Mesurer les impacts fiscaux d’un pacte d’actionnaires dans les opérations de co-investissement par M.H. Raffin (Florilèges)
Les dispositions du sixième alinéa de l’article 223 B du Code général des impôts 1 prévoient que lorsque la société mère d’un groupe fiscal 2 acquiert les titres d’une société devenant membre du groupe fiscal auprès d’une ou plusieurs personnes qui contrôlent la société cessionnaire, le groupe perd la possibilité de déduire tout ou partie de ses frais financiers. La quote-part de frais financiers réintégrée est obtenue en rapportant le prix d’acquisition des titres de la cible à l’ensemble des dettes des sociétés membres du groupe, indépendamment du point de savoir si l’acquisition de la cible a ou non été financée par voie d’endettement.
3 Il a souvent été considéré, dans le cadre d’opérations de LBO, que la présence du cédant au capital de la holding de rachat n’induisait pas de risque de non-déductibilité des charges financières du groupe dès lors que ledit cédant demeurait minoritaire au sein d’une holding de rachat majoritairement contrôlée par l’acquéreur. C’était sans doute une position par trop optimiste dans la mesure où la notion de contrôle à laquelle se réfèrent les dispositions de l’article 223 B est celle de l’article L.233-3 du Code de commerce.
"Un pacte efficient entre cédant minoritaire et acquéreur majoritaire peut mettre à mal l’effet de levier au plan fiscal "
Le concept de "contrôle conjoint" avec un cédant devenu actionnaire minoritaire
Or a aux termes du III de l’article L.233-3, des personnes agissant de concert sont considérées comme exerçant un contrôle conjoint sur une société lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. Et le Conseil d’État 4 vient de livrer la lecture qu’il convenait de faire de cette définition du contrôle conjoint lorsqu’un cédant demeure associé à la holding de rachat de la cible. Ainsi, commandent notamment l’application des réintégrations « Charasse » les situations dans lesquelles l’actionnaire qui contrôlait la société cédée exerce, de concert avec le repreneur majoritaire, le contrôle de la société cessionnaire. À cet égard, le Conseil d’État dégage deux critères cumulatifs : (a) l’existence d’un concert, c’est-à-dire d’une concertation effective entre les actionnaires avant les prises de décisions (b) la détermination conjointe, dans les faits, des décisions prises en assemblée générale.
Les droits de veto, aune du co-contrôle
En pratique, l’action de concert est généralement révélée par l’existence d’un pacte d’actionnaires, aux termes duquel le repreneur majoritaire et le cédant minoritaire mettent en place de nouvelles règles de gouvernance post-acquisition. Il n’est pas rare que le cédant minoritaire se voie ainsi consentir un certain nombre de droits de veto portant sur des décisions importantes relatives à la cible et ses filiales. Or si certains droits de veto ont pu être vus comme caractérisant la volonté d’une simple préservation du patrimoine du cédant minoritaire (droits de veto portant seulement sur des modifications statutaires ou des opérations sur capital, par exemple), des droits de veto reconnus au cédant minoritaire portant sur des décisions stratégiques sont clairement susceptibles de caractériser un co-contrôle.
De la simple préservation de son patrimoine… à la prise de décisions stratégiques
Il en est ainsi lorsque le cédant minoritaire peut s’opposer à des décisions d’investissement, à la fixation du budget de la cible et de ses filiales, à la nomination des dirigeants du groupe cible et, d’une manière générale, à des décisions relevant de la stratégie de développement et de conduite de la cible et ne relevant pas de sa gestion courante. 5 En effet, dans l’ensemble de ces cas de figure, l’existence de ces droits de veto "stratégiques" conduit le repreneur majoritaire et le cédant minoritaire à devoir se concerter, au sein de différentes instances sociales, avant toute prise de décision, de manière à arrêter conjointement la politique du groupe. Mais cette concertation préalable ne fait pas tout : reste à déterminer si elle est suivie d’effet et si les concertistes déterminent effectivement, d’un commun accord, les décisions relatives à la cible.
Une action de "concert" qui coûte cher lorsqu’il n’y a pas de fausse note !
À cet égard, le Conseil d’État précise qu’il convient de se référer tant aux règles de vote en assemblée générale qu’aux votes effectifs exprimés. Ainsi, si l’examen des votes exprimés en assemblée générale révélait l’absence d’accord effectif des concertistes, par des votes dissonants récurrents, alors, le contrôle conjoint ne serait pas matérialisé, faute, pour les concertistes, d’être parvenus à un accord effectif. 6
De l’importance des statistiques de vote et de leur évolution dans le temps
Il semble donc important, pour apprécier l’applicabilité de l’amendement Charasse, de pouvoir constater l’harmonie des votes des concertistes, cristallisant leur accord effectif, second critère du contrôle conjoint. À cet égard, il convient d’observer l’évolution des votes exprimés au cours du temps, car dès lors que l’harmonie viendrait à être perdue au cours d’un exercice, le contrôle conjoint cesserait, et les dispositions restrictives de l’amendement Charasse ne pourraient plus recevoir application, l’article 223B prévoyant la fin des réintégrations en cas de changement de contrôle.
LES POINTS CLÉS
- Les dispositions dites de l’Amendement Charasse prévoyant la réintégration des frais financiers en cas de rachat à des actionnaires de contrôle sont susceptibles de s’appliquer même lorsque le cédant est minoritaire dans la holding de rachat.
- Une conception extensive de la notion de contrôle est retenue par le Conseil d’État, notamment en présence de droits de veto portant sur des décisions stratégiques.
SUR L'AUTEUR
Marie-Hélène Raffin est avocat associé du cabinet Florilèges qu’elle a fondé en 2018. Florilèges Société d’Avocats est notamment spécialiste de la gestion fiscale des opérations d’investissement, de restructuration, et de désinvestissement.