur notre segment." N. Durieux
Comment expliquez-vous une telle attractivité sur ce marché ?
Thomas Hamelin. Nous sommes effectivement intervenus sur plusieurs opérations dans le secteur de l’éducation et de la formation qui connaît une forte consolidation depuis plusieurs années. Croissance sur le long terme, forte atomisation des acteurs mais également innovation sont autant de caractéristiques qui expliquent ce mouvement. Aujourd’hui, le secteur de l’éducation a atteint une certaine maturité avec une dizaine de groupes d’une taille significative (entre 50 et 300 millions d’euros d’Ebitda).C’est donc l’innovation qui devient progressivement le nouveau moteur de l’attractivité du secteur. On observe notamment des initiatives de création d’écoles formant aux nouveaux métiers de la Tech (cybersécurité, data science, web3, etc.). On le sait : les métiers de demain sont des métiers qui émergent à peine, voire qui n’existent pas encore.L’innovation concerne également le mode d’apprentissage avec le développement d’acteurs spécialisés dans le distanciel, ou « e-learning », tendance qui s’est nettement accélérée avec la crise du covid. Parmi les raisons du dynamisme du secteur, je mentionnerais également une prise de conscience politique qui s’est traduite par des réformes structurelles d’importance avec notamment la réforme de l’alternance dans l’éducation et celle du CPF dans la formation. Cette dernière réforme a clairement bouleversé le secteur en réorientant le choix de la formation de l’entreprise vers l’individu, créant des opportunités pour des nouveaux acteurs notamment spécialisés dans l’e-learning. Enfin, la tension croissante que l’on observe sur de nombreux métiers est un autre driver du dynamisme du secteur. L’upskilling et le reskilling de compétences deviennent des enjeux majeurs pour (ré)orienter les salariés vers ces emplois non pourvus. Les organismes de formation ont évidemment un rôle central dans ce processus.
"L’innovation devient progressivement le nouveau moteur de l’attractivité." T. Hamelin
Avez-vous remarqué d’autres secteurs porteurs ?
A. P. Les marchés de l’hôtellerie et de la restauration sont également assez dynamiques. Notre équipe a déjà réalisé six opérations dans ce secteur en 2022 et cela devrait se poursuivre en 2023. Nous avons égal-ment accompagné plusieurs opérations sur le segment du transport logistique. Nous avons de bonnes raisons de croire que cette dynamique se poursuivra en 2023 et 2024. Nous devons également noter une tendance de plus en plus visible : celle des continuation funds. Il s’agit d’un véhicule qui permet aux sociétés de gestion de poursuivre l’aventure dans une société en la vendant à un fonds dédié dont ils ont la gestion. C’est par essence un investissement moins risqué. Cela permet de cristalliser la valeur créée et de repartir avec un nouveau fonds. Je suis convaincu que c’est un dispositif qui va être de plus en plus utilisé.
Les dossiers sont chaque année plus nombreux. Avez-vous l’intention de continuer à recruter en 2023 ?
N. D. Nous sommes actuellement cinquante-trois, répartis entre Paris et Lyon. Étant donné la dynamique et le nombre d’opérations, nous regardons effectivement de nouveaux profils mais de manière plus ciblée. Nous avons par ailleurs promu deux associés en mars 2022 : Raphael Compa-gnion et Jonathan Jacquin, l’un dans la tech et le digital, l’autre pour couvrir les opéra-tions dans l’univers de l’hôtellerie et de la restauration. Nous avons également recruté une associée, Vanessa Guyot Sionnest, pour renforcer notre pôle actif immobilier et un associé, Jean-Charles Bernard, pour la tech et le digital. Parallèlement, nous avons soutenu notre équipe croissance emmenée par Axel Riquet et Guillaume Jaureguiberry afin d’accompagner nos clients sur les opérations inférieures à 50 millions d’euros.
Avez-vous pu, comme vous l’espériez, développer le conseil en financement ?
A. P. Tout à fait. Nous sommes intervenus sur un grand nombre de deals en financement pur. L’équipe financement est un vrai soutien pour nos mandats de cession et d’acquisition. D’autant plus dans un contexte challenging comme nous le vivons actuellement. Le sujet du financement devient particulièrement prégnant. Il est précieux de pouvoir compter sur le soutien de cette équipe aujourd’hui composée de trois banquiers, mais qui a vocation à s’accroître en 2023.
Propos recueillis par Capucine Coquand