F. Visnovsky (ACPR) : "On ne peut que souligner le volontarisme des banques durant cette crise"
Décideurs. D’une manière générale, quelle est la situation des entreprises en France? Que s’est-il passé depuis le confinement décidé sur l’ensemble du territoire national?
Frédéric Visnovsky. En début d’année, la situation des entreprises et de leur financement était tout à fait positive. L’activité économique demeurait soutenue et le crédit bancaire accessible en bonne quantité et à des taux très faibles. La crise est venue tout perturber puisqu’elle a frappé de plein fouet les sociétés. Le confinement généralisé a eu pour effet de les couper de tout ou partie de leurs revenus. En réponse à cette urgence, le gouvernement a donc décidé de soutenir les entreprises avec l’idée assez simple de réduire les charges qui pèsent sur celles-ci : cela se traduit par les dispositifs de chômage partiel et de report de charges fiscales et sociales. Simultanément, les pouvoirs publics ont mis en place le mécanisme de Prêt garanti par l’État (PGE) de manière à préserver la trésorerie de groupes privés de recettes pendant tout le confinement. Enfin, n’oublions pas le fonds de solidarité qui, lui, vient verser des subventions permettant par exemple de payer les loyers, et qui, comme son nom l’indique, ne suppose pas de remboursement de la part du bénéficiaire.
Concernant la médiation du crédit, on imagine que vous avez été beaucoup sollicité sur le PGE, n’est-ce pas?
Bien sûr, le PGE rejoint précisément le champ de compétences de la médiation. Pour ce dispositif, précisons d’abord que le gouvernement n’a pas souhaité accorder une garantie totale de l’État sur le prêt. Pour faire simple, la garantie publique est de 90 % dans le cadre de financements au profit des petites entreprises et de 70 % pour les grandes. L’objectif est que cette aide soit disponible le plus largement possible, mais qu’elle ne soit pas offerte sans que les professionnels du crédit n’aient à faire leur travail d’évaluation de la situation de l’emprunteur et de sa capacité de remboursement. A date, le résultat est impressionnant : plus de 110 milliards d’euros de PGE ont été distribués, ce qui représente largement plus qu’une année normale de production! On ne peut que souligner le comportement volontariste des banques durant cette crise. Le taux de refus du PGE se situe autour de 2,7 %, sur un total de 660 000 demandes. Environ 16 000 entreprises ont donc été concernées par un refus de PGE.
Et c’est à cette occasion que les entreprises se tournent vers la médiation du crédit?Exactement, le dispositif de médiation a été mis en place pour accompagner les groupes essuyant un rejet de financement. La médiation est présente dans tous les territoires, au sein du réseau de succursales de la Banque de France, donc au plus près des entreprises, TPE, PME, et de leurs banques. Sur toute l’année 2019, nous avions reçu 1 000 demandes de médiation. En comparaison, entre avril et juillet 2020, ce sont près de 10 000 situations de désaccords sur des prêts que nous avons eu à traiter.
Pourquoi certaines entreprises n’ont donc pas pu bénéficier du PGE? L’essentiel des refus que nous voyons en médiation concernent des sociétés qui allaient mal avant la crise. Et il est clair que le PGE n’a pas été conçu pour ce type de situation. De fait, les entreprises dont les fonds propres étaient négatifs avant le confinement ne sont pas celles visées prioritairement par le dispositif. Pour autant, ce n’est parce que l’on était en mauvaise posture avant la crise qu’on n’a pas de chance de s’en sortir. C’est ce qui explique le taux de succès de la médiation, à hauteur de 55 %. C’est-à-dire que dans la moitié des cas présentés, nous trouvons une solution de repli avec les partenaires bancaires, difficultés antérieures à la crise ou non.
D’ailleurs, il convient peut-être de mettre en lumière les groupes bancaires qui ont fortement contribué au maintien de l’activité en France. Votre impression?J’ai une conviction profonde : l’intérêt d’une banque est d’avoir des clients. Si demain, l’activité des clients est menacée, il est dans l’intérêt de la banque de les aider à passer les périodes difficiles. La relation bancaire doit s’inscrire dans la durée. Il faut donc se méfier des discours pessimistes mettent en cause trop rapidement le comportement des banques. Mais les banques doivent aussi apprécier les risques qu’elles prennent, car derrière ce sont les dépôts de leurs clients. De plus, les établissements de crédit, s’ils ne prennent un risque que très limité grâce à la garantie de l’État, n’ont aucune marge sur les prêts. Il n’y a pas de taux d’intérêt et donc aucune rentabilité, quand bien même il génère plus de travail chez eux. En définitive, le PGE est un produit financier très intéressant pour ses bénéficiaires - à maturité initiale d’un an, transformable en crédit amortissable jusqu’à cinq ans supplémentaires si l’entreprise le demande.
Nombreux sont aussi les observateurs qui s’inquiètent de l’évolution de la situation des entreprises au moment du débouclage des PGE. Quelles mesures d’anticipation ont été prises afin de sécuriser cette échéance?Bien sûr, il ne faut pas être naïf. Les entreprises sortiront de cette crise en moins bonne santé puisqu’elles ont à la fois souffert d’une baisse d’activité, donc moins de bénéfice, et ont augmenté leur ratio d’endettement. Trois solutions doivent permettre d’atterrir en douceur au moment du débouclage des PGE. D’abord, cela a été dit, ils sont extensibles. Et je ne saurais que recommander aux dirigeants des entreprises de bien faire l’évaluation de leur situation de trésorerie, de dialoguer avec leur banque, et voir si la demande d’étalement doit être faite car ils coûtent moins chers qu’un crédit de trésorerie classique. Ensuite, les reports de charge pourront également être étalés. Enfin, la troisième mesure, en préparation, qui prolonge les prêts participatifs et les avances remboursables de l’État déjà disponibles, consiste à mettre en place un dispositif de soutien en fonds propres des entreprises. Après avoir débloqué le robinet de la dette, il s’agit d’ouvrir celui de l’equity. Pour ce faire, l’idée est de s’appuyer sur les fonds régionaux, la Caisse des Dépôts et Bpifrance. Ce besoin en fonds propres a été quantifié entre dix et vingt milliards d’euros mais il s’agira d’être sélectif car, là encore, il ne s’agit pas de mettre de l’argent public dans des entreprises non viables.
Propos recueillis par Firmin Sylla