É. Pinon (AFG) : "La relance ne doit pas uniquement profiter aux très grandes fortunes"
Décideurs. Comment les sociétés de gestion font-elles face à la crise ? Qu’en est-il du mouvement de décollecte constaté sur les OPC de droit français au cours des premiers mois de l’année ?
Éric Pinon. Au cours de la première partie de l’année, les sociétés de gestion ont dû faire face à une décollecte significative. Malgré cela, les chiffres arrêtés à la fin du mois d’octobre sont très encourageants car, les actifs se retrouvent au même niveau qu’en début d’année. Les fonds monétaires et obligataires affichent respectivement, sur les 8 derniers mois, un retour de collecte de + 48 milliards d’euros et de + 4,5 milliards d’euros. Celle-ci est également légèrement positive pour les fonds actions. En parallèle, les marchés financiers se sont bien repris après le trou d’air du mois de mars. Le secteur de la gestion d’actifs a donc fait preuve de résilience. Les sociétés de gestion ont pu appliquer avec succès leur plan de continuité d’activité (PCA) au service de leurs clients. Grâce à cela les sociétés de gestion ont été en activité malgré le confinement, elles n’ont pas rencontré de problèmes de trésorerie. Fort logiquement, elles ont même été exclues de la mise en œuvre des aides d’État, notamment du Prêt garanti par l'État (PGE).
Cet environnement va-t-il accélérer le mouvement de concentration sur le marché de la gestion d’actifs ou favoriser des rapprochements comme ceux d’Ostrum AM et de la Banque Postale AM ?
E. P. C’est une idée que j’encourage depuis plus de vingt ans. Les sociétés de gestion ont beaucoup à y gagner. La stratégie de développement de Sanso IS, résultat de plusieurs opérations de croissance externe, le montre. Le rapprochement des activités de taux d’Ostrum AM et de la Banque Postale permet à ces deux entités de renforcer leur rayonnement au niveau mondial dans un contexte extrêmement concurrentiel. Avec 1 600 milliards d’euros d’actifs sous gestion, Amundi est certes le sixième acteur mondial, mais sa taille reste cependant quatre fois inférieure à celle de BlackRock. Cela donne une idée de la marge de progression des sociétés de gestion françaises. Selon les chiffres publiés en fin d’année 2018, 35 % des sociétés françaises membres de l’AFG géraient moins de 500 millions d’euros. Huit sociétés de gestion seulement dépassaient le cap des 100 milliards d’euros. Les plus grands acteurs du secteur veulent améliorer leur rentabilité tandis que les acteurs indépendants doivent faire face à des coûts opérationnels en forte accélération. Cet environnement nécessite donc la mise en commun de moyens. Les acteurs souhaiteront également diversifier leurs activités. Le terreau est favorable à une poursuite des opérations de concentration. De nombreux projets de rapprochement sont sur la table : la vente d’Aviva France, la cession par AXA de sa filiale AXA IM qui revient comme un serpent de mer, ou encore l’accord signé entre le groupe OFI et MGEN créant ainsi un partenariat entre leurs filiales de gestion Egamo et OFI Mandats. L’ensemble de ces opérations confirme la recherche de consolidation.
"Cet environnement nécessite pour les sociétés de gestion la mise en commun de moyens"
La création d’un label ISR européen est-elle indispensable ?
E. P. Nous comptons en France plus de 500 fonds estampillés ISR. Cela représente près de 250 milliards d’euros d’encours sous gestion. À cela, s’ajoute de nombreuses sociétés de gestion qui mettent en œuvre une approche ESG, sans pour autant faire labelliser leurs véhicules d’investissement. S’il y a une dizaine d’année, l’approche ESG pouvait être encore vue comme une simple opération de marketing, l’environnement a depuis bien changé. Les investisseurs institutionnels et les épargnants montrent aujourd’hui un grand intérêt pour l’ISR. Chaque pays, ou presque en Europe, propose son propre label. Si nous travaillons aujourd’hui à un label commun, les différences culturelles et juridiques entre les pays constituent des freins encore importants. En France, nous échangeons avec le ministère et le trésor pour adapter et moderniser le label ISR. L’idée est notamment de donner aux aspects sociaux une place équivalente aux questions environnementales et de gouvernance.
Ces sujets sont-ils aujourd’hui bien appréhendés par les épargnants ?
Adeline de Queylar. La labellisation ISR a pu être considéré lors de son lancement comme un feu de paille. Loin s’en faut, elle devient une norme ! Ce label suscite intérêt et curiosité. De nombreuses sociétés de gestion réalisent de gros efforts pour l’obtenir. Les épargnants veulent donner davantage de sens à leurs placements mais peinent encore à comprendre ce sur quoi les fonds sont investis. Ils peuvent penser, à tort, que les fonds ISR s’intéressent uniquement aux questions environnementales. C’est pour cette raison que les acteurs de la gestion d’actifs – banques, assureurs et sociétés de gestion – vont prendre le temps d’expliquer concrètement les tenants et les aboutissants de leur stratégie d’investissement ISR. Celles-ci sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à axer leur communication grand public dans cette direction.
E. P. En collaboration avec l’AMF, nous allons également travailler sur les données et performances extra-financières des entreprises. Pour fidéliser leurs clients, ces sociétés se devront de faire attention à ce qu’elles font.
Dans le cadre du plan de relance lancé par le gouvernement, l’AFG a fait plusieurs propositions visant notamment la possibilité pour les Français d’ouvrir un compte épargne relance, investi dans les fonds propres des entreprises. Regrettez-vous de ne pas avoir été suivi ?
E. P. Oui, je le regrette. En juin, lorsque nous travaillions sur la labellisation « relance », nous pensions que ce thème d’investissement de long terme méritait d’être motivé et stimulé sur le plan fiscal. Nous continuons nos échanges sur ce point dans le cadre du quatrième projet de loi de finances rectificative et du projet de loi de finances pour 2021. La relance ne doit pas uniquement profiter aux très grandes fortunes. Le grand public doit comprendre que le triptyque « liquidité- rendement-garantie » touche à sa fin. Ces trois éléments ne sont désormais plus compatibles. C’est donc à nous de motiver les épargnants pour qu’ils optent pour des placements de long terme, afin d’être tout à la fois acteurs et bénéficiaires de l’économie et ici de la relance.
"Le label relance est accessible à un grand nombre de fonds"
Quelles sont vos ambitions pour le nouveau « label relance » ?
E. P. L’AFG fait partie du comité de labellisation « relance ». Lors de son lancement, certains craignaient qu’il génère un coût opérationnel trop important. Avec le ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance, nous avons fait en sorte qu’il devienne un label de stimulation pour les sociétés de gestion. Il a vocation à faire participer les épargnants au redémarrage économique et à la croissance de demain, et ainsi assurer une large diffusion de l’épargne vers les fonds propres des entreprises, socle de la croissance. Le label relance est donc accessible à un grand nombre de fonds. En raison du contexte économique difficile, le démarrage est aujourd’hui un peu poussif. Mais ce label doit en priorité apporter encore plus de transparence sur les choix d’investissement des gérants et motiver les épargnants à se constituer une épargne de long terme.
Un an et demi après son lancement, quel bilan faites-vous du PER ?
E. P. Sur les nouveaux PER 8,5 milliards d’euros ont été collectés. Ce chiffre est prometteur, et ce d’autant plus que jusqu’au 1er octobre 2020 les épargnants avaient encore la possibilité d’ouvrir un PER ou un ancien support (Article 83, contrat Madelin, PERP). Sur le plan technique, de nouveaux contrats dits « PER comptes-titres » vont également émerger aux côtés des « PER Assurantiels », ce qui va renforcer la qualité de l’offre à destination des épargnants français.