Charismatique et visionnaire, celui qu’on surnomme J2M a toujours fait couler beaucoup d’encre. Evincé de Vivendi Universal, il faut peu de temps à ce phénix pour se relancer dans un projet encore plus ambitieux, celui de la banque d’affaires Messier & Associés. Rencontre.
J.-M. Messier : "Accompagner des évolutions d’équipes et de stratégie assumées est passionnant"
Décideurs. D’ancien patron de Vivendi à banquier d’affaires, comment ces expériences se répondent-elles ?
Jean-Marie Messier. J’ai la chance d’avoir déjà eu dix vies en une ! En un mot, formidable. D’auto-entrepreneur à patron d’un groupe de 350 000 salariés ; de privatisations françaises à la convergence digitale ; en Europe comme aux États-Unis.
Mon expérience de CEO de Vivendi m’a permis de totalement intégrer la multiplicité des questions, et pas seulement financières, qu’un patron se pose au moment de prendre une décision et de comprendre les hésitations qualitatives, de stratégie, d’équipes qui se posent, voire s’imposent. Connaître la réalité « des deux côtés » me permet assurément d’être un banquier d’affaires différent, efficace – je l’espère – , et proche.
Au cours de votre carrière, quelle a été l’opération qui vous a le plus marquée ? Et pour quelles raisons ?
Impossible de choisir, mais participer au formidable développement mondial de CMA-CGM ces dix dernières années. Un groupe fort de ses valeurs familiales et de sa vision logistique globale. Ou celui à marche renforcée du groupe TotalEnergies dans le domaine des renouvelables, de la production au stockage, mieux et plus vite que ses concurrents, ou encore, contribuer à la création d’un leader mondial de la transformation écologique avec Veolia, français qui plus est, au terme d’une offre déterminée et respectueuse des équipes, sont des aventures exceptionnelles. C’est cela qui me marque le plus.
Bon nombre de groupes français sont aujourd’hui dirigés par des patrons exceptionnels, visionnaires et déterminés, avec des capacités commerciales ou technologiques qui leur donnent un leadership international pour créer des leaders mondiaux français et solides. Il n’y a pas que les Gafam !
Accompagner des évolutions d’équipes et de stratégie assumées, avec leur composante capitalistique est passionnant. Quelques projets en cours sont exemplaires de ce point de vue. Et de belles histoires familiales, d’entrepreneurs, il y en a plein, de toutes tailles, dont celle du groupe Charlois dans la tonnellerie, sans oublier les start-up.
Au-delà d’une seule opération, je retiens aussi le temps et l’énergie déployés pour OneRagtime, plateforme de seed capital créée avec Stéphanie Hospital, une prodigieuse réussite en soutien d’entrepreneurs digitaux français. Du seed à la série B, nous nous sommes donné les moyens d’aider à fond des équipes digitales françaises, sans oublier les dimensions ESG, citoyenne et pragmatique pour favoriser les changements de comportements comme Make.org ou Captain Cause. J’en suis très fier… et passionné !
"Bon nombre de groupes français sont aujourd’hui dirigés par des patrons exceptionnels, visionnaires et déterminés"
Quel est votre pire souvenir professionnel ? Et le meilleur ?
Le meilleur, c’est certainement la confiance des clients dans la durée. Rien de plus gratifiant que cela.
Le pire ? Il n’y en a pas, même si bien sûr ce métier génère aussi des déceptions. Sur le plan professionnel, le plus dur pour les équipes est sans doute lorsque vous savez que vous avez fait la meilleure offre et que vous n’êtes pas choisi…
Qui était votre mentor ?
Certainement Antoine Bernhein. C’est lui qui m’a appris la créativité dans ce métier, l’humilité – mais aussi à ne jamais laisser tomber – , de même que la force des réseaux au meilleur niveau. J’ai beaucoup appris à ses côtés.
En dehors de votre métier, avez-vous des passions en particulier ?
Bien évidemment, ma famille avec Christel, ma femme, et nos enfants, tous différents, engagés et merveilleux. Les amis aussi, avec qui partager le sens de la fête ou encore le plaisir du voyage notamment…
Quelle musique écoutez-vous avant de closer un deal ?
Cela dépend… Mais disons, souvent le 3e mouvement du 2e concerto de Rachmaninov avec son énergie de la conquête et son équilibre entre le solo et le collectif. C’est comme en matière de jazz : l’épanouissement vient de cette force créée par la performance individuelle derrière une équipe, une bande ou un orchestre. L’harmonie vient de cet équilibre. Mais ça peut aussi être Bono avec qui j’entretiens une relation très amicale ou encore "Imagine" de John Lennon.
Parcours
- 1979 : termine ses études au sein de l’Ecole polytechnique
- 1982 : diplômé de l’ENA
- 1986 : travaille aux côtés d’Edouard Balladur en qualité de conseiller technique
- 1989 : quitte la fonction publique pour intégrer Lazard en tant que banquier d’affaires
- 1994 – 2002 : CEO de Vivendi Universal
- 2003 : fonde Messier & Associés
Propos recueillis par Béatrice Constans