Tatiana Jama, co-fondatrice de Sista, collectif destiné à réduire les inégalités de financement entre femmes et hommes entrepreneurs, annonce le lancement d’un fonds cible de 100 millions d’euros, dédié aux start-ups de la tech portées par des équipes avec au moins une femme co-fondatrice. L’objectif ? Faire émerger une nouvelle génération de leaders diversifiés en finançant les projets les plus performants, partant du constat que les start-ups fondées ou co-fondées par des femmes sont des investissements 2,5 fois plus rentables que les autres.
T. Jama (Sista) : "Les femmes entrepreneures sont sous-financées dans le monde du venture capital"
Décideurs. Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer un fonds dédié aux start-ups créées par des femmes ou des équipes paritaires?
Tatiana Jama. J’ai commencé à entreprendre en 2008, et dix ans plus tard, peu de choses avaient changé dans l’environnement de l’entrepreneuriat. En 2018, la première initiative de Sista "Compter les femmes pour que les femmes comptent" a montré que sur les dix dernières années, seuls 2% de l’argent du venture capital avait été levé par des femmes entrepreneures. Au début de l’aventure Sista naît alors l’ambition de réunir toutes les parties prenantes de l’écosystème autour de la table, pour comprendre comment réduire ces mêmes inégalités de financement entre femmes et hommes entrepreneurs : les entrepreneurs, les investisseurs (VC) de l’écosystème tech, les pouvoirs publics et France Digitale se rejoignent alors. Notre objectif était de faire avancer l’écosystème tech vers plus de mixité et agir en faveur de l’émergence d’une génération de leaders diversifiés. En 2022, il fallait aller plus loin: créer un fonds d’investissement qui participe activement à la réduction des inégalités de financement, le funding gap. SISTAFUND est né.
"En early stage, entre 30 et 40% des start-ups sont des projets portés par des équipes paritaires ou exclusivement féminines. Or, ces équipes sont encore aujourd’hui sous-financées."
Comment expliquez-vous ce "funding gap" ?
Le funding gap, à savoir la différence de levées de fonds entre hommes et femmes entrepreneurs, est un problème systémique. Depuis 2018, nous avons reçu beaucoup de dossiers - et cela est bien sûr accéléré depuis le lancement. En early stage, entre 30 et 40% des start-ups sont des projets portés par des équipes paritaires ou exclusivement féminines. Or, ces équipes sont encore aujourd’hui sous-financées. Nous avons longtemps cru que l’économie du numérique, perçue comme pleine de promesses, allait s’autoréguler : finalement, il faut aller plus loin, et c’est ce que nous faisons avec SISTAFUND.
Où en est le monde de l’investissement en Europe dans la prise en compte du critère de genre ?
Ce type de fonds existe déjà aux États-Unis mais c’est nouveau en Europe, à l’exclusion des pays nordiques. Il y a eu des clubs de Business Angels, mais il n’y avait pas de fonds de venture capital dits FPCI [Fonds professionnel de capital-investissement, Ndlr] dédiés avec un critère de genre. SISTAFUND peut investir dans une société si a minima 30% du capital de la société appartient à une femme co-fondatrice. Nous sommes le premier fonds européen "gender lens" avec une logique de performance. Nous investirons dans les futures licornes françaises, car les start-ups fondées ou co-fondées par des femmes sont des investissements plus rentables que les autres.
Est-il plus difficile de monter un fonds qui a vocation à investir dans l’entrepreneuriat féminin, surtout en ce moment, compte tenu de l’incertitude autour des marchés ?
Il est difficile de comparer car il s’agit de notre premier fonds et surtout du premier véhicule "gender lens" en France, qui s’avère être aussi le plus important en Europe. Globalement, les femmes entrepreneures sont sous-financées dans le monde du venture capital et le financement de projets menés par des femmes ou par des équipes paritaires est encore rare et pourtant leurs performances sont plus élevées.
Propos recueillis par Céline Toni