Aux manettes de Philips France depuis bientôt cinq ans, David Corcos est l’homme du grand virage, chargé d’accompagner l’entreprise, de rassurer ses quelque 800 salariés et d’éduquer le marché au changement de cap du groupe qui, il y a peu, décidait d’abandonner des pans entiers d’activités historiques pour "concentrer le tir" sur le secteur de la santé. Rencontre avec un adepte du style direct et du management soft. Efficace et ambitieux.

À l’heure où chacun, partout, parle du monde d’après, de ses impératifs et de ses bonnes pratiques, David Corcos préfère évoquer celui de maintenant, bousculé par la crise, questionné dans ses habitudes, mais plus que jamais propice à l’innovation sur laquelle, depuis bientôt cinq ans, le CEO de Philips France "concentre le tir", mobilisant ressources et équipes pour tenir le cap récemment défini. Celui qui, en février 2016, allait justifier son arrivée pour négocier le virage stratégique amorcé par le groupe. Après un passage par une start up spécialisée dans le multimédia et dix ans à la direction France de l’américain Cerner, leader mondial des systèmes d’information de santé, il coche toutes les cases.

Pour David Corcos dès le début, l’objectif est clair : faire de Philips, marque populaire "née dans l’ampoule électrique" puis enrichie aux radios, aux téléviseurs et à l’électroménager, un acteur majeur de la médecine nouvelle génération après l’avoir désengagé de ses activités historiques – trop disputées – pour le recentrer sur la santé. Un marché sur lequel elle opère depuis toujours, certes, mais où, côté grand public, personne ne la connaît.

Le grand virage

"Avant mon arrivée, il y a cinq ans, Philips entamait son virage 100 % santé, raconte David Corcos. L’entreprise annonçait la vente de son activité éclairage – Signify –, puis, début 2020, se séparait du petit électroménager et d’ici juillet prochain, elle en aura fait de même avec les robots, fers à repasser, machines à café et aspirateurs… Autrement dit avec tout ce qui, à l’origine, la faisait entrer dans les foyers." Seuls rescapés de ce repositionnement drastique : les biberons Avent, le rasage et les brosses à dents électriques, en raison de leur connotation "santé", le secteur sur lequel, désormais, le groupe entend concentrer ses forces afin de maintenir des positions traditionnellement fortes sur certains domaines – puisque, David Corcos le rappelle, "Philips comptait déjà parmi les leaders mondiaux des équipements de santé, c’était un positionnement historique et pourtant méconnu du grand public …" – et d’en conquérir de nouvelles sur un marché qui, plus que jamais, relève de la haute technologie : celui de la médecine prédictive.

"Philips comptait déjà parmi les leaders mondiaux des équipements de santé, c’était un positionnement historique et pourtant méconnu du grand public"

Médecine prédictive

Une médecine "de l’algorithme et de l’intelligence artificielle" à laquelle Philips consacre déjà un laboratoire de cinquante chercheurs travaillant à la conception de logiciels destinés à "faciliter le diagnostic". Autrement dit : à le rendre plus fiable et plus précoce. Deux enjeux majeurs de cette approche de la santé "portée par des technologies de nouvelle génération" et qui, toutes, visent à "voir toujours plus tôt et toujours plus petit". Comme c’est le cas avec ce scanner spectral que, pour l’heure, Philips vend mieux au Japon qu’en France, regrette David Corcos pour qui le décalage est révélateur d’un des enjeux majeurs de l’époque, à savoir : le budget alloué aux hôpitaux pour leur permettre d’investir dans des équipements de pointe. Et ce, alors même que la crise actuelle témoigne chaque jour du poids déterminant du secteur de la santé.

"La crise, en révélant les failles de notre système hospitalier, a montré que, de ce secteur, dépendait tout le reste, rappelle-t-il. Que, sans infrastructures médicales suffisantes, c’était toute l’économie nationale qui s’arrêtait." De quoi légitimer le choix de Philips de miser sur ce marché à la portée décisive et "aux perspectives quasi illimitées", comme celui d’y concentrer l’essentiel de sa force de frappe

Investissements massifs et R&D ciblée

"On ne peut investir massivement sur tous les secteurs, poursuit le CEO du groupe en France. Il faut faire des choix pour se donner les moyens de produire des innovations de rupture. Cela requiert des investissements massifs en R&D." Par massifs comprenez 1,8 milliard d’euros, soit 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise… Un budget considérable qui, désormais, se voit entièrement dédié à l’innovation de santé. "Nous vendons des activités rentables et en croissance pour concentrer nos forces sur ce secteur, confirme David Corcos, et nous allons accentuer le mouvement en accompagnant ces cessions d’acquisitions ciblées – comme celle de Carestream, spécialiste du stockage d’images – sur le domaine des technologies de la santé." 

"La crise a montré que sans infrastructures médicales suffisantes, c’était toute l’économie nationale qui s’arrêtait"

L’ambition ? Voir le recours aux innovations-maison se généraliser dans les hôpitaux et, bien sûr, gagner en parts de marché sur ce secteur où Philips dispose déjà de quelques solides atouts. Parmi ceux-ci, un statut d’acteur majeur du marché mondial des scanners et IRM et un autre de leader mondial des équipements de réanimation et de "salles interventionnelles" permettant des interventions allégées, guidées par caméra, qui, de plus en plus, s’imposent en alternative à la chirurgie classique. De quoi donner à l’entreprise, outre l’expertise, la légitimité d’un acteur historique du secteur.

Transparence et efficacité

Reste à le faire savoir, reconnaît David Corcos pour qui le repositionnement en cours doit aussi se jouer sur le terrain de l’image pour cette marque depuis toujours perçue comme grand public et qui, aujourd’hui, doit mettre en avant d’autres racines que celles qui ont fait sa notoriété. Le patron de Philips France le sait et, sans fanfare ni trompette, s’est emparé du sujet ; lui qui, de ses quatre années passées, adolescent, aux États-Unis, a conservé un sens de la communication efficace et direct, un style qualifié de "sans fioriture ni atermoiement" qui, ici, lui permet de gagner en temps et en productivité. À la direction de la communication, Élise Decencière confirme. "Son style de management est très marqué par la culture américaine où les organisations sont peu hiérarchisées et le top management très accessible. Il aime les échanges directs et l’objectivité des faits, poursuit-elle. Cela simplifie considérablement les rapports professionnels et ne laisse pas de place à l’interprétation." À ce goût marqué de la transparence et de la simplicité s’ajoutent une capacité à rassurer et un sens du contact humain qui, lors du confinement notamment, feront toute la différence. "Durant cette période, David prenait le temps de communiquer quotidiennement, se souvient Élise Decencière. Il encourageait les collaborateurs à s’exprimer et à déconnecter… C’était très rassurant pour les équipes."

Du côté de l’intéressé, on confirme être plus porté sur "la co-résolution des problèmes" que sur les décisions imposées et avoir définitivement renoncé à l’autorité verticale à son arrivée chez Philips, une entreprise "traditionnellement tournée vers la culture du consensus" où, depuis toujours, il "manage à la confiance". Pour lui, "cela permet de n’avoir aucun mal à déléguer une fois la trajectoire définie et les décisions arrêtée". Comme celle de renoncer aux activités historiques du groupe qui, en interne, nécessitera quelques efforts d’accompagnement – "même si les gens ont parfaitement compris que c’était le bon choix tant les métiers abandonnés étaient devenus concurrencés…", nuance-t-il – tout comme il en faudra, il le sait, pour infléchir l’image d’une marque jusqu’alors très connotée grand public et désormais devenue ultraspécialiste.

Caroline Castets

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