Ardian vient de lever 5 milliards d’euros pour lancer un 5e fonds de dette, dépassant ainsi son objectif initial de 4 milliards d’euros. Un montant record dans l’univers du private debt français, qui illustre une tendance de fond : le désengagement des banques de financement au profit des fonds de dette. Guillaume Chinardet, responsable des investissements Private Credit revient sur ce contexte de marché et la stratégie de prudence caractéristique d’Ardian.
G. Chinardet (Ardian) : "Nous sommes particulièrement vigilants quant à la résilience des modèles économiques"
Décideurs. Vous venez de lever le plus gros fonds de dette français, comment vous positionnez-vous sur le marché européen ?
Guillaume Chinardet. À l’échelle européenne, nous nous comparons à Ares, ou aux britanniques ICG et Alcentra, Il est vrai que nos racines sont françaises mais en France, avec 5 milliards d’euros, nous sommes très nettement en tête des fonds levés sur cette classe d’actif. Cependant, nous ne nous battons pas pour être les plus grands en Europe ou en France. Nous sommes particulièrement vigilants quant à la résilience des modèles économiques, ils doivent être en mesure de survivre aux crises, à la visibilité du chiffre d’affaires, nous préférons les notions d’abonnement, les besoins impériaux. Enfin, nous visons les sociétés en mesure de dégager beaucoup de liquidités.
La levée de fonds était-elle complexe au vu du contexte actuel ?
Une levée de fonds n’est jamais facile, celle-ci était raisonnablement accessible. Nous avons bénéficié d’une tendance de fond du direct lending : à savoir, le retrait des banques au profit du private credit. Chaque année, les montants levés en private credit, ou crédit direct, sont plus importants. À ce titre, nos investisseurs étaient convaincus des ressources à allouer à cette classe d’actif. D’autre part, nous sommes capables de présenter un track record sur quinze ans. Avec ce dernier véhicule, nous atteignons la 5e génération de fonds, à chaque fois sur des cycles longs, ce qui rassure les investisseurs. Enfin, nos performances sont bonnes, ce qui conforte également notre stratégie de prudence.
L’une des raisons avancées par les banques pour justifier le durcissement des conditions de financement est justement la prudence. Comment, côté fonds, est-il possible de concilier prudence et poursuite de l’investissement ?
La classe d’actif s’est suffisamment développée et standardisée pour que différents gérants et stratégies cohabitent. Chez Ardian, nous sommes parmi les plus prudents, pour autant, l’être moins n’est pas forcément un mauvais choix. Le nôtre, est d’être extrêmement sélectif sur les actifs dans lesquels nous investissons. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nos portefeuilles ont résisté pendant la pandémie. Ensuite, nous sommes systématiquement "arrangeurs" de nos transactions : nous établissons toute la documentation juridique et, à ce titre, nous choisissons d’inclure systématiquement des covenants dans nos opérations. Enfin, les banques se constituent souvent en pool bancaire, là où nous nous syndiquons très rarement. Dans la majorité des cas, nous sommes le seul prêteur. Nous conduisons ainsi toutes les décisions en rapport avec la dette, ce qui est important pour être capable de contrôler le destin d’un projet. Enfin nos quinze années d’expérience nous amènent à plus de recul, donc plus de prudence.
"Le flux d’opérations est très dynamique – notamment en raison de l’accélération du retrait des banques – ce qui nous permet d’être encore plus sélectifs"
Pourquoi l’investissement au travers d’un fonds de dette serait-il plus adapté que celui d’une banque aux contraintes de financement des entreprises aujourd’hui ?
Les amortissements sont historiquement plus fréquents auprès des banques. Côté fonds, c’est moins systématique. Une fois les intérêts payés, tout le cashflow de la société est dédié à sa croissance et à ses investissements. D’autre part, dans le private equity depuis quelques années, il est plus facile de mettre en place avec le private credit, des lignes d’acquisition et de développer une stratégie de build-up pour les actifs rachetés et ainsi, de suivre avec plus de flexibilité ces acquisitions. À l'inverse, Les banques sont davantage contraintes sur ce point du fait de problématiques réglementaires.
Comment envisagez-vous les prochains mois ?
La hausse des taux influence favorablement les stocks d’actifs car nos instruments sont à taux variables, pour cela, nous sommes sereins, car le flux d’opérations est très dynamique – notamment en raison de l’accélération du retrait des banques – ce qui nous permet d’être encore plus sélectifs. La période est propice au private credit : les banques réduisent la voilure, l’environnement économique est favorable du fait de la hausse des taux, et les fonds peuvent appliquer des conditions plus restrictives de respect de certains ratios dues à l’ajustement du risque.
Propos recueillis par Céline Toni