H. Rodarie (AF2i) : "Les investisseurs institutionnels doivent faire des choix actifs par actif"
Hubert Rodarie, le président de l’Association française des investisseurs institutionnels (Af2i), remarque que les grandes tendances d’évolutions des valorisations par type d’actifs semblent n’être plus d’actualité. Ces tendances, si elle existent, ne sont plus suffisamment puissantes comme ce fut le cas ces dernières années pour que investisseurs puissent profiter de la performance globale d’un secteur ou d’un type d’investissement. De plus, les politiques monétaires ne permettent plus aux marchés de révéler des opportunités d’investissements. Une dichotomie va donc s’opérer entre ceux qui sauront faire les bons choix et les autres. Il s’en explique.
Décideurs. Comment les investisseurs institutionnels ont-ils vécu cette année très particulière pour les marchés actions ?
Hubert Rodarie. Il est certain que l’intervention immédiate des autorités pour résoudre les problèmes de liquidités a contribué à stabiliser les marchés financiers et à les faire revenir plus rapidement sur des niveaux de valorisation antérieurs à la crise. Les professionnels sont cependant confrontés à une double préoccupation : atteindre leurs objectifs immédiats en matière de résultats financiers et, à plus long terme, s’assurer que les valorisations actuelles restent cohérentes avec les résultats futurs des entreprises. La remontée des valorisations a soulagé les investisseurs institutionnels, même si le poids des actions dans leurs portefeuille dans certains cas reste limité. Certains d’entre eux ont par ailleurs fait preuve d’une grande réactivité et saisi les opportunités de marché déclarés, que ce soit sur les actions ou le crédit. L’un de nos membres a, par exemple, indiqué qu’il avait concrétisé au cours du mois de mars 2020 l’ensemble de son programme d’investissement en crédit prévu pour l’année 2020.
"Les chocs sont toujours des révélateurs des forces et des faiblesses des organisations"
Des incertitudes demeurent concernant la reprise économique, notamment sur son ampleur. Quel regard portez-vous sur cet environnement macroéconomique ?
Le profil de reprise est régulièrement évoqué, toutefois cela reste un instrument de communication plutôt que d’analyse. L’alphabet a d’ailleurs été décliné sous toute ses formes : L, U, V, W, et depuis quelques temps on parle d’une reprise sous forme de K, pour représenter les écarts d’évolution entre secteurs. Ce débat ne doit pas nous éloigner du cœur du problème : la qualité de la structure des activités économiques dans les pays occidentaux. Les chocs sont toujours des révélateurs des forces et des faiblesses des organisations.
Quelles ont été les faiblesses de notre organisation ?
Aujourd’hui, la crise du Covid-19 fait évidemment émerger l’inadéquation de l’appareil sanitaire : son organisation n’est ni dimensionnée, ni préparée à faire face à des situations de crise. De façon plus générale, en matière économique, nous avons subi certes des ruptures d’approvisionnement en biens essentiels (médicaments, masques , réactifs…) mais aussi les effets du déplacement depuis près de 20 ans des emplois de l’industrie, en chute dans beaucoup de pays occidentaux au profit des emplois dans les services. Or, ces postes ont été frappés en premier par les mesures de distanciation sociale, et de façon plus générale par la réduction de la vie sociale en général. Transport, restauration, hôtellerie, tourisme, activité culturelles… on parle de près de 30 000 destructions d’emplois dans le seul secteur hôtelier. C’est colossal. Et encore, ces statistiques ne comptent pas les effets induits. Certains secteurs ne pourront pas se relever tant que la crise sanitaire ne sera pas résolue.
Depuis quelques années, les institutionnels montrent un appétit de plus en plus grand pour les investissements dits « alternatifs », et notamment l’immobilier. Cet attrait peut-il être remis en cause par la crise ?
La question est complexe. Les réponses doivent prendre en compte non seulement plusieurs paramètres mais aussi des effets induits qui se révèleront progressivement. La crise met en exergue les fragilités des business models de certains secteurs d’activité notamment ce qui est lié au commerce, mais aussi ce qui paraissait évident avant, l’est aujourd’hui beaucoup moins. L’immobilier locatif tertiaire a ainsi un niveau de risque plus élevé car les entreprises vont chercher à adapter leurs implantations et les surfaces louées, à une organisation du travail qui intègre davantage de recours au télétravail. Le flex-office était apparu comme une solution à la cherté de certaines surfaces, toutefois les protocoles de distanciation sociale y sont plus difficiles à mettre en œuvre dans ce cadre. Les estimations et les certitudes sur les surfaces de bureaux nécessaires à l’activité économique et leurs qualités sont donc apparemment devenues plus fragiles.
"L’immobilier locatif tertiaire a un niveau de risque plus élevé"
Ces tendances etaient pourtant déjà apparentes ?
Effectivement, certaines questions étaient déjà présentes mais ceux qui les évoquaient il y a dix-huit mois étaient considérés comme des oiseaux de mauvais augure. Aujourd’hui, ces questions s’imposent à tous, de manière brutale. Quand les marchés sont portés par des tendances favorables, un large panel d’investissement en profite. Dans une période comme celle que nous vivons la nécessité d’analyser les caractéristiques intrinsèques de chaque actif resurgit. Et cette tendance ne concerne pas seulement l’immobilier. Le marché du crédit, les actions, le private equity sont aussi concernés. Les investisseurs institutionnels doivent aujourd’hui faire des choix actifs par actif. C’est peut-être plus difficile, mais c’est aussi une occasion de montrer son professionnalisme et les investisseurs institutionnels n’en manquent pas.