Le groupe Servier poursuit sa montée en puissance dans le cadre de la recherche contre le cancer. Après avoir acquis la branche oncologie du laboratoire Shire en 2018, puis la société de biotechnologie Symphogen, spécialisée dans la découverte d’anticorps de nouvelle génération en 2020, il signe, en avril 2021, l’acquisition de la division oncologie de la société pharmaceutique américaine Agios Pharmaceuticals. Entretien avec Pascal Lemaire, Vice-Président Exécutif Finance et CFO du groupe Servier.

Décideurs. Pouvez-vous nous expliquer les différentes étapes qui ont permis de faire aboutir cette acquisition ? 

Pascal Lemaire. Pour comprendre cette acquisition, il faut revenir sur l’univers même de l’industrie de la santé. Les acteurs se connaissent et échangent de façon régulière. Nous sommes ainsi, depuis plusieurs années, en contact avec Agios et connaissions bien la société et les synergies possibles. La division oncologie de cette société américaine, parce qu’elle développe des solutions thérapeutiques pour une catégorie très spécifique de patients, répond à l’ambition de notre Groupe : faire avancer le progrès thérapeutique en oncologie pour le traitement des cancers dont les besoins médicaux sont encore peu couverts par l’industrie pharmaceutique.

Nous avons sérieusement envisagé cette acquisition dès l’été 2020. Pour cela, nous avons dû cerner les actifs de l’entreprise, comprendre sa culture et sa vision. Une première étape importante qui nous a permis de faire une non-binding offer en septembre 2020 avant de rentrer dans la phase plus complexe de la due diligence. Lors de celle-ci, nous avons analysé les études cliniques pilotées par l’entreprise et vérifié la qualité de ses données. Nous nous sommes assurés que la société était en règle avec les autorités publiques. Qu’elle était titulaire des autorisations réglementaires nécessaires et que ses brevets étaient solides… Un nombre incalculable de questions sont soulevées, aussi bien sur le plan scientifique, médical, stratégique, industriel, réglementaire que commercial. Un travail complexe mais crucial pour la réussite d’une telle opération.

En parallèle, nous avons fait en sorte que les études cliniques en cours ne soient ni ralenties ni stoppées par nos discussions. L’inverse aurait été contraire à notre engagement et à notre mission en faveur du patient. 

Le tout, dans un contexte de crise sanitaire, de fermeture des frontières et de confinements multiples… 

Effectivement. À cause de la crise sanitaire, nous avons eu très peu de contacts en présentiel avec les équipes d’Agios. Ce qui est particulièrement délicat lorsque l’on cherche à capter la culture d’une entreprise et à nous assurer que nous avons, avec elle, la même vision à long terme. Mais aussi la même envie d’innover et la même approche du patient. Celui-ci est au cœur de l’activité du groupe Servier. Malgré le contexte, nous avons pu échanger quasi quotidiennement en distanciel avec les équipes d’Agios, ce qui nous a permis d’appréhender leur culture d’entreprise et leur vision qui sont très proches des nôtres.

"À cause de la crise sanitaire, nous avons eu très peu de contacts en présentiel avec les équipes d’Agios. Ce qui est particulièrement délicat lorsque l’on cherche à capter la culture d’une entreprise"

Quelles sont les difficultés en jeu, lorsqu'il s’agit d’acquérir une société pharmaceutique ? 

Ce qui est délicat, dans notre secteur, c’est que la valorisation des actifs, principalement les études cliniques, est volatile. Elle varie en fonction de la probabilité de succès de ces études. Ce qui n’est jamais totalement assuré. Y compris en phase 3. Au-delà de la question de la valorisation de l’actif, se pose celle des droits sur une molécule. Acquérir une molécule ne suppose pas forcément d’acquérir tous les droits. Ceux-ci peuvent aussi être détenus par des partenaires de l’entreprise qui ont parfois largement contribué au développement de la molécule en question et peuvent donc détenir des droits commerciaux sur certains marchés. C’est une information particulièrement importante, voire capitale, dans notre secteur. Il faut absolument prendre en compte ces partenariats. 

Et des opérations suivies de près par les autorités de régulation…

Bien sûr. Dans le secteur pharmaceutique, lors d’une opération de M&A, le régulateur européen s’assure que l’acheteur n’est pas d’ores et déjà propriétaire d’un actif similaire à celui qu’il souhaite acquérir pour une population de patients identique. En d’autres termes, il vérifie que la concurrence entre les molécules sera respectée pour éviter de possibles distorsions commerciales. Tous les projets de recherche en phase avancée doivent pouvoir être menés à terme pour le bénéfice des patients. Nous nous sommes par ailleurs assurés que nous respections les lois antitrust dans les pays concernés. Mais cela n’est pas propre à l’univers pharmaceutique.

Propos recueillis par Capucine Coquand

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