P. de Rovira (PSA) : "La course dans le domaine automobile ne s’arrête pas"
Décideurs. Vous avez commencé votre carrière en tant qu’auditeur interne chez PSA. Vous y avez ensuite exercé plusieurs fonctions avant de devenir directeur financier en 2018. Quelle est la mission qui vous a été confiée ? Quel est le périmètre de la direction financière du groupe PSA ?
Philippe de Rovira. Depuis 2018, le groupe poursuit l’intégration d’Opel Vauxhall à ses activités, avec l’objectif d’aligner la rentabilité sur celle de Peugeot-Citroën-DS. Par ailleurs, l’effort permanent pour abaisser chaque année le point mort est une priorité constante et est payant, car nous avons pu passer la crise de Covid-19 dans de bonnes conditions.
La direction financière a pour objectif premier d’assurer la rentabilité des activités du groupe. Bien entendu, elle a aussi pour mission de sortir les comptes. Nous avons donc une partie classique avec des activités de contrôle de gestion, de comptabilité, de consolidation, de fiscalité, de financement, de corporate finance et de communication financière et RH de la filière finance du groupe. La particularité chez PSA, c’est qu’à la direction financière est également rattachée la direction des véhicules d’occasion du groupe. Moins connue que celle des véhicules neufs, elle est clé, non seulement en termes de volume, mais aussi pour la tenue des prix de transaction et des valeurs résiduelles.
Le groupe a mis en place un plan de croissance organique, « Push to Pass ». En quoi consiste-t-il ?
Ce plan, mis en place en 2016, consiste à faire de PSA un constructeur automobile mondial à la pointe de l’efficience. Les premiers objectifs ayant été largement dépassés en 2018, nous en avons fixé un nouveau, celui d’atteindre une marge opérationnelle courante moyenne de la division automobile de plus de 4,5 % entre 2019 et 2021. Et ce, quelles que soient les conditions de marché. Dans la deuxième partie du plan, nous avons eu à cœur de poursuivre l’amélioration de la rentabilité du groupe, c’est-à-dire de trouver des leviers pour abaisser le point mort, en améliorant les revenus et réduisant les coûts fixes et variables. Un des points clés tient à la politique de pricing power. Celle-ci consiste à vendre au bon prix en travaillant notamment le mix famille des marques, car au sein de chacune d’entre elles, la rentabilité n’est pas la même. Nous poursuivons parallèlement une stratégie offensive sur les produits, notamment sur l’électrique, et développons les offres multimarques dans le domaine de l’après-vente et des véhicules d’occasion.
Quelles sont les avancées aujourd’hui ?
Les avancées se voient dans les résultats financiers. Dans l’industrie automobile, le critère retenu est la marge opérationnelle courante et au premier semestre 2020, PSA a été le constructeur le plus rentable. Mais la course dans le domaine automobile ne s’arrête pas, il faut continuer à courir chaque jour. En ce qui concerne l’intégration d’Opel, il reste encore du travail par exemple. La migration des systèmes d’information avance et sera clé pour accélérer l’intégration. Avoir un système unique déclenche des synergies et permet aux équipes de travailler ensemble.
"Les composants électriques représentent plus d’un tiers de la valeur des véhicules de demain"
De la fusion de PSA avec Fiat Chrysler Automobiles naîtra Stellantis. Qu’attendez-vous de ce projet de fusion ? Quelle part y prenez-vous ?
Les synergies sont le moteur du projet de fusion avec FCA. Nous avons annoncé 5 milliards de synergies, grâce, notamment, à la mise en commun de plateforme, de moteurs, de transmissions, sans parler des frais généraux et des fonctions support. Les volumes des deux entités combinées permettront par ailleurs d’acheter les pièces détachées à meilleur prix. Pour PSA, il s’agit de passer d’un groupe très européen à un groupe mondial. Stellantis s’appuiera sur trois grandes zones que sont l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Amérique latine. L’objectif est de devenir leader en termes de profitabilité sur ces trois grandes régions et d’améliorer encore la résilience de l’entreprise par une plus large diversification géographique.
Comme dans toute fusion, les équipes financières sont en première ligne, de la négociation à l’exécution. Entre le signing et le closing, 25 groupes de travail et plus de 500 collaborateurs des deux sociétés s’attèlent à la préparation des plans d’actions détaillés de la fusion. Il s’agit d’identifier les pistes de synergies dans le détail, de calculer leur valeur et de définir le planning. Dès la création de Stellantis au premier trimestre 2021, il faudra suivre et diriger l’exécution du plan, sous la houlette de Carlos Tavares.
Le gouvernement français a mis en place un plan de soutien de la filière automobile, d’un montant de 8 milliards d’euros, pour la rendre plus verte et compétitive. Quels en sont les effets pour PSA ?
Le plan présenté par le gouvernement français est en parfaite cohérente avec ce que PSA a engagé dans sa lutte quotidienne contre le réchauffement climatique, à savoir augmenter la part de marché des véhicules électriques et remplacer le parc plus ancien de véhicules thermiques. Nous investissons ainsi plus de 80 millions d’euros dans les capacités de production des futures chaînes de tractions électriques. Plus récemment, nous avons lancé, en association avec Total, le projet de société commune ACC, un « Airbus des batteries », avec un site de production en France et un autre en Allemagne. Nous avons également noué deux autres partenariats, l’un avec Nidec pour la conception de moteurs électriques, l’autre avec Punch Powertrain pour la fabrication des boîtes de vitesse électrifiées à Metz. Quant au soutien de la filière automobile au niveau européen, il contribue à maîtriser la chaine de production électrifiée. Pour donner un ordre de grandeur, les composants électriques comme les batteries représentent plus d’un tiers de la valeur des véhicules de demain.
"Le grand défi consiste à produire des véhicules électriques abordables pour le client et profitables pour le constructeur"
Comment financer la voiture de demain ?
La voiture d’aujourd’hui repose principalement sur le moteur thermique et de plus en plus sur l’électrique. Demain, elle sera encore plus électrique, avec toujours plus d’autonomie. Une autre piste d’évolution est portée par l’hydrogène. Dans ce domaine, nous en sommes à la phase de test sur des véhicules utilitaires, car le besoin des utilisateurs y est adapté. Les véhicules particuliers viendront plus tard. Depuis le rachat d’Opel, nous pouvons profiter du savoir-faire de leurs équipes d’ingénieurs en recherche et développement sur l’hydrogène. Le groupe PSA coopère depuis des décennies avec d‘autres acteurs pour partager les coûts. Ce sera également le cas pour l’hydrogène dans les mois qui viennent. Le grand défi consiste à produire des véhicules électriques abordables pour le client et profitables pour le constructeur.
Les free cashflows positifs dégagés chaque année depuis maintenant sept ans permettent de financer nos investissements. Même si PSA avait la taille critique tout seul, l’envergure de Stellantis participera au partage plus large des coûts de développement et des dépenses sur davantage de marques.
Au plus fort de la crise, comment avez-vous réagi en tant que directeur financier ?
Nous n’avons pas eu recours au prêt garanti par l’État, car nous avions un point mort très bas, à 50% des véhicules vendus en 2019. Tout le travail accompli, cette obsession d’amélioration du point mort depuis de nombreuses années nous ont permis d’aborder la crise avec plus de sérénité.
La première action a été de suspendre la production au plus vite afin de maintenir les stocks à un volume volontairement très bas. Cela permet de ne pas immobiliser trop de cash dans les stocks et de maintenir les prix de transaction à un meilleur niveau. Ensuite, une revue d’indicateurs clés a été mise en place, notamment du point de vue commercial et sur les coûts, avec des réunions quotidiennes de prise de décision au niveau du CEO. En avril, les ventes de véhicules ont chuté de 90 % en Europe. Les dépenses marketing ont été réduites dans la même proportion pour adapter les dépenses à la baisse du chiffre d’affaires et rendre variables des coûts fixes autant que possible.
Une autre priorité a été d’assurer le financement de l’entreprise. Pour ce faire, une ligne de prêt syndiqué de près de 3 milliards d’euros sur 12 à 18 mois a été négociée en avril. Même si nous ne l’avons pas utilisée, nous étions en position de résister à une crise plus longue que celle que nous avons vécue.
Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret