N. de Germay (AIR): "Lever la peur qui entoure une entreprise en retournement "
Décideurs. Dans le contexte relativement atone du marché du restructuring, comment agit l’AIR ?
Nicolas de Germay. L’association regroupe les principaux investisseurs en retournement français. Un besoin nécessaire dans le paysage associatif, car les investisseurs en retournement n’étaient pas rassemblés dans un cadre à part entière auparavant. Pour cela, nous réunissons la profession lors de deux événements : l’Observatoire du Carve Out et le sommet Restructuration et Transformation. Le but est à la fois de faire passer des messages au marché et aux pouvoirs publics afin d’améliorer les conditions d’exercice des professionnels et de leur donner des occasions pour échanger sur leurs meilleures pratiques. Régulièrement, nous nous réunissons pour partager des points de méthodologie, et soulever des questions de jurisprudence. Afin de garantir la qualité de la réflexion que nous portons, nous opérons une sélection à l’entrée dans l’association. Enfin, notre mission est de développer un cadre qui améliore les conditions de reprise d’entreprises en difficulté en France, aussi bien avant qu’après un dépôt de bilan. L’ambition est de donner aux investisseurs les moyens d’agir pour maintenir les emplois et les outils industriels en France. À ce titre, nous avons fait le 14 octobre dernier 12 propositions au gouvernement destinées à mettre en place un cadre d’investissement efficace.
"Un concurrent, un fournisseur ou un distributeur a souvent une très bonne connaissance des problématiques de l’entreprise en situation de retournement"
Qu’avez-vous proposé au gouvernement ?
Ce sont des points très techniques et encore en discussion aujourd’hui. Il est trop tôt pour entrer dans les détails mais la ligne conductrice de nos recommandations vise à faciliter les opérations d’investissement – via des aménagements techniques – et développer le nombre d’investisseurs, notamment dans des entreprises de moyennes ou petites tailles pour lesquelles des industriels-repreneurs restent trop faibles sur le marché. Un concurrent, un fournisseur ou un distributeur a souvent une très bonne connaissance des problématiques de l’entreprise en situation de retournement, ainsi que l’expertise et les moyens nécessaires pour investir dans sa reprise. Ces investisseurs apporteraient des moyens complémentaires à ceux des acteurs traditionnels du retournement.
"concrètement, il n’y a que 200 ou 300 sociétés par an qui intéressent les investisseurs en retournement sur les 50 000 dépôts de bilan habituels"
Quel regard portez-vous sur le marché pour un investisseurs industriel aujourd’hui ?
Il est vaste. Pour investir dans une entreprise en difficulté on pense systématiquement aux fonds de retournement alors que concrètement, il n’y a que 200 ou 300 sociétés par an qui intéressent ces acteurs, sur les 50 000 dépôts de bilan habituels - les 20 000 dossiers de la période impactée par le Covid étant une anomalie. 72% de ces défaillances vont directement en liquidation judiciaire alors que 22% d’entre elles sont potentiellement redressables et parmi elles, seules 200 sociétés de plus de 50 salariés sont le cœur de marché des membres de l’AIR. Il est compliqué pour un investisseur en retournement de lancer un projet sous ce seuil, les structures sont trop petites, sans ligne de management intermédiaire et elles requièrent une implication très opérationnelle dont dispose en revanche des investisseurs industriels. Ce sont pour ces dossiers - aux effectifs inférieurs à 50 salariés - qu’il faut améliorer le cadre d’investissement, d’où l’importance de discuter avec toutes les parties prenantes à l’avenir et de lever la peur qui entoure une entreprise en situation de retournement.
Propos recueillis par Céline Toni