2020 a confirmé la montée en puissance de la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les décisions d’investissement des gérants d’actifs. Mais les disparités entre les zones géographiques sont encore grandes. Si l’Europe a (encore) un temps d’avance sur les États-Unis et la Chine … l’écart pourrait peu à peu se réduire. Jean-Denis Bachot, Country Head France chez Fidelity International, y apporte un éclairage bienvenu.

Décideurs. La crise a-t-elle mis en avant une corrélation entre la notation ESG d’une entreprise et ses performances boursières ?

Jean-Denis Bachot. Je le pense et de nombreux chiffres le confirment. Si vous comparez l’indice MSCI World ESG Leaders à celui du MSCI Europe, vous constaterez que sur une période d’un an, le premier affiche une surperformance de 6,5% par rapport au second (en date du 9 octobre 2020), celle-ci étant de 4% depuis le début de l’année civile (arrêtée également au 9 octobre 2020). En outre, Fidelity dispose d’un système de notations propriétaires sur lequel 4 500 émetteurs sont notés de A à E. Grâce à cela, nous avons testé la relation entre qualité de la notation ESG et performance boursière des entreprises sur les trois premiers trimestres 2020. Cette étude révèle une forte corrélation positive entre la performance relative d'une entreprise sur les marchés et sa notation ESG sur la période : chaque niveau supérieur de notation ESG apporte une performance supplémentaire, selon une relation linéaire. Le constat est confirmé à la fois pour les émetteurs en actions et en obligations. Enfin, ces chiffres corroborent des résultats d’une analyse similaire, conduite plus tôt dans l’année, lors de la période de forte nervosité sur les marchés (allant du 19 février au 26 mars 2020). Ces éléments mettent ainsi en évidence la corrélation entre la notation ESG d’une entreprise et ses performances boursières. Certains détracteurs pointeront toutefois sur le fait que les fonds dits « durables » ont bénéficié de l’absence de valeurs pétrolières et énergétiques dans leur portefeuille. C’est un fait. Mais cette année, les marchés ont alloué une prime aux valeurs affichant un bilan solide et un fort niveau de rentabilité. Or, il s’avère que ces sociétés sont, de manière générale, également en avance sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Quoiqu’il en soit, il est préférable d’éviter l’écueil d’un débat sur la performance sur une période restreinte dans le temps, au cours de laquelle une multitude d’événements ayant une incidence sur les valorisations peuvent survenir. La mise en œuvre de bonnes pratiques d’un point de vue ESG favorise, quant à elle, une approche de long terme destinée à éviter les risques d’accident.

"La création d’un label européen serait une excellente nouvelle car il faciliterait la coordination entre pays pour un gestionnaire d’actifs à vocation internationale"

L’absence d’une définition unique de l’investissement durable, et notamment de critères ESG, est-il préjudiciable pour son développement ?

Oui, c’est un sujet important. Nous disposons par exemple d’une SICAV luxembourgeoise distribuée mondialement. Lorsque j’échange avec nos équipes en Belgique, en Allemagne, en Autriche ou dans les pays nordiques, toutes souhaitent que le fonds puisse disposer du label délivré par le pays de distribution. Or, chaque label diffère et implique des contraintes variées. Si nous accueillons avec enthousiasme les nouvelles normes en matière d’ESG, nous regrettons qu’il n’y ait pas un label commun. Ainsi, la création d’un label européen serait déjà une excellente nouvelle, car il offrirait un cadre clair pour aider les investisseurs au sein d’un espace géographique élargi à se repérer et il faciliterait, par ailleurs, la coordination entre pays pour un gestionnaire d’actifs à vocation internationale. 

L’Europe a-t-elle un temps d’avance sur les États-Unis et l’Asie sur ces questions ?

Oui, mais cela ne se manifeste pas de manière homogène. Très sensibles aux problématiques liées à l’ISR, les pays nordiques ont aujourd’hui un temps d’avance. La Belgique est également très impliquée sur le sujet. Son label « Towards Sustainability » bénéficie d’une reconnaissance européenne. L’Espagne et l’Italie sont, quant à elles, davantage en retrait. En dehors des frontières européennes, je mettrais en lumière les avancées du Japon, tandis que les États-Unis et les autres pays asiatiques partent d’un peu plus loin. Cependant, nous observons depuis quelques mois une vive accélération de la prise en compte de ces questions dans ces deux régions. Nos analystes présents sur place nous le confirment.* A titre de comparaison, sur le Vieux Continent, 100% de nos analystes considèrent que les entreprises portent cette année une plus grande attention aux enjeux ESG par rapport à l’année dernière. En Chine, 80% des analystes le perçoivent également aujourd’hui, tandis qu’ils n’étaient que 63% à le penser en 2019.  

Dans quelle mesure la montée en puissance de l’investissement durable a-t-elle un impact sur la politique menée par les entreprises ? Ont-elles encore certaines réticences ? Certains secteurs sont-ils contraints de mettre entre parenthèses leur démarche ESG en raison de la crise ?

L’ESG s’invite dans tous les conseils d’administration… 95% des entreprises interrogées* reconnaissent accorder davantage d’importance à l’ESG par rapport à 2018. Dans le secteur de l’énergie, 75%* des analystes estiment que l’ESG fait partie intégrante des entreprises et de leur stratégie. L’exemple du Groupe Total est très structurant. L’environnement post-Covid exerce une pression sur les marges. Mais sur le moyen et long terme, il continue à investir dans sa transformation. Le Groupe Danone présente, quant à lui, un modèle plus facilement adaptable face aux questions ESG. Mais la croissance est moindre qu’escomptée par les investisseurs, si bien que la société a été sanctionnée par les marchés. A nos yeux, le Groupe est suffisamment solide pour avancer, et sa trajectoire à long terme devrait le démontrer. Les sociétés disposant de capitaux suffisants pour continuer à investir et ainsi, prendre les bonnes décisions en matière ESG, ressortiront grandies la crise.

"Nous avons lancé le fonds FF Future Connectivity Fund qui se consacre aux sociétés qui participent à la croissance de la connectivité entre les hommes"

Quelles sont les thématiques d’investissements les plus porteuses, celles qui intéressent le plus les investisseurs ? Qu’est ce qui explique le succès des fonds thématiques ?

Le chemin vers le succès implique, à mes yeux, trois dimensions : se positionner sur une thématique innovante de long terme, bien intégrer les sujets ESG et couvrir un univers d’investissement assez vaste. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, la thématique peut séduire les investisseurs. En l’espace de deux ans, le fonds FF Sustainable Water & Waste Fund a ainsi atteint près de 2 Mds € d’encours. La combinaison de l’eau et des déchets est unique : elle se concentre sur deux domaines d’activité essentiels, portés par des dynamiques de croissance structurelle et qui par essence, répondent à des problématiques sociétales et environnementales très concrètes. Nous avons également récemment lancé le fonds FF Future Connectivity Fund : il se consacre à un thème d’investissement qui va bien au-delà uniquement de la technologie ou de la 5G. Nos gérants investissent dans des sociétés qui participent à la croissance de la connectivité entre les hommes, ainsi qu’avec les objets et pour ce faire, s’intéressent de près aux problématiques sociales et environnementales sous-jacentes.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

* Source : Enquête Analystes de Fidelity 2020 réalisée sur la base de quelques 15 000 réunions annuelles menées avec les dirigeants d’entreprises.

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