Veolia-Suez, quel rôle pour l’AMF ?
Créée en 2003, l’Autorité des marchés financiers (AMF) est une organisme public indépendant. Et il le revendique. Sur la page de son site internet qui explique son rôle et ses missions, le régulateur boursier français l’affirme : "L’indépendance est fondamentale dans l’exercice de notre mission. Elle s’exprime au quotidien, dans les analyses, les prises de position et les décisions de l’institution, toujours dans un souci d’agir dans l’intérêt général." Cette indépendance est notamment permise par une autonomie juridique, fonctionnelle et financière. S’il s’avère que ses décisions peuvent parfois être jugées sévères ou tardives, l’AMF jouit d’une bonne réputation : celle d’un régulateur qui explique, contrôle et sanctionne quand cela est nécessaire. Ce crédit dont il jouit offre un avantage considérable pour Paris qui, dès lors, est considérée comme une place financière sérieuse.
Bruno Le Maire intervient
Mais l’affaire qui oppose Veolia à Suez vient fragiliser la position de l’Autorité. Ce qui a mis le feu aux poudres ? Le dépôt d’une offre publique d’achat (OPA) de Veolia sur Suez, le 8 février dernier, sans l’accord du conseil d’administration de la cible. Le groupe porté par Antoine Frérot justifie cette offre hostile. Il constate "que ses tentatives répétées d’amicalité se sont toutes heurtées à l’opposition" de Suez. "En conséquence, le conseil d’administration a décidé de déposer une OPA." Cette nouvelle stratégie n’est pas du goût de l’entreprise ciblée. Le spécialiste de la gestion de l’eau et des déchets estime que Veolia est dans "l’impossibilité de déposer" une telle offre dont il conteste la validité en se fondant sur "une rupture de l’engagement d’amicalité".
Personne ne peut saisir l'AMF, indépendance oblige
Dans cette bataille à couteaux tirés, Bruno Le Maire tranche en faveur de Suez. Sur l’antenne d’Europe 1, le ministre de l’Économie déclarait dans la foulée "que cette offre n’est pas amicale et (que) cela contrevient aux engagements qui ont été pris à plusieurs reprises par Veolia". Et le locataire de Bercy d’annoncer qu’il compte "saisir l’Autorité des marchés financiers". Or, personne ne peut saisir l’AMF, indépendance oblige, et ce, même si son président est nommé par l’Élysée.
Le tribunal de commerce s’en mêle
Pour ne rien arranger, un autre acteur entre en jeu : le tribunal de commerce de Nanterre. Celui-ci interdisait, toujours le 8 février, à Veolia de déposer l’OPA annoncée la veille. Or, cette ordonnance obtenue en référé par Suez ne change pas la donne selon l’acquéreur potentiel. "Nous avons reçu information de l’ordonnance à 7h23, après avoir déposé notre offre à 7h, toutes les conditions légales sont satisfaites (…), nous maintenons que notre dépôt est valable", déclarait Antoine Frérot.
Une position soutenue par Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam) et qui a vu défiler un certain nombre de batailles boursières depuis qu’elle opère. "D’habitude, personne n’a le pouvoir de bloquer une offre publique d’achat. Personne sauf l’AMF, ou la cour d’appel de Paris, juridiction de recours", explique-t-elle aux Échos. En résumé : soit le régulateur, seul compétent en droit boursier, tranche en amont ; soit son avis est remis en cause mais a posteriori. Or dans le cas de l’OPA sur Suez, la cible cherchait à bloquer l’opération a priori.
En temps normal, il revient donc à l’Autorité des marchés financiers de décider si l’offre est recevable. Ce qui devrait, dans le cas présent selon les prévisions du président de l’AMF, prendre entre un mois et demi et deux mois. À l’issue de cet avis, Suez pourra engager un recours. Mais, dans cette bataille juridique haute en couleurs et alors que de nombreuses procédures sont ouvertes, rien n’est exclu.
Olivia Vignaud