A. Lhabouz (Trecento AM) : "Le repli sur soi n’est pas la solution au problème du climat"
DÉCIDEURS. Quel sera le rôle des métiers de la gestion de patrimoine et de la gestion d’actifs dans ces changements ?
ALICE LHABOUZ. L’industrie de la gestion d’actifs a accéléré depuis déjà quelques années les flux d’investissement vers des secteurs et des thèmes responsables, durables et en lien avec l’urgence au regard du réchauffement climatique. En 2012, environ 13,2 trillons de dollars d’actifs étaient gérés selon une stratégie avec une prise en compte des facteurs ESG dans le processus de sélection des investissements, soit près de 22 % des actifs sous gestion totaux. En 2018, le montant s’élevait à 30,7 trillons de dollars (41 % des actifs sous gestion), soit une progression d’environ 130 %. Il faut poursuivre dans ce sens en améliorant les pratiques et en impliquant collectivement et simultanément l’écosystème financier et l’ensemble des parties prenantes.
Plus que jamais, une coordination des investisseurs en matière de stratégie d’investissement durable et/ ou d’impact, d’engagement actionnarial, ainsi qu’une homogénéisation des méthodologies de reporting/notation ESG sont nécessaires et permettraient aux émetteurs de mieux percevoir les éléments clés en matière de performance ESG. Ainsi, plus de 340 investisseurs gérants 34 trillons de dollars d’actifs se sont engagés à pousser les plus grandes sociétés émettrices de gaz à effet de serre (GES) à reporter leurs données environnementales selon les guidelines TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures).
"Une homogénéisation des méthodologies
de reporting et de la notation ESG est nécessaire"
La finance verte sera-t-elle un moteur de transformation de notre société ?
Nous assistons effectivement à une explosion des produits financiers « verts » (fonds actions labellisés, obligations vertes ou climat) destinés à financer des projets favorisant l’accélération de la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. L’une des priorités dans ce combat est de réduire l’impact carbone de nos économies pour tenter de contenir l’augmentation de la température en dessous de 2°C et atteindre l’objectif de zéro émission nette entre 2050 et 2100 (Accords de Paris de 2015). Cela passe notamment par des investissements en faveur d’une économie circulaire et bas carbone, incluant par exemple l’électrification croissante des usages (mobilité, transports en commun), la rénovation des bâtiments, l’installation d’infrastructures de production d’énergies renouvelables, la reforestation, la décarbonisation des industries très émettrices de gaz à effet de serre (GES).
La démondialisation est-elle la voie à suivre ?
Le repli sur soi n’est pas la solution au problème du climat, au contraire. Si la mondialisation a probablement accéléré l’activité industrielle et plus globalement des hommes, c’est surtout le manque de coordination et de coopération à l’échelle internationale qui pénalise ce combat d’intérêt général.
Les Accords de Paris, signés par 195 pays en 2015, en sont une parfaite illustration : comment peut-on parvenir aux objectifs souhaités lorsque les États-Unis, en tant que deuxième pays du globe le plus émetteur de gaz à effet de serre et représentant quasiment un cinquième de ceux-ci, se retirent du traité à l’initiative du président Donald Trump en 2017 ? Pourquoi doit-il y avoir un partage de coûts inéquitable lorsque l’objectif poursuivi est le même pour tous ?
Pour autant, il ne faut pas non plus attendre un départ parfaitement coordonné de la part de tous les pays. Dans chaque vague, qu’elle soit technologique, sociétale, environnementale ou autre, des acteurs leaders montrent la voie et entraînent les autres.
Propos receuillis par Aurélien Florin