La Banque centrale européenne a rendu publique sa nouvelle stratégie de politique monétaire le 8 juillet 2021, fruit d’une évaluation profonde entamée dix-huit mois auparavant. Réitérant son mandat d’assurer la stabilité des prix, le Conseil des gouverneurs de la BCE a ainsi dévoilé son objectif d’inflation et un plan d’action visant à combattre le changement climatique.

Avec deux mois d’avance, les vingt-cinq membres du Conseil ont trouvé un accord de façon unanime et pourront profiter de vacances bien méritées. Charge aux observateurs et autres commentateurs économiques de digérer cette stratégie monétaire remodelée, mise à jour précédemment il y a près de vingt ans, en 2003. En réalité, le Conseil des gouverneurs se réunit encore à Francfort le 22 juillet mais il est peu probable que des mesures chocs y soient annoncées.

Certains diront que ce long processus de revue stratégique a accouché d’une souris. Néanmoins, il a l’avantage d’avoir clarifié la cible d’inflation qui jusqu’alors était définie comme « proche, mais en dessous, de 2% » et qui se révélait être floue d’une part, et maintenait un plafond théorique infranchissable d’autre part. Certes, la BCE n’a jamais réussi à ne serait-ce flirter avec celui-ci, malgré l’attirail déployé.

"Cette nouvelle stratégie forme une base solide qui nous guidera dans la conduite de la politique monétaire au cours des années à venir" (C. Lagarde)

Non seulement l’objectif d’inflation est désormais fixé à 2% à moyen terme, mais Christine Lagarde a prévenu que la BCE ne serait pas préoccupée outre mesure par une inflation supérieure à la cible dans certaines circonstances. De surcroît, l’objectif se veut « symétrique », la présidente de la BCE précisant que des niveaux d’inflation durables supérieurs ou inférieurs à 2% sont « tout autant indésirables ».

Grâce à ce léger ajustement lexical, la BCE se laisse plus de marge afin de garder ses taux à zéro et il est donc vraisemblable qu’elle les maintienne à la surface de la mer encore pour un certain temps. De fait, le taux annuel d’inflation des prix à la consommation de la zone Euro a été de 1,9% en juin, en légère baisse du point haut de mai qui, à 2%, n’avait jamais été atteint depuis plus de trois ans.

 

Cette politique « dovish » - de l’anglais « dove » pour colombe - confirme un biais accommodant de la banque centrale, un contraste flagrant avec son penchant « hawkish » historique - de l’anglais « hawk » pour faucon - importé des politiques monétaires conservatrices germaniques. La BCE avait d’ailleurs relevé ses taux en 2011, une tentative vite avortée.

Europe vs États-Unis

Malgré une position également « dovish » de la Réserve fédérale aux États-Unis, on notera une divergence stratégique subtile entre les banques centrales des deux côtés de l’Atlantique. La Fed avait commencé à remonter ses taux dès la fin 2015, avant il est vrai de les ramener proche de zéro en 2020. Toujours est-il qu’elle a introduit l’an dernier, lors de sa réunion virtuelle de Jackson Hole, la notion de « moyenne d’inflation », Jerome Powell s’engageant formellement à laisser l'inflation dépasser son objectif de 2% pour compenser une longue période de faible croissance des prix.

En outre, les États-Unis se battent pour une stabilité des prix mais aussi pour retrouver le plein emploi, sujet que la BCE élude pour se focaliser sur le climat. En effet la BCE se démarque réellement de son homologue américain en adaptant sa politique en faveur d’une économie décarbonée.

"Nous avons approuvé un plan d’action assorti d’une ambitieuse feuille de route visant à intégrer les questions liées au changement climatique au cadre de notre politique monétaire" (BCE)

Une vision verte

Au-delà des considérations purement comptables et des échéances à venir, se jouent des enjeux plus profonds sur un horizon de temps plus long. La prise de position forte de la BCE pour lutter contre le changement climatique ajoute une touche verte à sa stratégie globale.

De façon pratique, la BCE souhaite vérifier que les entreprises auprès desquelles elle achète des obligations agissent conformément aux objectifs des accords de Paris sur le climat. Toutefois, la décarbonisation des achats d'actifs ne sera pas chose aisée puisque, selon l’aveu de la BCE, Bruxelles devra légiférer pour lui permettre d'exiger la publication des risques climatiques des entreprises.

 

Dans une moindre mesure, l’institution de Francfort compte intégrer les données liées aux coûts des logements occupés par leur propriétaire dans l’IPCH (indice des prix à la consommation harmonisé) afin de tenir compte des hausses de prix d’achat des biens immobiliers. Les analystes s’accordent pour estimer le taux actuel de l’inflation à vingt points de plus en incorporant ces chiffres. Mais la BCE prévient déjà que ce projet prendra plusieurs années à se matérialiser, tout comme leurs bonnes intentions climatiques.

Des paroles et des actes ?

Si ces nouveautés ne constituent pas une révolution en soi, elles ont le mérite d’exister et d’être présentées avec une ferme intention de résultats.

Se pose dès lors la question de l’implémentation effective de ces ambitions rafraîchies. Concrètement, quelle sera la politique monétaire de la BCE dans les mois à venir ? Quand bien même « de nouveaux outils non conventionnels tels que le Quantitative Easing continueront de faire partie de l'arsenal de la BCE », dixit le successeur de Mario Draghi depuis novembre 2019, la question du comment reste entière, après des années d’échec dans l’atteinte de son objectif d’inflation. La crédibilité de l’institution européenne, longtemps malmenée, est en jeu. Aujourd’hui, paroles et bonnes intentions proclamées. Dès demain, des actes attendus.

Se voulant proactive et rassurante, la Banque centrale européenne a déclaré par ailleurs qu'elle procéderait à des évaluations périodiques de sa stratégie, la prochaine devant débuter en 2025.

"Comme je l'ai dit, ce ne sont pas que des mots, ce n'est pas un discours ; il s'agit d'un engagement de l'ensemble du Conseil avec des délais, des livrables et la poursuite des objectifs." (C. Lagarde)

Enfin, le stimulus pandémique de 1 850 milliards d’euros, dont 750 en programme d’achats d’urgence, sera-t-il suffisant pour atteindre les objectifs fixés à court terme ? Déjà des voix haut placées et « hawkish » se lèvent pour que la BCE réduise lentement, mais sûrement, ses achats d’obligations. Nul doute que l’évolution de la propagation du variant Delta et de son impact sur nos économies sera au cœur des prochaines discussions hessoises. 

Marc Munier

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