L’année 2020 a été surprenante sur de nombreux tableaux, notamment celui des fusions-acquisitions qui ont bien résisté à la crise sanitaire. Dans le monde, le montant des transactions n’a pratiquement pas baissé avec un total de 3 600 milliards de dollars et, en Europe, celui-ci a même progressé. Décryptage des tendances du marché mondial et hexagonal.

Parmi le florilège des bilans dressés pour l’année 2020, atteinte par la crise sanitaire dans bien des domaines, le marché des fusions-acquisitions fait office de bon élève et surtout de belle surprise. Selon le fournisseur de données Refinitiv, les transactions ont totalisé plus de 3 600 milliards de dollars, soit un recul de seulement 5 % par rapport aux chiffres de 2019. Un excellent millésime, donc, si l’on tient compte des ralentissements et des accélérations que le secteur a endurés au fil des trimestres.

Deux semestres à deux vitesses

Le premier trimestre aurait pu être prometteur si l’impact de la pandémie n’avait pas été aussi violent sur les opérations de M&A, entraînant reports et annulations. Les beaux résultats de l’année ont été portés par les opérations réalisées au cours du second semestre pour un montant record de 2 300 milliards de dollars, soit une augmentation de 90 % par rapport au premier semestre et le deuxième semestre le plus important en termes de transactions depuis 1980. Le marché des fusions acquisitions a su faire preuve d’opportunisme et surtout se révéler d’une grande utilité pour soutenir la transformation des entreprises.

Parmi les plus grosses opérations réalisées au cours des trois derniers mois de l'année, on peut citer l'achat par l’américain S&P Global du groupe d'analyse IHS Markit pour 44 milliards de dollars, l'acquisition par AMD du fabricant de puces américain concurrent Xilinx pour 35 milliards de dollars et le rachat par le groupe pharmaceutique britannique AstraZeneca du groupe biotechnologique américain Alexion pour 39 milliards de dollars.

Cependant, malgré l'augmentation du nombre des transactions américaines, la valeur des opérations dans la région a chuté de 21 % pour atteindre 1 400 milliards de dollars sur l'ensemble de l'année, toujours selon Refinitiv. Les opérations européennes ont totalisé 1 000  milliards de dollars sur l'année 2020 (+36 % par rapport à 2019). Les transactions en Asie-Pacifique ont rassemblé 883,4 milliards de dollars (+16 %) et celles du Japon ont atteint 130,4 milliards de dollars (+7 %), niveau le plus élevé en quinze ans.

Les transactions sont en recul de 5% seulement entre 2019 et 2020

La France brille

Les cibles françaises, quant à elles, ont attiré 74 % d'offres de plus en un an pour totaliser 113,2 milliards de dollars. Ces beaux résultats ont été portés par la réalisation d’opérations d’envergure comme l'acquisition d'Ingenico par Worldline. Le constat doit cependant être modéré au regard des ajustements à la baisse des prix d’achat. Ce fut le cas pour LVMH, qui a obtenu une remise de 400 millions de dollars sur l'acquisition de Tiffany. Mais aussi pour l’acquisition de Bombardier Transport par Alstom, dont le montant a été ramené à 5,3 milliards d'euros alors que la fourchette de la transaction était initialement comprise entre 5,8 et 6,2 milliards.

Interventionnisme

Le contrôle des investissements étrangers (IEF) aura également fait couler beaucoup d’encre en 2020. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a d’ailleurs annoncé au mois de décembre la prorogation jusqu’au 31 décembre 2021 des mesures d’adaptation du contrôle des  IEF pendant la crise sanitaire. Pour rappel, ce renforcement s’articule autour de deux axes. D’une part, la prise en compte des biotechnologies dans la liste des technologies critiques couvertes par le contrôle. D’autre part, l’abaissement du seuil de détention déclenchant ce contrôle de 25 % à 10 % pour tous les pays hors Espace économique européen et pour les investissements dans des sociétés françaises cotées en Bourse. Sa mise en œuvre peut cependant être douloureuse, comme ce fut le cas pour le rachat de la pépite de l'optronique de défense Photonis par l'américain Teledyne, enterré par le gouvernement français après pourtant des mois de négociations.

Le 15 janvier, l’État a une nouvelle fois mis un veto au rapprochement proposé par le canadien Couche Tard à Carrefour. La politisation des opérations transfrontalières a de beaux jours devant elle. Le gouvernement n’a pas été plus tendre en matière d’opérations nationales et notamment sur le très médiatique feuilleton de l’année : l’OPA de Veolia sur Suez à laquelle il s’est opposé sans succès. "On ne s'est pas très bien débrouillés", déclarait Bruno Le Maire début janvier sur LCI, reconnaissant des ratés sur la méthode. Veolia est devenu premier actionnaire de son grand concurrent après en avoir acquis 29,9 % auprès du groupe Engie, dont l'État est actionnaire de référence. La recherche de consolidations et de synergies, en particulier dans les secteurs en difficulté, pourrait continuer de générer de nouvelles opportunités de fusions acquisitions, d'autant plus que les effets de la politique française en matière de soutien aux entreprises ne seront pas éternels. Stressed, distressed M&A et carve-out ont de beaux jours devant eux.

Le phénomène des Spac

Autre tendance notable sur les marchés mondiaux : le grand boom des Spac (Special purpose acquisition company). Ces véhicules d’investissement, sortes de "coquilles vides" créées pour lever des capitaux en Bourse, ont enregistré une année record. Selon Dealogic, 234 sociétés d’investissement ont été mises en Bourse à Wall Street en 2020 pour un montant levé de 81 milliards de dollars. La performance est flagrante en comparaison des 59  Spac de 2019 pour une valeur de 13  milliards...

En Europe, l’engouement n’est pas comparable, avec seulement deux Spac lancés cette année, même si l’Hexagone succombe tout doucement à la tendance. Le triumvirat composé de Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton avait suivi la mode américaine avec la création en 2016 du premier Spac français, Mediawan, qui leur avait permis de lever en Bourse 250 millions d’euros pour procéder à des acquisitions dans le secteur des médias. Une OPA et une sortie de cote plus tard, le duo Xavier Niel, Matthieu Pigasse remettait le couvert en décembre, accompagné cette fois par un nouveau mousquetaire, Moez-Alexandre Zouari pour lancer 2MX Organic, destiné à "mener des acquisitions dans la production et la distribution de biens de consommation durable". Ce nouveau Spac a été introduit en Bourse en fanfare en décembre, réalisant la plus belle IPO de l’année et récoltant 300 millions d’euros. Un montant tout de même peu comparable aux 4 milliards de dollars levés en septembre par l’américain Bill Ackman, patron du hedge fund Pershing Square, pour le plus gros Spac jamais enregistré.

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2020 peut être qualifiée d’année miracle pour le M&A qui poursuit sur sa lancée en 2021. Le marché continue d’être porté par l’élection de Joe Biden ou les campagnes de vaccination bien qu’il soit toujours confronté aux mêmes problèmes mondiaux que ceux supportés ces douze derniers mois, qu’ils soient pandémiques ou géopolitiques, comme la mise en œuvre du Brexit. L’heure n’est cependant pas encore au bilan qui viendra plus tard, car beaucoup d'inconnues demeurent, notamment en ce qui concerne l'étendue réelle des dommages économiques à long terme. Rendez-vous en 2022.

Béatrice Constans

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