L. Briot de La Crochais (Abaq) "Le recrutement peut-il participer à la convergence entre Private Equity et RSE ?"
Il y a ceux qui font de grandes choses et ceux, par millions, qui en font des petites. Entre ces recruteurs spécialisés, qui du digital, qui de l’ESS, qui des LBO small et mid, il n’y a pas ou peu de clients communs, de candidats communs. Pourtant, et c’est ce qui nous a semblé le plus important, il y a des objectifs communs. Nous avons souhaité unir nos expertises pour, tel le colibri, faire notre part face à trois constats très simples: "Le monde tel qu’il existe ne marche pas » ; "il n’y a pas de planète B" ; "on ne gagne pas dans un monde qui perd".
Ces aphorismes qui pourraient perdre en résonance d’être trop utilisés ont des significations différentes quoique liées.
Le monde tel qu’il existe ne marche pas, tout simplement parce qu’il épuise ses ressources sans pouvoir les renouveler, parce qu’il engage des dommages dont la réversibilité est de moins en moins certaine, parce qu’il crée, au niveau mondial et national des mondes sociaux à plusieurs vitesses.
Les entreprises savent désormais qu’elles ne gagneront pas dans un monde qui perd. Les entreprises en ont conscience et deviennent "contributives"1 et le sens du travail a changé. Le fordisme, la théorisation du profit, le modèle dominant de la société de consommation ont donné au travail un sens assez simple : un incontournable pour assurer la prospérité d’une entreprise, d’une nation, et une place de l’individu dans un univers consumériste. Ceux qui arrivent sur le marché du travail depuis 5 ans ont plus ou moins consciemment une autre équation dans laquelle le travail est le moyen de l’individu libre de donner du sens à sa vie, de participer à un projet, et ce projet ne peut plus ignorer la marche du monde. Les entreprises ne gagneront pas dans un monde qui perd tout simplement parce qu’elles n’engageront pas d’équipes pour le faire gagner. Au mieux elles recruteront (ce qui est de moins en moins certain) et au pire contribueront à la statistique révélée par un sondage de l’ADP Research Institute montrant que seuls 16% des salariés se sentent complètement investis dans leur travail.
"Pourquoi Abaq, Your Voice, un acteur du digital, cabinets de recrutement spécialisés respectivement dans les LBO smid cap, le digital et l’ESS s’unissent-ils ? "
En quoi le savoir-faire d’un recruteur est-il compatible avec une recherche d’un impact ESG ?
Chez nous, nous avons des rêveurs, des sceptiques et des grognons. Les rêveurs rêvent, c’est leur boulot. Les sceptiques haussent les épaules en souriant et en demandant que nous arrêtions de passer la serpillière à mettre du vert et des bonnes intentions sur ce qui n’est que notre gagne-pain. Les grognons râlent en disant : "On fait quoi maintenant ?" De cette union naît ce qui nous anime et le constat que notre action de recruteur devait s’exercer sur certains champs, et surtout pas sur d’autres.
Ce que nous ne devons pas faire
Nous ne devons pas nous ériger en censeurs, ni même en gourous de la Responsabilité Sociale et Environnementale, ou en stratèges de la mise en place des indicateurs ESG. D’une part, les travaux de l’ONU permettent d’avoir les idées assez claires sur les 17 objectifs de développement durable, d’autre part des spécialistes existent et enfin des cabinets de conseil accompagnent la mise en œuvre opérationnelle des initiatives concrètes (Quantis pour le respect des limites de la planète, Mozaïk pour l’inclusion…).
Ce que nous pouvons faire
Notre action, qui reste dans l’exercice de notre métier de recruteurs, autour de 5 BU Private Equity, ESS, Santé, Corporate, Économie digitale, se focalise sur ce que nous savons faire.
- Identifier l’impact attendu du poste sur les critères ESG
Avant tout autre savoir-faire, celui du recruteur devrait être celui de poser des questions, et notamment celle, essentielle et si souvent oubliée : pour quoi faire ? C’est-à-dire comment ce recrutement s’inscrit-il dans la stratégie de l’entreprise.
Et là surgit la première réponse à la question de l’impact. Aujourd’hui, faire parler un actionnaire ou un dirigeant de la stratégie de son entreprise, c’est aussi lui permettre d’exprimer ses ambitions en matière d’impact ESG. Il n’en a pas ? Très bien. Nous ne sommes ni juge, ni modèle, ni conseil en la matière. Il y a fort est à parier qu’il en a et la mise en œuvre de cette approche nous le confirme tous les jours.
Aussi, alors que notre grille de lecture d’un poste et des qualités nécessaires pour le tenir était dictée par la stratégie de l’entreprise (internationalisation, fusion, évolution capitalistique, retournement, pivot…), elle s’enrichit désormais de ses objectifs ESG.
C’est donc notre mission de recruteur, de même que nous devons associer un recrutement à un projet d’entreprise, de proposer une grille de lecture du poste et des candidats intégrant les objectifs ESG. Concrètement la question de savoir "quel est l’impact attendu de la direction X dans le projet d’amélioration de l’Ebitda, de la top line, du pivot, de l’internationalisation, etc." s’enrichit de "quel est son impact sur les critères ESG définis comme prioritaires par l’entreprise".
Partant, la lecture faite du candidat s’en trouve modifiée, mais aussi le poste enrichi de considérations devenues importantes et motivantes pour la plupart des candidats.
Notre deuxième mission réside dans notre conviction que les mondes de l’entreprise commerciale et de l’entreprise solidaire ou à impact, des grandes structures associatives ou ONG, sont voués à être de plus en plus perméables. Nous souhaitons accélérer ce processus de pénétration de ces différents mondes en réunissant régulièrement leurs acteurs, lesquels sont naturellement nos clients et candidats.
Notre troisième mission sera annoncée sous peu dès que sa réalisation sera concrétisée.
- Raison d’être et attractivité
La manne déversée depuis peu sur l’environnement tech et digital, le next40, les licornes, tend extraordinairement un marché du recrutement, déjà saturé d’offres par le secteur du conseil.
Plus que jamais le pourquoi d’un poste remplace le comment dans la perception d’un candidat. Pour autant, nous observons une autre dérive, parfois constatée déjà dans des organisations caritatives : la raison d’être d’une entreprise, serait-elle magnifique, ne saurait jamais justifier la mise à l’écart des aspirations individuelles. Non seulement chaque individu est mû par des leviers fondamentaux différents lesquels sont potentiellement évolutifs. Une entreprise commerciale étant composée d’individus, si elle plaque une raison d’être, elle communique. Pour que chacun puisse s’inscrire dans une raison d’être commune, il faut que celle-ci respecte, comme légitime, sa propre raison d’être individuelle, et la laisse s’exprimer un tant soit peu.
Sur l'auteur
Léonard Briot de La Crochais est le créateur d’Abaq, acteur reconnu du recrutement pour les ETI et des participations de fonds. Il a été rejoint par Yvan Coquentin. Avec Luc Meuret, fondateur de YourVoice, spécialisé dans l’économie sociale et solidaire et la santé, et avec un acteur spécialisé dans l’environnement digital, ils ont décidé de fonder le premier cabinet de recrutement dont la mission est de faire converger profits financiers et extra-financiers.
LES POINTS CLÉS
• 16 % des salariés se sentent complètement investis dans leur travail ;
• Une tension très forte sur les recrutements avec un effet d’aspiration par la tech et l’afflux (enfin !) d’investissements ;
• Une prise de conscience généralisée de la nécessité de combiner économie et limites de la planète, dans une recherche d’équilibre social ;
• Les recruteurs ont des clefs à apporter dans cette équation entre nécessité d’agir, besoin de sens, et capacité à attirer les talents.
1 Céline Puff-Ardichvili et Fabrice Bonnifet "L’entreprise contributive : concilier monde des affaires et limites planétaires'"