La reprise de Carbone Savoie par Tokai Carbon coche toutes les cases du retournement idéal. Et ce, autant sur les plans financier et réputationnel pour Alandia Industries que sur celui des dispositions sociales pour la plupart des salariés avec une belle opération financière à la clé, en plus d’être stratégique pour l’État et sa filière européenne de batteries.

Carbone Savoie s’érige aujourd’hui comme l’une des plus belles réussites du restructuring à la française. Valorisant le groupe plus de 160 millions d’euros, Tokai Carbon permet également aux salariés de réaliser une belle opération financière : 20 000 euros de gains pour 100 euros investis dans un fonds commun de placement d’entreprise de reprise (FCPER). Remarquable dans son dénouement, l’opération l’a aussi été dans son parcours avec près de quatre ans de lutte pour redresser un de nos fleurons industriels confronté aux exigences d’un marché devenu tout aussi global que concurrentiel. C’est ainsi qu’en 2016, plus de 120 ans après sa création, le groupe Carbone Savoie a dû affronter l’une des plus complexes étapes de son histoire.

Détenu par Rio Tinto, exploitant deux usines de production à Notre-Dame-de-Briançon en Savoie et à Vénissieux dans le Rhône, ce spécialiste du carbone et des graphites synthétiques n’avait plus les moyens de maintenir son rang face à des concurrents internationaux plus compétitifs.

Pertes abyssales

"Les pertes étaient abyssales : 1,5 million d’euros par mois pour un chiffre d’affaires d’une soixantaine de millions. La faillite sociale était entérinée avec un conflit permanent entre dirigeants, actionnaires et salariés, la mise en place d’un chômage partiel constatant des capacités de production à un tiers de leurs niveaux", rappelle Sébastien Gauthier, associé d’Alandia Industrie. Rio Tinto souhaite se désengager et mandate Natixis pour trouver des solutions.

"Les coûts de revient dépassaient de 50% ceux de leurs concurrents internationaux"

Au nombre des candidats, Alandia Industries se profile rapidement comme la principale alternative sous l’impulsion de Nicolas de Germay, son président. "Nous nous sommes vite fait une opinion sur l’origine des problèmes : les coûts de revient de Carbone Savoie dépassaient de
50 % ceux de leurs concurrents internationaux"
, expliquent les repreneurs. Le rebond dépend de la capacité de l’entreprise à résoudre ses problèmes de compétitivité et non du marché. Une quinzaine de millions d’euros restant dans les comptes courants, l’investisseur s’engage à y investir encore une trentaine de millions pour améliorer la compétitivité des usines, gagner en souplesse. Deux axes stratégiques : baisser les coûts de production et investir dans l’outil de production et la R&D pour amortir les chocs avec des activités contracycliques et de nouveaux marchés

Choix de transparence

Dès le début, Nicolas de Germay et Sébastien Gauthier font le choix de la transparence auprès des salariés. Puis des fournisseurs. Ne rien cacher mais savoir donner des perspectives ; ne pas chercher les fautes mais trouver des solutions pour l’avenir : "Nous ne voulions pas entrer dans une logique de lutte entre actionnaires et salariés mais aligner les intérêts pour parvenir à mettre en œuvre les mesures indispensables d’amélioration de la compétitivité", complète Sébastien Gauthier. Leur stratégie va à l’encontre des règles classiques du retournement : lancement de nouveaux investissements, développement de nouveaux marchés… et surtout lancement d’un projet autour du graphite avec en ligne de mire la place de leader européen du graphite pour batteries électriques.

En 2019, ces efforts sont récompensés et Carbone Savoie est sélectionné pour le projet européen d’Airbus des batteries. Progressivement les actions sont menées, la compétitivité revient – parfois au prix de quelques tensions – mais finalement le chiffre d’affaires augmente, passant de 60 à près de 130 millions d’euros, et les pertes (-18 millions d’euros) se transforment en profit (25 millions). Une fois le retournement réalisé, vient l’heure de l’adossement industriel. Tokai Carbon se révèle tout aussi bien-disant qu’industriellement complémentaire. Une page se tourne, mais elle s’avère particulièrement belle.

Alexis Valero

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