M. Vial (APE) : "Nous avons créé une charte RSE"
Décideurs. Comment définissez-vous le capitalisme responsable ?
Martin Vial. Je le vois comme une économie qui, à travers les entreprises, crée de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes (actionnaires, salariés, clients, fournisseurs, sous-traitants, etc.).
Que se passe-t-il si ce principe n’est pas respecté ?
Par exemple, une entreprise dont les salariés ne sont pas satisfaits n’est plus attractive pour recruter et verra la qualité de ses ressources humaines diminuer. Ce qui aura un impact sur sa performance. Autre exemple, celui des sous-traitants. La situation sanitaire a entraîné une crise dans l’approvisionnement des semi-conducteurs, notamment parce que les grands constructeurs automobiles ont stoppé au printemps 2020 leurs commandes auprès de leurs sous-traitants car leur activité était à l’arrêt. Ils ne se sont pas placés sur le long terme. Lors de la reprise, leurs fournisseurs ont satisfait en priorité les clients qui les avaient soutenus durant les confinements. On voit bien que ne pas prendre en compte toutes les parties prenantes peut conduire à des résultats catastrophiques.
Les objectifs des entreprises sont-ils alignés avec ceux de l’État actionnaire ?
L’État est un actionnaire un peu particulier. Il a un rôle d’optimisation patrimoniale mais représente l’État, qui a des préoccupations d’intérêt général. L’évolution récente de la législation, notamment avec la loi Pacte, et les attentes des marchés en matière de RSE contribuent à rapprocher les préoccupations de l’État de celles des actionnaires et des entreprises.
"L’APE a un rôle d’optimisation patrimoniale mais représente l’État, qui a des préoccupations d’intérêt général"
Comment l’Agence des participations de l’État contribue-t-elle au développement d’un capitalisme davantage responsable ?
Nous avons créé une charte RSE pour le portefeuille de l’APE, qui a été envoyée à tous les dirigeants des entreprises dans lesquelles nous sommes investis. Il s’agit d’entreprises publiques ou de groupes dans lesquels nous sommes le premier actionnaire, même si nous ne sommes pas majoritaires. Nous avons indiqué aux dirigeants nos attentes en matière de RSE afin que les entreprises se dotent d’une feuille de route ambitieuse avec des critères extra-financiers qui permettront un suivi régulier des sujets tels que la rémunération des dirigeants, l’environnement, les critères d’achat, la gestion des RH ou la prise en compte de l’ensemble des acteurs. On est dans du concret.
Auriez-vous des exemples ?
Lors de la crise de 2020, l’État est venu en aide à Air France-KLM. En contrepartie, le groupe a pris des engagements en matière de réduction de CO2 pour 2025 et 2030. Cela se traduit par la suppression des lignes intérieures domestiques pouvant être réalisées en train en moins de 2h30. C’est une décision majeure que d’accepter de transférer ce trafic. En parallèle, la SNCF – dans laquelle l’APE est investie – arrête l’utilisation du glyphosate qui, jusque-là, lui permettait de désherber l’ensemble de ses réseaux. Cela entraîne des coûts supplémentaires de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros que l’actionnaire doit accepter. Mais on ne peut pas d’un côté inciter une compagnie aérienne à transférer son trafic vers le rail, sans s’assurer que celui-ci prend des mesures pour protéger l’environnement. Le train doit être exemplaire.
La disparité des données RSE n’est-elle pas un frein pour que vous puissiez évaluer les progrès des entreprises ?
Je suis pragmatique. Je veux que les engagements RSE soient totalement intégrés à la stratégie des entreprises. Mais ces engagements ne peuvent pas être les mêmes quand on parle de Renault, de la FDJ ou de Dexia. Les métiers ne sont pas similaires, les historiques et la densité des missions non plus. On ne peut pas comparer EDF et ses 90 % d’émission décarbonées avec celles d’Engie qui dépend encore un peu du charbon et du gaz. L’important c’est que les objectifs progressent.
Propos recueillis par Olivia Vignaud