Il ne faut rien faire par habitude
Décideurs. Le cabinet est réputé pour la maîtrise des techniques procédurales. Quels sont les bons outils en la matière ?
Maurice Lantourne. Nous avons de plus en plus recours à l’article 145 du Code de procédure civile.Cette disposition qui prévoit des mesures d’instruction in futurum permet de collecter des preuves avant tout procès au fond. Il s’agit d’une procédure qui s’apparente, à quelques exceptions près, à celle de la discovery anglo-américaine. Elle permet également d’envisager une phase de négociation car il est d’usage que les éléments de preuve saisis chez la défense soient séquestrés chez l’huissier jusqu’à l’issue d’un éventuel recours sur la décision ayant autorisé la mesure.
Flavie Hannoun. Le 145 constitue un outil de référence dans la pratique contentieuse du cabinet. Il présente un enjeu majeur. Si l’application du "référé probatoire" est accordée, cela signifie que le dossier est a priori valable lorsque les preuves recherchées sont recueillies. Les tribunaux de commerce sont désormais rompus aux mesures d’instruction in futurum et beaucoup ont mis en place des process de recherche et de tri des éléments recueillis permettant de simplifi er le débat sur la remise des pièces tout en garantissant les droits de la partie adverse, notamment au regard du renforcement de la protection du secret des affaires par le législateur.
Sur le plan opérationnel, si la saisie effectuée par le biais de ce fameux article 145 se révèle infructueuse, la viabilité du procès au fond est-elle remise en cause ?
M. L. En théorie, une saisie infructueuse devrait altérer la possibilité d’engager la procédure au fond. Néanmoins, on peut recourir à d’autres moyens d’établissement de preuves pour confondre l’adversaire, notamment par des témoignages ou des mesures d’instruction ou d’expertise mais cette fois dans le cadre du procès au fond. Lorsque le dossier présente un aspect pénal, il est également envisageable de déposer une plainte qui permettra que des investigations soient menées.
F. H. L’issue d’un procès diffère d’une affaire à une autre. Nous avons été par exemple confrontés à un cas où la défense a admis dans son assignation en rétractation les faits dont nous recherchions la preuve. On perçoit en pareille situation le rôle capital et stratégique de l’application de l’article 145 qui nous permet de nous engager éventuellement dans un procès au fond avec plus de sérénité.
À quel moment le séquestre est-il levé ?
M. L. En théorie, la levée du séquestre intervient à l’issue du débat contradictoire. Mais si elle est plaidée en référé, il risque d’y avoir un appel, voire une cassation. Dans ce second cas de figure se pose alors la question de savoir si le séquestre peut être levé antérieurement ou postérieurement à la décision de la Cour de cassation. Face à cette problématique, deux positions divergentes sont adoptées par les tribunaux. Certains affirment le caractère exécutoire de la décision rendue en première instance dès lors que la demande de rétractation est rejetée. D’autres préfèrent attendre une décision défi nitive pour lever le séquestre, ce qui est préjudiciable à la partie requérante compte tenu de la durée de la procédure.
F. H. En pratique, de nombreux tribunaux préfèrent attendre d’avoir au moins une décision d’appel pour préserver les droits du saisi en cas d’infi rmation et de rétractation en appel de l’ordonnance ayant autorisé la mesure.
Gauthier Doré. Cela s’explique très bien car la mise en œuvre de cette procédure est relativement récente et donc en constante évolution. Ainsi, au début de la pratique du recours à l’article 145 pour saisir des pièces dans les locaux, serveurs informatiques et ordinateurs du requis, la mise sous séquestre des éléments appréhendés n’était pas automatique. Il était ainsi possible pour le requérant de prendre connaissance des pièces objet de la mesure avant qu’il ne soit statué sur la demande de rétractation ; se posait alors nécessairement la question de la préservation des droits de la partie requise.
Quels sont selon vous les prochains défis auxquels feront face les acteurs du contentieux ?
F. H. Aujourd’hui, en France, nous observons un accroissement des contentieux haut de bilan portant sur les opérations des fonds d’investissement. Cette situation fait naître un besoin de protection juridique de ces fonds par le biais de mécanismes parfois complexes. Or, très peu de décisions sont rendues sur les textes relatifs aux financements complexes, notamment par le recours à la fiducie ou aux produits dérivés. Tout est à créer. Nous assisterons donc à l’avenir à une recrudescence des contentieux financiers complexes avec un enjeu majeur, celui de simplifier juridiquement la finance.
Comment jugez-vous la position des juridictions de commerce au regard de la complexité croissante des dossiers ?
F. H. Il existe une évolution notable dans les process et dans la technique juridique devant les tribunaux de commerce. Les magistrats consacrent aujourd’hui davantage leurs efforts à la prise en compte ainsi qu’à la compréhension des enjeux juridico-économiques. Les arrêts sont en général détaillés dans le fond et motivés.
Quelle stratégie adoptez-vous pour faire face à un contentieux sensible notamment en droit pénal des affaires ?
F. H. La dimension procédurale des litiges peut être un levier dans la stratégie mise en place. Nous partons du principe que rien n’est évident. Cela nous amène à analyser en profondeur les éléments du dossier tant dans la forme que dans le fond. S’agissant du fond, le traitement de ces dossiers impose une parfaite connaissance non seulement du droit pénal mais également des mécanismes financiers et du droit des affaires. Cela est d’autant plus essentiel que les affaires sont de plus en plus complexes et techniques et que les juridictions de jugement qui ont à en connaître sont aujourd’hui spécialisées et formées pour ce type de dossiers financiers.
M. L. Il ne faut rien faire par habitude. C’est une mauvaise stratégie. Faire de la procédure pour la procédure peut être rédhibitoire. Cela permet certes de gagner du temps, mais il s’agit d’une
démarche qui n’aboutit généralement pas à une solution concrète. Il en va de même pour le fond. Chaque dossier a ses spécificités et la stratégie doit être adaptée au cas par cas.
Quel regard portez-vous sur l’ouverture de la justice négociée à la fraude fiscale ?
M. L. L’introduction de la matière fiscale dans le champ d’application de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) pose un certain nombre de questions pratiques. En principe, la CJIP n’est applicable qu’à l’égard des personnes morales. Or, il est rare que des personnes morales soient poursuivies sans inculpation de personnes physiques, lesquelles sont exclues du cadre de la justice négociée. D’où un défaut d’efficacité de la CJIP fiscale.
Nous ne pourrions terminer cet entretien sans évoquer le procès Tapie au cours duquel maître Lantourne a été relaxé. Comment le cabinet a-t-il vécu cet épisode ?
F. H. Au début de cette affaire, nous étions encore chez Willkie Farr & Gallagher que nous avons quitté pour créer avec Maurice Lantourne notre cabinet. Le contexte ne s’y prêtait pourtant pas. L’ouverture du volet pénal a été une étape éprouvante, mais elle a eu un double impact positif. Le procès a permis d’une part de renforcer les liens au sein de l’équipe et d’autre part de sceller les fondations du cabinet. Aujourd’hui, nous en sortons vainqueurs et fiers du cabinet que nous avons créé et su développer.
G. D. C’était le procès de la décennie. Nous avons mobilisé nos efforts et concilié nos expertises pour faire face stratégiquement et solidairement à cet épisode judiciaire. Nous avons vécu une aventure professionnelle certes mais avant tout humaine car la plupart des avocats du cabinet ont commencé leur carrière avec Maurice et ont été formés par lui. Nous sommes intervenus en amont dans la préparation du dossier et la rédaction des conclusions, mais également au jour le jour pendant le procès : l’expertise de Lantourne & Associés au service de Maurice Lantourne en quelque sorte...
Pensez-vous que la relaxe de Maurice Lantourne dans cette affaire a eu un impact sur l’activité du cabinet ?
F. H. Il est important de préciser avant tout que le bilan d’activité du cabinet était positif en dépit de ce dossier épineux. La confiance et la fidélité de notre clientèle expliquent en grande partie cet état de fait. Mais il faut admettre qu’il y a effectivement eu un effet « relaxe » en particulier auprès de la clientèle institutionnelle.