Le fabuleux destin de Ginette Moulin
Ginette Moulin a tout d’une discrète mais influente héroïne. Héritière d’un groupe où le capital se transmet de mère en fille, elle évolue paradoxalement dans un monde d’hommes forts. Son grand-père, Théophile Bader cofonde en 1894 avec son cousin alsacien, Alphonse Kahn, un magasin de nouveautés au 1 rue Lafayette.
Une vie marquée par l’Occupation
Alors que les Galeries sont placées sous l’administration de Vichy, la famille se réfugie à Lyon, où Ginette Moulin décrochera son baccalauréat en juin 1944. Cette sombre période marquera la jeune femme qui conservera de cette époque un mode de vie que l’on dit sobre et un goût pour la frugalité qui tranchent avec le faste du grand magasin Paris Haussmann et de sa coupole Art Nouveau.
À la Libération, les magasins seront présidés par son père, Max Heilbronn, puis par son mari Étienne Moulin, qui fut très proche de son beau-père, les deux hommes ayant partagé leur paillasse dans les camps nazis. C’est d’ailleurs à l’occasion de leurs déjeuners à Paris après la Libération que Ginette Moulin rencontra celui qui lui donnera trois filles.
Une femme sort de l’ombre
Comme le prévoyait la règle familiale, Étienne Moulin, qui développa Monoprix, prit les rênes de l’empire – en alternance avec l’autre branche familiale – de 1971 à 1987. Mais ce ne fût pas la seule règle alors respectée. Une autre "interdisait à un couple de travailler ensemble, pour préserver l'équilibre conjugal", expliquait en 2016 aux Échos, sa fille Isabelle Moulin. Pour autant, le soir à la maison, Ginette n’hésite pas à ouvrir la serviette de son époux pour suivre les affaires de près. C’est à la mort de ce dernier, en 2004, que l’héritière sort vraiment de l’ombre.
Ginette Moulin négocie en 2005 le prêt nécessaire au rachat de la totalité du capital des Galeries.
Guerre de succession
Celle qui deviendra présidente du conseil de surveillance des Galeries Lafayette bataille dans la guerre qui oppose sa famille à celle des successeurs d’Alphonse Kahn. Victorieuse, elle obtient le retrait de sa parente Noëlle Meyer. Ginette Moulin négocie en 2005 le prêt nécessaire au rachat de l’autre branche familiale qui conduisit à la sortie de la Bourse du groupe. Négociation dont l’ancien patron de BNP Paribas doit se souvenir, lui qui fit face ce week-end de Pâques à une stratège connaissant très bien le marché. L’opération conduisit aussi à la nomination de Philippe Houzé, gendre de Ginette Moulin, à la présidence du directoire. Par la suite, les Galeries Lafayette acquerront Louis Pion et BazarChic, créeront une activité d’asset management pour valoriser le patrimoine immobilier ou encore ouvriront un magasin à Dubaï et à Istanbul.
"Mme Moulin est le pivot de la famille. C'est elle qui transmet, qui encourage, qui soutient tous les talents"
Chef de famille
"Madame Moulin est le pivot de la famille. C'est elle qui transmet, qui encourage, qui soutient tous les talents", résume, toujours dans Les Échos, Georges Plassat, ancien PDG de Carrefour, groupe dans lequel la famille est également investie. Ginette Moulin cultive sa touche de modernisme : elle qui roule en voiture électrique a pris des actions dans les Gafa. Elle perpétue également le soutien familial à l’art et, pour cela, présida le fonds de dotation de la famille - à la tête duquel se trouve désormais son petit-fils Guillaume Houzé. Guillaume n’est pas le seul héritier à avoir trouvé sa place dans l’organigramme : Arthur Lemoine, fils de Patricia née Moulin, est directeur général des activités horlogères, tandis que Nicolas Houzé dirige les Galeries Lafayette. Depuis qu’elle a cédé la présidence du conseil de surveillance à sa fille Patricia, Ginette Moulin poursuit sa mission en qualité de vice-présidente. En tout, la fortune de cette femme de 93 ans est estimée à 3 milliards d’euros et sa descendance se trouve en bonne posture pour reprendre le flambeau.
Olivia Vignaud