Présidentielle : l'entreprise, enjeu de société
La crise de la Covid-19 tout comme la guerre en Ukraine ont fait prendre conscience aux pays européens de la nécessité d’être moins dépendants de l’international. Un tournant après des années de délocalisations, qui ont fini par désindustrialiser la France, creuser son déficit commercial et fait perdre par là même de précieuses compétences. L’industrie, qui représentait 23 % de la richesse produite dans l’Hexagone au début des années 1980, ne pèse plus que 13,4 % du PIB, contre 17 % en Italie et 22 % en Allemagne, selon France Industrie. Les gouvernements d’Édouard Philippe puis de Jean Castex se sont attachés à rendre le pays plus attractif, notamment par la voix d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie qui occupe savamment le terrain. Parmi les annonces phares pour redresser la situation : les mesures du plan de relance ou encore du projet "France 2030".
Allégement d'impôts
Malgré les initiatives déjà en place et celles à venir, le chemin est encore long même si les candidats prennent le sujet à bras-le-corps. Chacun s’est notamment exprimé sur les impôts de production et l’impôt sur les sociétés. Sous le quinquennat Macron, le taux d’impôt sur les sociétés aura été abaissé de 33,3 % à 25 % tandis que les impôts de production ont fondu de 10 milliards d’euros, le tout en grande partie au profit de l’industrie. Que proposent de plus les prétendants à l’Élysée ? Pour Yannick Jadot – dont les politiques sont tournées vers la transition écologique –, il ne s’agit pas de maintenir ou supprimer les taxes mais de "faire du bonus-malus sur les outils de politique publique". L’écologiste souhaite que les baisses sur les impôts de production soient "discriminantes", afin de ne pas favoriser les grands groupes, qui souvent émettent davantage de CO2 que les plus petits.
En France, l’industrie, qui représentait 23 % de la richesse produite dans l’Hexagone au début des années 1980, ne pèse plus que 13,4 % du PIB
Le programme libéral de Valérie Pécresse vise, lui, une baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production, soit moins que ce que le Medef espère (35 milliards). Mais le rabais pourrait s’avérer plus conséquent si les économies sur les comptes publics que la présidente de la région Île-de-France appelle de ses vœux sont au rendezvous. La réduction sera en tout cas davantage prononcée que celle proposée par Emmanuel Macron, qui atteint les 7 milliards d’euros et se traduira par une suppression de la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Du côté de l’extrême droite, Éric Zemmour comme Marine Le Pen s’engagent pour une baisse des impôts de production, à hauteur de 30 milliards pour le candidat de Reconquête! et fléchée vers les TPE-PME pour la leader du RN. Quant à Anne Hidalgo, elle ne se mouille pas. La maire de Paris ne souhaite pas toucher aux impôts sur les sociétés, que ce soit à la hausse ou à la baisse.
Compétitivité, un enjeu pour tous
Si les candidats attaquent par-ci par-là les écarts de rémunération entre les dirigeants et les salariés ou encore s’émeuvent d’une taxation trop faible des plus grands groupes, les prétendants à l’Élysée sont bien loin de viser le monde économique dans son ensemble. Alors que la finance était l’ennemie de François Hollande durant sa campagne présidentielle, aujourd’hui les leaders des partis politiques ont un discours adouci face à l’économie. Il suffit d’avoir suivi leur grand oral devant le Medef en février pour se rendre compte qu’ils reconnaissent l’importance d’un tissu d’entreprises fort et ne cherchent pas l’opposition frontale.
Du côté de Yannick Jadot et d’Anne Hidalgo, on table sur une compétitivité et des relocalisations dopées par la transition écologique et l’innovation. Le candidat des Verts estime que "la transition se fera avec les entreprises ou ne se fera pas". Pour cela, il envisage d’investir chaque année 25 milliards d’euros dans les infrastructures nécessaires à la transformation des modes de vie, de production et de consommation. La maire de Paris ambitionne, elle, d’accompagner les entreprises dans leur réduction d’émissions et de créer un fonds de réindustrialisation et d’emploi local doté de 3 milliards d’euros qui investira dans les sociétés en difficulté. Elle souhaite également créer un livret de développement industriel par l’écologie afin de flécher l’épargne des Français vers ce type de projets.
Le Medef s’est bien gardé de se prononcer sur tel ou tel candidat
Valérie Pécresse veut également orienter l’épargne vers des fonds d’investissement stratégiques. Elle entend aussi développer des champions nationaux dans les industries du futur, comme les véhicules automnes, l’intelligence artificielle, l’industrie spatiale. La candidate LR compte mettre sur la table un milliard d’euros supplémentaires pour la recherche fondamentale et les innovations stratégiques et renforcer l’industrie de la défense par la commande publique. L’énarque propose en parallèle un small business act pour donner la priorité aux produits fabriqués en France.
Patriotisme économique
Une mesure qui entre en résonance avec les programmes des personnalités d’extrême droite qui prônent un patriotisme économique. Marine Le Pen promet de revoir les accords de libre-échange qui ne respectent pas les intérêts de la France. "Le juste échange doit remplacer le libre-échange", précise-t-elle. Ce n’est pas Éric Zemmour qui la contredira sur ce point, lui qui estime que l’on assiste "à la fin de la mondialisation heureuse" et qu’il faut arrêter de signer ce type d’accords. Le candidat de Reconquête! entend aussi élargir le contrôle des investissements étrangers à tous les secteurs. La simplification administrative dont on a moins entendu parler ces derniers temps mais qui pourtant est l’une des demandes des Français qui disent crouler sous les règles et ne pas arriver à s’orienter dans le dédale de normes françaises et européennes, est également au programme des droites. "Les entrepreneurs ne veulent pas d’aides, nous dit Éric Zemmour. Ils veulent moins de taxes, moins de normes." Valérie Pécresse abonde également dans ce sens, elle qui souhaite "débureaucratiser", en réduisant les normes et supprimant 500 organismes publics inutiles ou qui font doublon.
Fin novembre, un sondage OpinionWay pour legalstart.fr révélait que 43 % des chefs d’entreprise envisageaient de voter pour Emmanuel Macron. Mais les dés sont loin d’être jetés puisque, à l’époque, les programmes des candidats n’étaient pas encore connus. Les électeurs donnerontils une prime au sortant et à celui qui a mis en place le "quoi qu’il en coûte" pour soutenir l’économie pendant la crise ou lui préférerontils un changement de méthode et d’ambitions ? À l’issue de leurs interventions devant le Medef, le patronat s’était bien gardé de se prononcer sur tel ou tel candidat, ce qui n’avait pas empêché le président délégué de l’institution, Patrick Martin, de préciser : "On voit quand même, et vous ne me ferez pas dire à qui je pense, qu’aux yeux des chefs d’entreprise, certains programmes sont plus puissants, plus efficaces, plus pertinents que d’autres." Reste à savoir ce qu’il ressortira de l’analyse de leur vote à l’issue des scrutins d’avril.
Olivia Vignaud