Réforme de la fiscalité internationale : réelle révolution ou pavé dans la mare ?
L’accord est historique. Rien de moins que "l’accord fiscal international le plus important conclu depuis un siècle", avance le ministre français de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire. Plus de 130 pays et juridictions du Cadre inclusif ont ainsi adopté le nouveau plan et ses deux piliers, l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés et une meilleure répartition de celui-ci, mis sur pied par l’OCDE. Parmi ceux-ci, les États-Unis, qui, sous l’impulsion de leur nouveau président, Joe Biden, réclamaient une réforme en profondeur du système fiscal dans le monde, mais également la France et aussi l’ensemble des poids lourds du G20, Chine et Inde comprises. Au total, c’est plus de 90 % du PIB mondial qui est représenté parmi ces pays.
Un taux d’imposition mondial minimal harmonisé mais débattu
C’est dans le second pilier de cet accord que réside la mise en place d’un impôt mondial minimum pour les sociétés. Le taux actuellement arrêté, mais qui sera encore soumis à débat en octobre lors de la prochaine réunion de l’OCDE sur le sujet, est d'au moins 15 %. Déjà, ce chiffre fait parler. À ce titre, il n’est pas inutile de rappeler que le taux moyen de l’impôt sur les sociétés (IS) dans le monde a considérablement chuté, passant de plus de 40 % à environ 25 % entre les années 80 et aujourd’hui. Symbole de la compétition fiscale acharnée que se livrent les États, le taux avancé est donc jugé trop bas et nombre de pays, voire les commissions spécialisées, plaident pour que celui-ci soit revu à la hausse. L’ICRICT (Independant Commission for the Reforme of International Corporate Taxation), sous l’impulsion d’économistes tels que Thomas Piketty, Joseph Stiglitz ou Gabriel Zucman, plaide pour un taux d’imposition minimum de 25 %. Quand d’autres ONG ou, là encore, les États-Unis, souhaitaient que celui-ci soit fixé à 21 %.
La détermination de ce taux n’est pas anodine. Si 15 % suffisent, de facto, à rendre les paradis fiscaux obsolètes, il sera nécessairement débattu. C’est, notamment, sur ce fondement que l’Irlande, la Hongrie et l’Estonie – pour ne citer que les pays européens – refusent de signer l’accord. Si, à l’image de l’Irlande, ces pays restent aujourd’hui dans les négociations, il est nécessaire de parvenir à les convaincre de signer. Un exercice d’équilibriste quand on comprend que d’autres pays – comme le Nigéria, le Kenya et le Sri Lanka – se montrent réfractaires, car le taux est jugé trop bas. Pour les amener à trouver un consensus, c’est donc sur le premier pilier que les pays développés ont consenti un effort, en augmentant la tranche de bénéfices concernée par cette disposition, parvenant ainsi, au cours des deux derniers mois à faire signer le Pérou, le 5 juillet et, plus récemment, le Togo, le 31 août.
Le choix de l’assiette d’imposition : nouvelle forme d’optimisation fiscale ?
Cependant, le débat autour du taux pourrait bien se détourner sur une seconde problématique : celle de son assiette d'imposition. Au-delà de la question de savoir à quel taux seront taxés les revenus des sociétés, une autre se pose. Celle des limites plus ou moins entendues de cet accord qui tient au périmètre concerné par cet impôt mondial minimum.
Si le taux s’harmonise à l’échelle internationale, les sociétés pourraient alors être tentées de se tourner vers une nouvelle forme de dumping fiscal, à la recherche d’exemptions. Au premier rang desquelles, les crédits d’impôt recherche, dans le cas de la France. De telles exonérations permettront de réduire plus ou moins substantiellement l’assiette de l’imposition et donc, d’alléger l’impôt de manière plus significative dans un pays plutôt qu’un autre, malgré un taux minimal commun.
La promesse d’une meilleure répartition des "bénéfices excédentaires"
Dès lors, c’est dans le premier pilier qu’un autre changement majeur pourrait être apporté. Celui-ci prévoit notamment une meilleure répartition des bénéfices excédentaires. À savoir, ceux réalisés au-delà du seuil des 10 % de rentabilité, c’est-à-dire le ratio entre le bénéfice avant impôts et le chiffre d’affaires. Sur cette tranche des bénéfices, 20 à 30 % seraient attribués aux juridictions de marché où des multinationales, concernées par le projet, réalisent au moins 1 million de recettes – ou bien 250 000 euros si le PIB du pays est inférieur à 40 milliards d’euros.
Cependant, cette règle n’aurait pas vocation à s’appliquer à toutes les sociétés, mais bien aux seules multinationales dont le chiffre d’affaires mondial dépasse les 20 milliards d’euros et dont la rentabilité est supérieure à 10 %. Malgré un champ d’application bien dérisoire, qui ne concerne pas plus d’une centaine d’entreprises dans le monde – les industries extractives et les services financiers réglementés en étant exclus –, il aura vocation à s’étendre en abaissant le montant du chiffre d’affaires à 10 milliards d’euros d’ici sept ans.
Une disposition toutefois intéressante puisqu’elle fait fi de toute présence d’établissement stable au sein de la juridiction concernée. La seule condition, désormais, serait la réalisation de recettes en son sein. Une manière de toucher les géants du numérique – dont les Gafam –, arguant de l’absence d’établissement stable pour délocaliser l’ensemble de leurs bénéfices dans des pays faiblement imposés.
Des retombées fiscales importantes attendues
Si l’on peut aujourd’hui percevoir certaines des limites de cette réforme, nul ne peut nier qu’il s’agit bien d’un grand pas en avant pour la fiscalité mondiale et particulièrement dans la lutte contre l’évasion et plus largement l’optimisation fiscale agressive des grandes entreprises – en particulier du numérique. De plus, les recettes fiscales espérées par les États ne sont pas à négliger.
Ainsi, lorsque l’OCDE annonce qu’un taux mondial minimum d’imposition fixé à 15 % "devrait générer environ 127 milliards d’euros de recette fiscales supplémentaires par an au niveau mondial", la France ne sera pas en reste. Le Conseil d’analyse économique estime que ce second pilier devrait lui permettre de gagner près de 6 milliards d’euros à court terme, puis 2 milliards sur le long terme – en prenant en compte une hausse inévitable des taux d’imposition des paradis fiscaux.
De plus, le premier pilier de la réforme devrait également permettre d’enregistrer une hausse des revenus fiscaux des États dans le monde de près de 84 milliards d’euros, dont près de 900 millions d’euros pour la France, toujours selon le Conseil d’analyse économique.
David Glaser