L’activité transactionnelle reprend des couleurs
Année particulière à tous points de vue, 2020 n’aura pas épargné le marché du M&A. Dans un contexte qui aurait pu laisser présager la mise entre parenthèses des fusions-acquisitions, les annonces d’opérations entre juin et octobre dynamisent l’activité transactionnelle.
Le non-côté redémarre
Après trois mois de faible activité au printemps, le troisième trimestre 2020 signe un redémarrage des transactions, avec une augmentation de 40 % en volume et de 70 % en valeur. "Le marché récupère progressivement, mais il manque encore un volume significatif d’opérations, notamment en dehors des secteurs protégés", estime Louis Godron, managing partner chez Argos Wityu. L’Argos Index, qui mesure l’évolution des valorisations des PME non cotées européennes, fait état d’une sensible remontée des prix par rapport aux six premiers mois de l’année. Au troisième trimestre, il affiche un multiple de 10,1 fois l’Ebitda, en hausse de près de 10 % par rapport au trimestre précédent. "Cette variation de l’indice correspond à une concentration du marché sur des secteurs de qualité", précise Louis Godron, qui mentionne "la santé, les logiciels et les services numériques".
Après trois mois de faible activité au printemps, le troisième trimestre 2020 signe un redémarrage des transactions
Si les prix payés par les fonds d’investissement demeurent stables, ce sont les entreprises qui tirent les valorisations à la hausse. Animée par les grandes sociétés, qui représentent 70 % des acheteurs stratégiques actifs dans le mid-market, cette remontée des montants est à relier aux marchés actions, dont les multiples augmentent eux aussi. "La corrélation entre le coté et le non-coté sur le mid-market européen devient structurelle depuis trois ans", analyse François Becque, directeur de participations chez Argos Wityu, "les deux remontées s’entraînant l’une et l’autre."
Signe de prudence dans l’environnement toujours incertain qui est le nôtre, la part des opérations réalisées à des multiples supérieurs à 15 fois l’Ebitda se stabilise depuis mi-2019 autour de 20 %. "Les acquéreurs s’intéressent davantage au même type d’entreprise et la sélection se fait sur le prix", explique Louis Godron. Ainsi, les deals payés plus de 20 fois l’Ebitda décroissent et ne représentent plus que 2 % des opérations bouclées depuis le mois d’avril.
Le capital investissement affronte la crise
"Face à l’intensité de l’impact de la crise sanitaire sur l’activité économique et à l’incertitude inédite qui en découle, les sociétés de capital-investissement ont continué à être très présentes au premier semestre 2020 pour permettre aux entreprises de financer leur développement", déclarait Dominique Gaillard, président de France Invest, lors de la présentation du rapport d’activité des acteurs du capital-investissement français au premier semestre 2020. Sur cette période marquée par la crise sanitaire, 7,4 milliards d’euros ont été levés soit seulement 7 % de moins que sur la même période de 2019 et 7,7 milliards d’euros ont été investis dans 1 050 entreprises.
L'impact économique de la seconde vague semble plus faible que celui de la première
Merci la French Tech !
"L’année 2020 s’annonce comme une année record pour la French Tech", annonce Arthur Porré, associé fondateur de la banque d’affaires Avolta Partners qui publie une étude (VC/M&A Tech Multiples France 2020) prévoyant que, cette année, un nouveau record sera atteint avec 5,5 milliards d’euros levés. Le troisième trimestre confirme la tendance du second en matière d’investissement en venture capital avec un total de 1,35 milliard d’euros levés sur 117 tours de table et des opérations marquantes comme Voodoo, PME de jeu vidéo (environ 400 millions d’euros) ou Mirakl, éditeur de logiciel (255 millions d’euros). Ces deux levées de fonds viennent rejoindre le top 5 de l’année 2020 aux côtés de celles d’Ecovadis, plateforme de notation de RSE (200 millions d’euros), d’Ynsect, spécialisée dans l’élevage d’insectes et leur transformation en ingrédients à destination des animaux domestiques et d’élevage (190 millions d’euros) et enfin de Contentsquare, spécialiste de l’expérience utilisateur (175 millions d’euros).
"L'année 2020 s'annonce une année record pour la French Tech"
Une activité transactionnelle remodelée
"Le marché du M&A est depuis le début de l’année en dents de scie", explique Alain de Rougé, associé chez BCTG Avocats, qui estime que, malgré une pause au début du mois d’octobre, le marché redémarre, ce qui le rend optimiste pour les mois à venir. De manière générale, « des transactions suspendues en mars se sont débouclées, mais avec des conditions différentes », note un avocat d’affaires. L’impact économique de la deuxième vague semble beaucoup plus faible, le marché du M&A devrait s’en trouver moins affecté. Si la priorité n’était pas aux acquisitions lors du premier confinement, la relative visibilité en cette fin d’année permet d’envisager des opérations sur d’autres secteurs. Autre caractéristique, l’intérêt pour l’environnement coté. "Un nombre record d’opérations de sorties de côte est intervenu en 2020, notamment à la suite du premier confinement", constate Laurent Bensaid, avocat associé chez King & Spalding, qui a été impliqué sur cinq d’entre elles. "En l’absence de nouvelles IPO dans les prochains mois, cette situation pourrait être préoccupante pour la place financière parisienne qui perd en attractivité du fait du nombre réduit d’acteurs", poursuit-il.
Avec un nombre de dossiers revu à la baisse, la compétition n’en ressortira que grandie. "Actuellement, nous constatons deux tendances antinomiques, relève Séverin Kullmann, associé chez BCTG Avocats. Les niveaux de valorisation sont démentiels sur certains secteurs comme celui de la pharma mais la crainte d’une troisième vague plus longue et plus impactante instaure un climat opportuniste sur d’autres secteurs où les prix se négocient à la casse."
Sous réserve que les entreprises arrivent à démontrer leur bonne gestion de la crise, les opérations prévues en 2020 devraient se dérouler en 2021. L’occasion pour certains de réaliser de bonnes affaires ?
Béatrice Constans, Anne-Gabrielle Mangeret