Investisseurs institutionnels : leurs stratégies décryptées
En quelques mois, la crise du Covid-19 a balayé toutes les certitudes des investisseurs. Contrairement à 2008, les banques centrales et les gouvernements ont cependant agi rapidement et massivement pour endiguer la panique sur les marchés financiers. Après la violente chute du mois de mars, les principaux indices boursiers sont très vite revenus dans des zones plus clémentes. Mais aujourd’hui encore, malgré la découverte de plusieurs vaccins contre la covid-19, les investisseurs institutionnels doivent composer avec de nombreuses incertitudes.
2020 : les montagnes russes
Nombreux sont les investisseurs institutionnels à avoir profité de cette période de volatilité pour renforcer leurs positions sur les marchés actions. "Certains d’entre eux ont fait preuve d’une grande réactivité et saisi les opportunités de marché déclarées, que ce soit sur les actions ou le crédit", témoigne Hubert Rodarie, le président de l’Association française des investisseurs institutionnels (Af2i). Une tactique confirmée par Matthieu Lamy, responsable de la gestion financière d’Ageas : "Au cours du dernier trimestre 2019, nous avons pris la décision de réduire un peu notre exposition aux actions car nous estimions que les valorisations étaient élevées. Ce n’est qu’après les premières fortes baisses du mois de mars dernier que nous avons rehaussé notre exposition sur cette classe d’actifs."
Les marchés financiers n'ont pas donc attendus la mise à disposition du vaccin contre la covid-19 pour remonter. Une fois les grands indices revenus à meilleure fortune, une partie des investisseurs institutionnels ont choisi de "prendre leurs bénéfices". Tant et si bien qu’ils se trouvent désormais dans une position d’attente, espérant de nouveaux points d’entrée sur les marchés.
Portefeuille obligataire : une marge de manoeuvre limitée
Sur les marchés obligataires l’équation est encore plus complexe, "surtout dans un environnement contraint par les règles établies dans le cadre de Solvabilité II qui incite à investir sur des emprunts d’États", explique Chloé Pruvot, directrice des investissements du groupe Apicil. Les obligations gouvernementales composent donc, avec la dette corporate notée Investment Grade, l’essentiel des portefeuilles obligataires des institutionnels. Ces derniers n’investissent que de manière marginale sur les obligations à haut rendement.
Comme le précise Chloé Pruvot, "au regard des règles édictées par Solvabilité II, le coût d’une obligation à haut rendement est assez proche d’une action", avant d’ajouter que "les risques de dégradation de notes des entreprises et de défauts demeurent élevés et le potentiel de performance dans l’environnement actuel est assez limité, surtout en comparaison des actions." Des propos confirmés par Julien Le Louët du fonds de garantie des victimes : "Nous n’avons pas accru les risques dans les portefeuilles obligataires. Le risque n’est pas rémunérateur. Nous n’avons pas non plus allongé la duration de nos investissements, ni dégradé la qualité du crédit."
Un attrait pour la dette privée
Pour pallier – en partie – la baisse structurelle des rendements obligataires, les investisseurs institutionnels s’intéressent de près aux actifs dits « alternatifs » : l’immobilier, les infrastructures, le private equity mais aussi la dette privée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si lors du dernier Baromètre trimestriel de l’Af2i la dette privée se place comme le principal choix d’investissement des membres de l’association au cours des mois à venir. "Jusqu’à présent, nous avons préféré le segment de la dette privée à celui du private equity. En rythme de croisière, notre portefeuille est investi à un niveau proche de 7 % sur cette classe d’actifs", révèle Matthieu Lamy.
La dette privée offre notamment une prime d’illiquidité particulièrement attractive. Les investisseurs s’y positionnent cependant avec les précautions d’usage. Julien Le Louët rappelle que "certaines entreprises rompues à ce type de financement font partie de secteurs d’activité qui ont particulièrement souffert de la crise". Même si les États soutiennent leurs entreprises à l’instar de la France avec les PGE et les prêts participatifs pour les TPE/PME et les ETI, "la crise n’est pas terminée" poursuit Mathieu Lamy, précisant cependant que dans un tel contexte "il y aura donc malgré tout des opportunités à saisir".
Pour aller plus loin
- Entretien avec Hubert Rodarie, AF2i
- Entretien avec Fabrice Zamboni, La Cipav
- Entretien avec Julien Le Louët, Fonds de garantie des victimes
- Entretien avec Matthieu Lamy, Ageas
- Entretien avec Florence Saliba, AFTE
- Entretien avec Philippe Desurmont, groupe SMA
- Entretien avec Chloé Pruvot, Apicil