M. Agache Durand (Groupama AM) : "Investir sur les marchés financiers est créateur d’emplois"
Décideurs. Vous avez pris la tête de Groupama Asset Management au cours du premier trimestre 2020. Quelles sont vos ambitions pour Groupama AM ? Vos priorités de développement ?
Mirela Agache Durand. Étant une filiale d’un groupe d’assurance, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques que notre actionnaire. Nous faisons face à un défi majeur lié à un environnement de taux durablement bas. La question du financement des retraites est également prégnante. Nous voyons un transfert s’opérer vers le monde de le retraite individuelle. Les contrats d’épargne retraite « Perin » et « Perco » prennent de plus en plus de poids. Nous souhaitons accompagner ce mouvement. Trouver des solutions d’investissement pour nos clients – institutionnels et particuliers – est donc notre première préoccupation.
Groupama Asset Management avait enregistré une collecte nette de 1,2 milliard d’euros auprès de la clientèle externe en 2019. Quelles est la tendance pour 2020, dans un contexte très différent ?
À la fin du mois d’octobre, les chiffres de la collecte 2020 auprès de la clientèle externe étaient en hausse, en s’établissant à 1,8 milliard d’euros. Nous avons noté une accélération de l’appétit des investisseurs pour les actifs plus risqués à partir du mois de mai 2020. Une tendance nécessaire à notre économie et encouragée par le gouvernement qui souhaite voir les Français se constituer une épargne de long terme. Celle-ci apportera une valeur ajoutée à tout le système : de l’investisseur qui bénéficiera d’une épargne plus rémunératrice aux acteurs économiques, créateurs d’emplois, ainsi qu’aux asset managers qui préfèrent naturellement gérer des actifs sur une plus longue période.
"Un système de santé solide permet d’avoir une économie prospère"
Groupama Asset Management a lancé le fonds thématique G Fund New Deal Europe, pour contribuer à la relance en Europe et préparer le « monde d’après ». Bénéficiera-t-il du label « relance » ? Ce Label vous paraît-il pertinent ?
Ce fonds diversifié, ciblant les valeurs européennes œuvrant à la sécurisation de la production ou à sa relocalisation, à la prévention et au traitement des maladies et qui sont à la pointe des changements sociétaux et économiques en cours, a précédé le lancement du « Label Relance ». La thématique de la gestion de la crise sanitaire et de la relance nous est très vite parue pertinente car nos économies ont besoin d’investir dans le monde de demain. Il ne faut d’ailleurs pas opposer l’économie et les aspects sanitaires car les deux se nourrissent. Un système de santé solide permet d’avoir une économie prospère. Nous travaillons pour que ce fonds puisse bénéficier du Label Relance. Ce dernier offre la possibilité de faire de la pédagogie, d’aller vers une plus grande transparence des investissements réalisés. Certains ont pu diffuser l’idée qu’investir en Bourse était un acte spéculatif. C’est pourtant le contraire. L’investissement sur les marchés financiers apporte un soutien à l’économie réelle et participe à la création d’emplois. Le Label « relance » met aussi l’accent sur l’importance de l’investissement sur le long terme. L’excès d’épargne des Français doit venir irriguer l’économie. Les rendements ne viendront plus des fonds en euros ou du Livret A. Il leur est désormais nécessaire de disposer d’une poche d’épargne de long terme pour valoriser leur patrimoine et préparer dans les meilleures conditions leurs projets.
Vous souhaitez accélérer le déploiement de votre stratégie de labélisation et d'intégration ESG. Un label ISR européen est-il nécessaire pour apporter plus de lisibilité aux investisseurs ?
Toute simplification est souhaitable mais les négociations au niveau européen sont très complexes et demandent du temps. Il faut pour l’instant être pragmatique. Nous continuerons donc à faire labelliser nos fonds avec les Labels français (ISR, Greenfin…).
Comment fonctionne le marché des fournisseurs de données extra financières ?
Nous observons une prise de contrôle de ce marché par des acteurs anglo-saxons. Je crains que nous soyons bientôt confrontés à un oligopole où les prix seront imposés par deux ou trois sociétés. Nous avons très vite alerté les associations représentatives des métiers de la gestion d’actifs sur ce danger et également les régulateurs. Il faut travailler sur la normalisation de ces données pour ne pas être dépendants de ces acteurs, c’est pourquoi nous sommes ravis de participer aux travaux de la Task Force de l’Efrag (Groupe consultatif européen sur l’information financière) créée à ce sujet par la Commission. Ce défi est d’autant plus important que dans le monde de demain la donnée sera cruciale.
"Certains ont pu diffuser l’idée qu’investir en Bourse était un acte spéculatif. C’est pourtant le contraire"
L'environnement économique, financier et réglementaire se révèle très complexe pour les sociétés de gestion. Doivent-ils revoir en partie leur modèle économique, notamment leur structure de coût ?
Oui. Et il ne s’agit pas simplement de le repenser. Notre industrie a déjà dû subir un premier choc avec l’émergence de la gestion passive, il y a une quinzaine d’années. La problématique des coûts est depuis constante. Elle porte sur des éléments bien identifiés comme la data, les investissements informatiques et les aspects réglementaires. Je n’ai cependant aucun doute sur le fait que l’industrie de la gestion d’actifs saura trouver les bonnes solutions, en allant parfois les chercher en dehors des sentiers battus.
Cela passe par la réalisation d’opérations de M&A ?
La question porte sur la rentabilité des sociétés de gestion. L’une des réponses peut venir d’une rationalisation dans les espaces où il y a une surabondance de l’offre. Il ne faut pas oublier que les prix baissent en même temps que les rendements, eux-mêmes provoqués par la chute des taux d’intérêt. Les opérations de M&A peuvent être une bonne réponse uniquement si elles restaurent la rentabilité des sociétés de gestion. Sinon, ces rapprochements ne créeront pas d’acteurs solides. L’autre direction est d’apporter des solutions à forte valeur ajoutée permettant aux sociétés de générer des revenus en croissance. Les deux chemins sont possibles. Nous sommes ouverts à ces deux options.
"Nous observons une prise de contrôle du marché des fournisseurs de données extra financières par des acteurs anglo-saxons"
Il y a quelques mois la Banque postale AM et Ostrum AM ont annoncé le rapprochement de leurs activités de taux. Ces opérations seront-elles amenées à se multiplier ?
C’est une opération intéressante. Il pourrait même y en avoir d’autres. Mais est-ce un chemin adapté à tous les acteurs ? Je n’en suis pas forcement convaincue. Ce type d’opérations doit encore prouver sa capacité à créer de la valeur ajoutée et mettre le nouvel acteur sur le chemin de la rentabilité.
Quels seront vos prochains leviers de croissance ?
Globalement il y a un déplacement de l’épargne vers une démarche plus individuelle. Le plan d'épargne retraite individuel (Perin ou PER individuel) est le premier d’entre eux. On y trouve beaucoup de sens et nos clients y adhèrent. La part de de marché du groupe Groupama sur cette solution d’épargne est proche de 10 %. C’est un vrai vivier de croissance pour son asset manager.
Nous sommes également persuadés que, dans un monde de taux bas, il nous faut apporter des solutions d’investissement alternatives. Nous travaillons donc sur des innovations pour permettre à nos clients d’épargner sur le long terme et accompagner ce mouvement tant en France qu’à l’international.