V. Placier (Quadient) : "Nous devons être capables, au quotidien, de courir un marathon plutôt qu’un sprint"
Comment votre direction financière a-t-elle vécu ces derniers mois ?
Au cours de ma carrière, j’ai été confronté à des périodes de crise qu’elles soient internes aux sociétés ou contextuelles, notamment avec la crise de 2008. Cette expérience m’a permis d’appréhender cette nouvelle période difficile avec le calme et le recul nécessaire. Chez Quadient, nous avons la chance d’avoir un business récurrent, ainsi, la crise a été abordée plus sereinement.
Cette période de trouble a eu un effet de loupe qui a mis en exergue nos difficultés et nos atouts pour y faire face. On peut donc dire qu’elle a eu, d’une certaine façon, un effet bénéfique. Elle a donné l’occasion aux sociétés de se poser et de réfléchir vers quel modèle elles voulaient tendre en mettant en lumière ce qui est réellement important. Pendant cette phase, il a fallu endosser notre rôle de manager afin de soutenir nos équipes et les aider au quotidien que ce soit d’un point de vue professionnel ou personnel. Nous avons dû être constamment vigilants sur les priorités et les messages véhiculés afin de les aider à prendre le recul nécessaire.
Au premier trimestre 2020, le chiffre d'affaires de Quadient, comme celui de beaucoup d'entreprises, a été fortement affecté par les mesures de confinement. Comment avez-vous géré les problématiques de cash engendrées par cette crise ?
Nous avons immédiatement mis un coup de projecteur sur le cash afin de le piloter de manière plus fine qu’auparavant. Pour cela, les indicateurs qui nous manquaient ont été développés très rapidement, tout en faisant en sorte de les pérenniser.
Quadient a comme particularité d’avoir pour clients des PME et des TPE de secteurs différents. L’enjeu sera de faire face aux problématiques de solvabilité de notre clientèle qui risquent de s’intensifier à la rentrée. Grâce à nos partenaires, nous avons pu mettre en place des indices de solvabilité spécial Covid qui nous assurent une appréhension pertinente et dynamique de notre risque client. C’est ce genre d’indicateur que nous déployons et que nous organisons dans un objectif d’anticipation.
"Le CEO attend aujourd’hui du DAF qu’il soit curieux et force de proposition en faisant parler les chiffres"
Quelles leçons avez-vous tiré de cette période difficile ?
Nous nous sommes notamment rendu compte que nous n’avions pas assez d’intégration dans nos différents KPI - ERP, CRM et outils de recouvrement des créances clients. L’enjeu pour demain est de réunir toutes ces données afin d’obtenir des indicateurs pertinents et directs. Ils nous permettront de communiquer rapidement à nos équipes les informations nécessaires et suffisantes à leur travail. Tout cela participe à la digitalisation, toujours croissante, de Quadient.
Par ailleurs, nous avons observé que les nouveaux outils pouvaient être particulièrement invasifs. Nous pratiquions déjà le télétravail chez Quadient mais pas à cette échelle ni sur cette durée. Cela implique de mettre en œuvre une certaine discipline pour que cette flexibilité ne devienne pas une contrainte.
Votre rôle de DAF en ressort-il changé ?
Cette crise a démontré, une nouvelle fois, que le rôle du DAF est, avant tout, d’accompagner l’activité. Ma mission, et celle de mon équipe, est de faire le lien entre toutes les directions en leur procurant une photo du business la plus pertinente possible sans entrer dans un niveau de détail trop complexe. Bien sûr, nos missions de reporting sont importantes mais il faut savoir aller au-delà en aidant nos interlocuteurs à prendre les bonnes décisions pour arbitrer les dépenses et les investissements. Cela nécessite une sensibilité et une curiosité vis-à-vis du cœur de métier, ce qui est encore plus vrai chez Quadient dont les domaines d’activité sont variés et en pleine transformation. Ainsi, la communication est plus importante que jamais. Le CEO attend aujourd’hui du DAF qu’il soit curieux et force de proposition en faisant parler les chiffres.
Quelles aides de l’État avez-vous sollicité ?
Nous avons utilisé les reports de charges proposés par l’État. Pas tant pour un problème de trésorerie mais par manque de visibilité. Nous arrivions en fin d’année fiscale, ce qui représente habituellement une activité accrue, ainsi nous présentions un risque client majeur. Nous y avons donc fait appel pour être certains de tenir nos échéances de dettes, que nous venions pour certaines de renégocier. Nous avons également utilisé le mécanisme du chômage partiel. En revanche, nous n’avons pas eu à faire appel à un PGE grâce à notre activité récurrente.
"Actuellement, nous vivons une période incertaine qui nous oblige à une agilité qui n’a toutefois rien d’une improvisation"
Avant de rejoindre Quadient, vous avez exercé les missions de directeur financier au sein de Rogé Cavailles (Groupe Bolton) et Institut Esthederm & Etat Pur (Groupe Naos). Les missions de la DAF varient-elles d'une entreprise à une autre ? Et dans quelle mesure ?
Je suis également passé par Unilever et LVMH. Toutes ces entreprises sont très différentes, notamment par leur structure. Par exemple, Rogé Cavailles et Institut Esthederm & Etat Pur sont deux sociétés familiales. Leurs canaux de distribution sont également différents, tout comme le périmètre de mon poste qui était français chez Rogé Cavailles et très international chez Institut Esthederm & Etat Pur. Quadient est une entreprise qui se transforme et qui passe d’un business mail traditionnel vers des solutions d’avenir plus digitales encore. Cela requiert une posture et une manière de faire très différente. Ces business models différents demandent une grande capacité d’adaptation et d’écoute.
Cependant, dans chacune de mes expériences, j’ai trouvé un fil conducteur. Le DAF est un acteur du business et j’ai toujours eu la chance de travailler sur des postes où il y avait une grande proximité avec le CEO qui était, à chaque fois, en demande d’information et de clefs de lecture sur son activité. Le poste de DAF est passionnant car il évolue progressivement d’un métier technique et comptable vers un métier business tout en s’appuyant sur une équipe d’experts(outils, comptabilité…).
Quels sont, pour vous, les prochains enjeux de votre direction financière ?
Il y en a plusieurs. D’abord, celui, que nous avons déjà évoqué, d’accompagner le management dans sa prise de décision grâce à des outils de business intelligence adéquats. Par ailleurs, un enjeu important demeure : le recrutement. L’humain n’a jamais eu autant d’importance dans les entreprises. Le rôle de notre direction est déjà et sera de développer des compétences et des talents afin qu’ils participent au développement de la société. Cela implique d’être des managers plus présents car nous sommes confrontés à des générations plus demandeuses. Notre mission sera de donner du sens et des perspectives à nos équipes en portant une attention particulière sur leurs priorités. En ce sens, le DAF leader a une casquette de coach au travers d’un travail sur les valeurs de l’équipe, la place de chacun dans l’entreprise et sa culture, le tout en faisant preuve d’intelligence émotionnelle.
Tous ces enjeux vont être encore plus vrais en sortie de crise. Nous devons être capables, au quotidien, de courir un marathon plutôt qu’un sprint. Actuellement, nous vivons une période incertaine qui nous oblige à une agilité qui n’a toutefois rien d’une improvisation. C’est pour cela que le digital est primordial. Plus nous aurons à notre disposition des outils "presse-boutons", moins nous perdrons de temps à analyser des chiffres pour se concentrer sur le business. L’intérêt des postes s’en trouvera grandi et nous répondrons ainsi aux attentes de nos partenaires.
Propos recueillis par Béatrice Constans