Les laboratoires Delbert, qui ont fait de la remise sur le marché de médicaments essentiels indisponibles une spécialité, ont bouclé une levée de fonds et une acquisition au deuxième semestre 2020. Marc Childs, président-fondateur de l’entreprise, Anthony Gribe et Jean-Christophe Liard, respectivement Head of Corporate Finance et Director chez Neuflize OBC, reviennent sur cette opération menée dans un contexte de crise sanitaire.

Décideurs. En pleine crise sanitaire, les laboratoires Delbert ont réalisé une double opération d’acquisition et de ­levée de fonds. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?

Marc Childs. La levée de fonds s’est déroulée pendant la crise de Covid. Le contexte de relation à distance et d’absence de visibilité a requis des choix et de la réactivité, de notre part comme de celle de la Banque Neuflize OBC. Nous menions une opération d’envergure avec un grand groupe pharmaceutique et devions disposer des fonds au 30 juin. Neuflize OBC était devenue mon partenaire bancaire quatre ans auparavant. Nous avions par conséquent noué un contact humain privilégié, sans oublier l’historique de financement des acquisitions réalisées précédemment. Tout cela a fluidifié la réalisation de l’opération et contribué à son succès.

Anthony Gribe. De notre côté, nous avons proposé différentes options en remplissant deux objectifs : optimiser la structuration de l’opération et respecter les contraintes de temps très serrées. La première consistait à mettre en concurrence une composition de dette bancaire et mezzanine face à des unitrancheurs. En parallèle de ce financement non dilutif, les fonds propres de la société nécessitaient d’être renforcés afin ­d’assurer leurs perspectives de développement à long terme.

Pourquoi avez-vous décidé de recourir à des fonds de dette unitranche ?

Jean-Christophe Liard. Nous avons envisagé de monter un financement bancaire classique, mais les contraintes de temps imposées par l’acquisition auprès de Sanofi, nous ont conduits à opter pour une solution plus flexible. C’est pour cela que le choix s’est porté sur les unitrancheurs, qui interviennent souvent plus rapidement que des banquiers classiques, en particulier pour un financement d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments. Parmi les offres reçues, ce sont celles de Bpifrance et CIC Private Debt, en ligne avec la volonté du laboratoire de favoriser l’implantation des médicaments de qualité en France, qui ont été retenues.

M. C. Il nous fallait prendre en considération à la fois le closing avec l’achat du Lepticur auprès de Sanofi pour une vingtaine de millions d’euros, mais aussi la ­restructuration et l’augmentation de nos fonds propres et capacités d’investissement futures sur des cibles identifiées. L’emprunt bancaire classique n’ayant pas pu se boucler à temps, nous avons opté pour une stratégie de dette unitranche, sans attendre la réunion d’un pool bancaire.

"Le projet n’avait pase besoin de bénéficier d’une enchère large" Anthony Gribe

Comment le choix des investisseurs en fonds propres s’est-il tranché ?

A. G. Nous avons fait une sélection restreinte en sélectionnant des fonds evergreen, des investisseurs ayant une culture growth et d’autres avec une culture bancaire plus longue. L’actionnariat final combine le meilleur de ces univers. Ont ainsi été retenus Sagard NewGen, le tandem Idia Socadif, qui, en plus, ont su s’allier à la Mutuelle d’assurance des professionnels de la santé (MACSF) qui comprend bien les enjeux médicaux et sociétaux. Un atout pour l’institutionnalisation du laboratoire.

Comment le capital a-t-il été structuré ?

A. G. Les investisseurs sont entrés au capital avec un mix de fonds propres et de quasi-fonds propres, afin de limiter la dilution des actionnaires historiques. Ils ont, en outre, doublé les 20 millions d’euros libérés au closing en s’engageant à fournir 20 millions d’euros supplémentaires au laboratoire, qui s’est vu ainsi doté d’une capacité d’intervention assez large.

M. C. Outre le déploiement d’un plan d’intéressement du management, nous avons mis en place des lignes de tirage « equity », inscrites dans le contrat et dans les livres des investisseurs. Celles-ci représentent un certain coût au moment de la signature mais c’était une bonne décision. La société a d’ores et déjà dépassé son plan d’affaires et eu recours à ces financements. Au-delà des différentes acquisitions planifiées avant le closing, nous venons de signer une acquisition significative dont le closing est prévu en 2022.

"Les big pharma délaissent certains médicaments" Jean-Christophe Liard

En quoi l’intervention de Neuflize OBC a-t-elle été déterminante ?

M. C. L’accompagnement de la Banque sur la partie documentaire de tous ces prêts et investissements est essentiel. Les renforcements des différentes facilités et contrôles s’avèrent de plus en plus difficiles à comprendre pour les entrepreneurs.

C’est également sur le plan de la structuration de l’opération que Neuflize OBC a été particulièrement différenciant. La création de valeur pour les actionnaires a été clairement soutenue grâce à leur vision globale du deal.

A. G. Il faut savoir être flexible, innovant et à l’écoute des contraintes et attentes de nos clients. Preuve en est l’évolution de la mission, puisqu’il n’y a rien de commun entre le deal de départ et la réalisation finale. Ensemble, nous sommes parvenus à traiter les différentes problématiques pour amener cette entreprise patrimoniale à une autre échelle.

La Banque Neuflize OBC n’en est pas à sa première opération dans le secteur de la santé. En quoi celle-ci diffère-t-elle des autres ?

J-C. L. Parmi les investisseurs, certains avaient déjà contacté la société et prévoyaient d’attribuer des fonds propres avant l’acquisition. Nous avons proposé d’envisager les choses d’une autre manière, à savoir sécuriser le financement de l’acquisition dans un premier temps avant d’inviter les investisseurs au capital. Cette approche a permis d’optimiser l’opération sur une base de valorisation plus importante et donc avec une moindre dilution des actionnaires historiques.

A. G. La santé est effectivement un secteur sur lequel Neuflize OBC détient une réelle expertise. Nous réalisons de nombreuses opérations avec des laboratoires pharmaceutiques. En raison de la technicité de ce secteur, il y a peu d’acteurs capables d’intervenir sur des problématiques de financement et de transmission d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Cet atout majeur permet de bien appréhender le modèle économique d’un laboratoire comme Delbert puisque nous sommes familiers avec le sous-jacent.

"La production des médicaments essentiels est à défendre sur le territoire européen" Marc Childs

S’il devait y en avoir une, quelle serait la spécificité de Delbert ?

J-C. L. Malheureusement pour les patients, les big pharma délaissent certains médicaments. Aujourd’hui, les grands laboratoires pharmaceutiques internationaux ne sont plus intéressés par des médicaments générant de petits volumes. L’ambition des Laboratoires Delbert est de générer de la croissance qui a du sens et un impact positif pour les patients en rachetant ces médicaments, soit pour les maintenir, soit pour les remettre sur le marché.

M. C. L’acquisition du Lepticur vient renforcer notre portefeuille qui compte aujourd’hui quatorze produits dont sept antibiotiques. Il s’agit d’un produit phare, connu des centrales d’achat pharmaceutiques auprès de big pharma. Avant la crise de Covid, nous considérions déjà que la production des médicaments essentiels était à défendre sur le territoire européen. Alors que la pandémie a mis en lumière le fait que les matières premières se trouvent en Chine ou en Inde, Delbert contribue à garantir l’indépendance de la France. Nous sommes ainsi fiers de fabriquer des produits en Europe et de les diffuser majoritairement dans l’Hexagone.

Comment assurez-vous ce positionnement ?

M. C. Notre laboratoire, qui compte quinze personnes dont sept pharmaciens, conjugue une multitude de savoir-faire scientifiques. Il n’y a pas d’équipe commerciale. Nous ne travaillons que sur des produits essentiels et sans génériques, mais abandonnés. Les génériqueurs ne travaillent que sur des gros volumes. À titre d’exemple, aucune copie du Clamoxyl, lancé il y a 40 ans et que nous produisons pour la Belgique, n’existe aujourd’hui alors que c’était le cas dans le passé. Par ailleurs, Delbert fait d’importants efforts avec les partenaires industriels afin de garantir l’approvisionnement de médicaments essentiels sur les marchés.

Allez-vous devenir une entreprise à mission ?

M. C. Nous réfléchissons effectivement à inscrire notre raison d’être dans les statuts et à formaliser notre mission. En moins de trois ans, nous sommes passés de 3 à 22 millions d’euros de chiffre d’affaires, grâce à une combinaison de croissance organique et externe. Ce développement exponentiel doit être accompagné de valeurs comme la pérennité de l’offre. Nous avons déjà ­adopté une démarche ESG avec des cotations de tiers ESG.

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