Marc Menasé : "Les acteurs qui font du greenwashing seront de moins en moins tentés d’en faire"
Décideurs. Qu’elle est votre approche de l’investissement chez Founders Future ?
Marc Menasé. Nous exerçons un métier avec une grande proportion de financiers de carrière mais quand il s’agit de l’amorçage, notre spécialité, il s’agit davantage d’un métier d’entrepreneurs. J’ai créé Founders Future pour cette raison : les ressorts pour construire la colonne vertébrale des entreprises sont très opérationnels au moment du lancement or en tant qu’ancien entrepreneur j’y étais habitué. Aujourd’hui nous sommes l’une des sociétés les plus actives sur le segment de l’amorçage, qui permet de faire émerger les succès de demain. D’autre part, monter une entreprise prend du temps, c’est pourquoi lorsque nous entrons dans le capital nous tenons à participer à plusieurs tours - parfois jusqu’à quatre en quatre ans- car nous avons à cœur de garantir la stabilité des projets.
En 2020 vous obtenez le statut d’entreprise à mission, aujourd’hui vous lancez un fonds de dotation et êtes labélisés B Corp, quelle est la genèse de votre stratégie d’impact ?
Si l’on veut un monde plus respectueux, le moteur entrepreneurial est un bon vecteur et c’est pour cette raison que nous avons choisi le segment de l’amorçage. À la différence des pouvoirs publics et des grands groupes, pour qui il est plus difficile de changer, la startup peut facilement innover.
Avant même le processus B Corp nous voulions flécher notre argent vers cette nouvelle génération d’entrepreneurs à mission, ceux qui ne craignent pas de créer des business ambitieux qui vont dans le bon sens. D’autre part, l’argent de Founders Future provient exclusivement d’entrepreneurs. Notre cinquantaine de financeurs initiaux avaient tous la volonté d’investir au profit de business viables mais qui œuvrent pour le bien de la société. Nous avons été les premiers à financer Yuka ou La Fourche, par exemple, et nous avons plusieurs entreprises labélisées B Corp dans notre portefeuille. Notre action a toujours été d’améliorer leur trajectoire d’impact.
Nous avons même créé un fonds à impact, Founders Future Good dédié à la mobilité, l’économie circulaire, l’alimentaire et les alternatives au plastique. Dans cette optique, nous voulions être approuvés et reconnus du grand public et le meilleur moyen était d’être nous-mêmes labélisés B Corp.
"Paradoxalement, ce fut un de nos plus longs projets car dans le monde de l’investissement tout va vite, mais vouloir être labélisé B Corp nécessite du temps"
Le label B Corp est très convoité mais a la réputation d’être difficile à obtenir, comment cela s’est-il passé pour vous ?
Nous nous sommes donné les moyens de nos ambitions. Il a fallu dédier les ressources nécessaires et l’ensemble de l’entreprise a été impliquée. Paradoxalement, ce fut un de nos plus longs projets car dans le monde de l’investissement tout va vite, mais vouloir être labélisé B Corp nécessite du temps pour compiler beaucoup de documents sur une longue période. Il a fallu être structuré et prendre des décisions nécessaires en termes de gouvernance.
À quoi sera dédié votre fonds de dotation ?
Depuis la création du fonds nous avons une logique de "give back". Nous avons financé beaucoup de projets associatifs, notamment pendant l’épidémie de covid. Pour donner suite cet élan, nous avons pris la décision de professionnaliser notre démarche et de dédier une enveloppe à des thématiques parallèle à notre stratégie de fonds d’investissement : l’éducation, la santé et la biodiversité.
Nous voulions aussi nous doter d’une grille d’analyse adaptée à ces projets, comme nous le faisons avec les entreprises de notre portefeuille de sorte à permettre un accompagnement de long terme et un financement structuré. Nos LPs ont plébiscité l’idée du fonds de dotation et Founders Future Act est né. La structure est financée par un modèle double: une dotation annuelle et des levées ad hoc auprès de notre communauté de financeurs à laquelle nous présenterons chaque nouveau projet associatif. Notre objectif est d’avoir un budget annuel d'un million d’euros en 2025.
"Nous avons l’ambition de créer des vocations de gens qui nous suivent dans notre stratégie durable."
Vous êtes spécialisés dans la tech or le secteur est souvent mis en opposition avec les objectifs environnementaux, comment faites-vous pour intégrer cette dimension dans les entreprises de votre portefeuille ?
Notre exigence est que chaque projet d’entreprise réponde à un enjeu sociétal. Nous avons une Partner dédiée à l’impact et nous intégrons deux typologies d’entreprises dans notre portefeuille : celles qui ont une stratégie d’impact dans leur ADN, comme Yuka par exemple, et celles qui sont dans une logique d’amélioration. Enfin, nous voulons limiter au maximum les externalités négatives, en plus d’apporter du capital.
Comment prévenez-vous les injonctions faites au monde de l’investissement pour une plus grande prise en compte des enjeux ESG et les reproches de greenwashing qui y sont souvent associés ?
Nous sommes dans l’hyper réalisation de notre stratégie d’impact. Il suffit de regarder les sociétés dans lesquels nous investissons, le fait d’être une entreprise à mission, notre label B-Corps, notre fonds à impact, la création de notre propre fonds de dotation, les outils que nous mettons à disposition de notre portefeuille, cela fait beaucoup pour tomber dans le greenwashing !
Plus généralement nous avons l’ambition de créer des vocations de gens qui nous suivent dans notre stratégie durable. Par ailleurs, j’ai tendance à croire que les acteurs qui font du greenwashing seront de moins en moins tentés d’en faire au vu de la réglementation et de la prise de conscience de la société civile.
Vous investissez en France et en Europe, la prise de conscience et la mise en pratique des stratégies d’impact est-elle différente ailleurs ?
L’ensemble de la communauté financière dans le monde a une pression concernant les critères ESG. Le curseur va d’une simple posture de communication à un véritable engagement du capital pour construire le monde de demain. En revanche, certaines géographies sont plus matures, c’est le cas de la Scandinavie. D'autre part, l’évolution de la réglementation pour éviter le greenwashing impose à tous les acteurs de se mettre au niveau et depuis deux ans, la communauté financière européenne a fait globalement beaucoup d’efforts.
Propos recueillis par Céline Toni