Jeff Bezos. Mais où s’arrêtera-t-il ?
Jeff Bezos rêve grand, très grand et ne s’en cache pas. Le patron de la plateforme d’e-commerce la plus connue au monde posait le décor dès 1994 : son entreprise s’appellera Amazon, en hommage au cours d’eau emblématique d’Amérique du Sud, dont le débit est, de loin, le plus élevé de tous les fleuves de la planète. Un élément naturel puissant, profond, aux multiples bras que quasiment aucun pont ni aucun barrage ne traversent. C’est autour de ce groupe que Jeff Bezos choisit d’étendre son empire. Et quel nom plus grandiose, pour faire écho à ses premiers pas dans la vente de livres en ligne, que celui d’Alexa lorsqu’il baptise son assistant personnel intelligent sorti en 2014. Un nom qui fait ni plus ni moins référence à la célèbre bibliothèque d’Alexandrie.
L’exemple d’Alexa
Dans son dernier livre (Amazon Unbound ou Jeff Bezos : la folle ascension du fondateur de l’empire Amazon, à paraître en français le 25 août) consacré à Amazon, et plus précisément à l’homme qui façonne l’entreprise, Brad Stone retrace notamment la conception d’Alexa. L’histoire de la création d’un outil technologique qui incarne ce que sait si bien faire le milliardaire : explorer toujours davantage le nouveau monde dans lequel les Gafa nous ont fait basculer, celui des algorithmes et de l’intelligence artificielle, celui des entreprises disruptives.
En janvier 2011, Jeff Bezos envoie un e-mail à ses principaux adjoints : "Nous devrions construire un appareil à 20 dollars dont le cerveau se situerait dans le cloud et qui serait entièrement contrôlé par notre voix." Durant plus de trois ans, ses équipes travaillent sur la création d’un système de reconnaissance vocale. Intérimaires rémunérés pour passer des jours à discuter dans des appartements vides, pression quasi obsessionnelle de la part du dirigeant… Un jour, alors qu’il avait ramené chez lui le prototype d’enceinte connectée Echo, Jeff Bezos, dans un moment de frustration, ordonne à la machine d’aller se "tirer une balle dans la tête", provoquant une vague de panique chez les ingénieurs qui l’écoutaient.
Toujours un coup d’avance
Les paris audacieux participent de l’ADN d’Amazon dont l’objectif martelé est la satisfaction des clients. Dans chaque rapport annuel, Jeff Bezos joint une copie de sa lettre aux actionnaires datant de 1997 dans laquelle il explique : "C’est le Jour 1 pour Internet" et "si, nous exécutons bien, pour Amazon" aussi. Cette théorie du Day 1 rappelle aux Amazoniens qu’ils doivent sans cesse entretenir l’esprit start-up des débuts. "Le deuxième jour, c’est l’immobilisme, suivi de l’insignifiance, suivi d’un déclin atroce et douloureux, suivi de la mort", déclarait le patron lors d’une réunion de collaborateurs. Les méthodes pour arriver à toujours garder un coup d’avance ne manquent pas de faire parfois grincer des dents. "Est-ce que l’impact global de l’obsession client d’Amazon sur les entreprises locales, le climat et les employés dans les entrepôts vaut le coup ?", interroge Meghan Wulff, une ancienne directrice marketing du groupe. L’intéressée a quitté l’entreprise en 2019 et fermé son compte Amazon de manière définitive.
Jeff Bezos entend les remarques, s’adapte, travaille, avance. Le patron, qui cède ce mois-ci sa place de PDG à Andy Jassy, promettait il y a deux ans la neutralité carbone d’ici à 2040, soit dix ans plus tôt que préconisé par les Accords de Paris. Le défi est colossal, les livraisons étant incontournables dans ce business. "Nous voulons nous servir de notre influence et de notre taille pour montrer la voie", explique l’entrepreneur de 57 ans qui est par ailleurs propriétaire du Washington Post. Amazon pèse aujourd’hui plus de 1 650 milliards de dollars de valorisation et emploie 1,3 million de collaborateurs. Sa voix compte, celle de son fondateur aussi.
Olivia Vignaud