Tout l'écosystème du capital-investissement est dans l'expectative. La crise du Covid-19 a entraîné un coup d'arrêt sur les opérations et les fonds d'investissement se concentrent sur les difficultés que connaissent les sociétés de leur portefeuille. Le secteur ne manque pourtant pas d’atouts pour rebondir et tire d'ores et déjà les premiers enseignements de la crise sanitaire.

Liste des participants

Monica Barton, associée à Londres Winston & Strawn
Mounir Letayf
, associé à Paris Winston & Strawn
Pierre-Louis Nahon
, Managing Director - Head of Debt Advisory Alantra
Christophe Parier
, associé Activa Capital
Florent Trichet
, Head of Private Debt France BlackRock

Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ?

Mounir Letayf. L'activité économique a incontestablement subi un coup d'arrêt même si un certain nombre de dossiers en cours ont été closés durant cette période. Les emprunteurs concentrent leurs efforts sur la recherche de solutions de liquidité, surveillent leur cash flow et leurs obligations au titre des lignes de crédit existantes. Les prêteurs, quant à eux, ont tendance à se concentrer sur le profil de risque de leur portefeuille. À cela s'ajoutent des mesures d'aides gouvernementales qui sont, d'une part, différentes d'un pays à l'autre et, d'autre part, mouvantes au sein d'une même juridiction. L'analyse des opérations, notamment crossborders, s'en trouve d'autant plus compliquée. D'où la nécessité d'une communication permanente entre emprunteurs et prêteurs. Le rôle des conseils est d'encourager et d'accompagner ce dialogue.

Christophe Parier. Dans le cadre des levées de fonds, les investisseurs sont dans une incertitude non quantifiable concernant les valorisations des entreprises. Les LPs s'attendent à deux vagues de revalorisation des actifs en portefeuille aux mois de juin et de septembre, mais il faudra être plus patient pour juger des effets stabilisés de la crise.

Les dossiers qui étaient en cours avant l'épidémie continuent toutefois d'avancer. À leur rythme. Les grands institutionnels, qui étaient très engagés avant la crise, continuent leur travail de due diligence. En réalité, l'impact principal de la crise sur les levées de fonds va surtout être un décalage dans le temps. Du côté du transactionnel, l'activité est globalement éteinte même si on remarque que tous les banquiers d'affaires commencent à se remettre au travail. Ce qui n’en est pas moins un signe positif pour les prochains mois.

Pierre-Louis Nahon. Je fais le même constat. Les dossiers qui étaient déjà signés au moment de la crise sont allés au bout du processus. Nous n'avons pas constaté de sortie brusque. Pour ce qui est des nouveaux dossiers, nous avons observé un très fort ralentissement de la demande ainsi qu’un net rétrécissement - pour ne pas dire la fermeture - de l'offre bancaire. En plus du manque de visibilité sur les perspectives économiques des emprunteurs, la faiblesse du marché secondaire est un vrai sujet pour la mise en place de nouvelles prises fermes tandis que beaucoup d’opérations passées restent en attente de syndication jusqu’à des jours meilleurs. Cela n’aide pas à en mettre en place de nouvelles. Restent les fonds de dette unitranche qui sont ouverts aux nouvelles opérations, avec une tendance au relèvement de leurs marges.

Concernant les opérations de restructuration, celles qui animent le marché aujourd'hui sont essentiellement celles qui en avaient déjà pris la direction avant la crise sanitaire. C'est par exemple le cas de plusieurs sociétés du secteur automobile ou du secteur retail. On peut s'attendre à en voir de plus en plus durant les prochains mois selon le timing du rebond et selon son intensité.

"En réalité, l'impact principal de la crise sur les levées de fonds va surtout être un décalage dans le temps." Christophe Parier

Florent Trichet. Je partage cette idée. Dans le contexte actuel, la préoccupation principale des prêteurs est la préservation de la valeur du portefeuille. Concernant la performance financière des sociétés dans cette crise sanitaire, il est encore trop tôt, surtout du point de vue du prêteur, pour en tirer des conclusions. Nous allons entrer dans une période très incertaine. En attendant, nous parons au plus important et notamment à la gestion de la liquidité à court et moyen terme. Nous nous attendons à traiter prochainement une vague de covenants waivers et resets mais il faudra probablement attendre les résultats de juin. Nous avions constaté une quasi totale disparition de nouveaux dossiers au début de la crise sanitaire. Grâce à l'effet de sortie de confinement, ils sont de retour dans un certain nombre de pays et notamment en France, sur des secteurs qui n'ont pas ou peu été impactés par la crise comme la technologie et les logiciels.

Monica Barton. Il est vrai que les activités des entreprises sont à l’arrêt en ce moment et qu’elles se concentrent sur la recherche de solutions de liquidité pour poursuivre leurs activités. Les conséquences de cette nouvelle réalité sont particulièrement dévastatrices pour les entreprises dans des secteurs en difficulté, avec trop d'endettement ou l'absence de revenus en raison de la suspension des activités.

Dans ces situations, les protections mises en place par les États ne sont pas forcément suffisantes pour ces entreprises, car il y a un manque de liquidité, de revenus. Les moratoires légaux, par exemple, ne suffisent pas. Le gouvernement a été assez réactif pour soutenir les entreprises, en prévoyant un dispositif pour garantir les prêts bancaires aux entreprises, et on voit des pools de banques dans les crédits syndiqués qui acceptent de faire des bridges sous la forme de prêt garanti par l’État (PGE). Mais il s’agit effectivement de restructuration de dossiers en cours ou existants. Nous voyons aussi de nouveaux dossiers de refinancement avec notamment des fonds de dette unitranche, mais très peu de nouveaux dossiers d’acquisition.

La crise a eu un impact disparate selon les secteurs. Comment l'avez-vous constaté sur les portefeuilles ?

Christophe Parier. La situation est contrastée sur notre portefeuille qui est tourné majoritairement vers le BtoB Service (tels que de l'ERP de soins à domicile, du courtage en assurance digitale, de la data, etc.) qui résiste correctement. En revanche, d'autres secteurs sont plus fortement impactés par la crise comme le retail, le travel retail ou encore l'aéronautique. Nous sommes satisfaits qu'aucune de nos entreprises ne soit actuellement en difficulté à court terme.

Pierre-Louis Nahon. En tant que conseil financier, nous constatons également que certains secteurs sont très touchés par la crise du Covid-19 comme le retail, l’hôtellerie, l'événementiel, l'aéronautique ou l’automobile. Les entreprises des autres secteurs restent pour la plupart sur des baisses d'activité plus modérées et certaines résistent même assez bien à la situation comme certains segments de l'agroalimentaire, la santé (sauf dentaire notamment) ou la tech.

Florent Trichet. Je préciserai que l'avenir des différents secteurs est difficile à anticiper, car les habitudes de consommation sont très incertaines sur les prochains mois et les prochaines années. De notre côté, nous allons continuer et probablement intensifier notre focalisation sur les secteurs de la santé, de la technologie et des logiciels, qui représentent déjà une part importante de notre portefeuille et qui devraient se montrer résilients dans le contexte actuel.

Quel impact les mesures gouvernementales ont-elles eu sur les contrats de financement en cours ?

Christophe Parier. Nous avons eu recours, pour les entreprises qui le nécessitaient, à des PGE et des tirages de lignes à court terme. Le mécanisme du PGE est fluide et très efficace. L'instruction des dossiers par Bpifrance est à la fois réactive et granulaire. De même, les prêteurs, notamment les banques françaises, sont dynamiques et pragmatiques. Globalement, nous avons un retour très positif sur la réactivité de tout l'écosystème.

Aujourd'hui, la position des banques est de traiter la liquidité et de suspendre les covenants trimestriels problématiques de mars, juin et septembre, plus rarement de décembre. À l'automne, les emprunteurs auront le choix : se refinancer s'ils le peuvent, ou discuter avec les prêteurs, à minima des covenants qui devront faire l'objet d'un reset, voire négocier un rééchelonnement.

"Les prêteurs tiennent à leur réputation d'acteurs sérieux du monde économique et financier." Mounir Letayf

Pierre-Louis Nahon. En effet, le PGE est un bel outil sur lequel nous œuvrons largement en tant que conseil en financement, aux côtés des avocats et des auditeurs. Il ne faut cependant pas perdre de vue que le PGE reste une dette qu’il conviendra de rembourser nonobstant la garantie apportée par l’État. Ainsi, au-delà du seul aspect de liquidité à court terme, il y aura pour le moyen terme un exercice de mise en adéquation entre structures financières et capacités réelles post-crise.

Deux difficultés se dégagent concernant la mise en place des PGE. Tout d’abord se pose le problème du placement de ces facilités. Dans le cas où il n’y a que des banques françaises dans le pool, cela est plutôt simple car le PGE se répartit en principe entre elles. En revanche, si le pool rassemble banques françaises et étrangères ainsi que des prêteurs institutionnels, se pose alors la question de qui va effectivement porter l'effort du PGE. En pratique, ce seront généralement les banques françaises qui vont le supporter alors que les banques étrangères - sauf cas particulier - se montrent plus frileuses bien qu’étant éligibles à la garantie d’État contrairement aux institutionnels qui ne le sont pas. Les "PGE lenders" peuvent se retrouver à devoir doubler leur exposition sur un emprunteur donné de ce fait. Ensuite, l'autre problématique consiste à faire accepter aux prêteurs existants qu'une nouvelle dette soit intégrée dans la structure et "juniorise" leurs engagements.

Mounir Letayf. Il y a un point à ne pas négliger dans l'analyse des PGE, c'est que ces derniers ne constituent pas une subvention de l'État mais bien une dette qui vient se rajouter à la dette existante. Si l'État devait être appelé en garantie, ce dernier bénéficierait d'un recours subrogatoire à l'encontre de l'emprunteur. Le PGE a donc pour but de régler un manque de liquidité à court terme, mais ne règle pas un éventuel risque de solvabilité à moyen ou à plus long terme. C'est d'ailleurs le cas de l'ensemble des mesures gouvernementales. Cela peut expliquer les réticences de certaines banques à mettre en place des PGE même si on constate globalement que le PGE a bien fonctionné. Les emprunteurs seraient peut-être avisés de profiter de cette période de moratoire sur la dette (autre mesure phare du dispositif d'aide du gouvernement qui n'est pas exempt de difficultés) pour restructurer leur endettement en passant par un refinancement qui aura pour vertu de traiter la situation à plus long terme et d'anticiper la suite. C'est une solution qui nous paraît plus sage même si elle aura nécessairement dans l'environnement actuel pour conséquences une augmentation du pricing et un durcissement des conditions documentaires. Notamment un durcissement des covenants financiers que nous avons déjà pu constater sur un certain nombre de dossiers comme les tests look forward et la limitation des éléments exceptionnels à prendre en compte dans la définition d'Ebitda ajusté.

Monica Barton. Le gouvernement a mis en place diverses formes de mesures provisoires, des moratoires légaux jusqu’aux PGE, mais cela ne saurait se substituer à une action décisive sur le long terme venant de la part des emprunteurs et des prêteurs. Beaucoup de banques sont au rendez-vous pour financer des bridges sous forme de PGE, même pour les entreprises sous LBO. Mais encore une fois, ce sont des mesures à court terme.

Sur les contrats de financement en cours, les ordonnances actuelles prévoient un moratoire pendant la période d’état d’urgence sanitaire (augmentée de certains délais supplémentaires), mais ne prévoient pas d’extinction des obligations des débiteurs dues aux prêteurs. Côté prêteurs, Iil est donc important d’envoyer des lettres de réserves des droits faisant référence aux différents moratoires légaux et spécifier que conformément aux nouvelles dispositions légales, aucune déchéance de terme/exigibilité anticipée n’est possible avant la fin de la période susmentionnée, mais qu’en aucun cas ils entendent waiver leurs droits. D'autres outils ont été mis en œuvre comme les restructurations judiciaires et extrajudiciaires pour préserver la valeur ou la procédure de conciliation pour imposer un moratoire plus étendu que celui du gouvernement, mais aussi pour renégocier avec tous les créanciers autour de la table et notamment pouvoir trouver de la liquidité avec un privilège de new money.

Les fonds de dette anglais ont tendance à préférer les refinancements. Cela prend en effet trop de temps de négocier un privilège de new money pour entrer dans une structure qui a déjà des sûretés. Un refinancement de toute la dette est donc privilégié. Cependant, on a vu des banques refuser cette option, car leur comité de crédit se concentre sur le financement à court terme, d’où l’utilité des PGE. On cherche alors des alternatives avec des visions à moyen terme. Sur le sujet du PGE, les fonds de crédit et les fonds de private equity s'associent avec un autre fonds de dette pour ajouter une nouvelle tranche de dette dans la structure. L'outil "agreement among lenders" est beaucoup utilisé avec un partage pari passu de l'exercice des sûretés.

"Nous nous attendons à un conservatisme accru de la part des prêteurs lors de la négociation des documentations juridiques" Florent Trichet

Quelles différences observez-vous entre la crise de 2008 et celle que nous vivons aujourd'hui ?

Florent Trichet. Il y a deux différences cruciales par rapport à la dernière crise financière. Tout d'abord, compte tenu de la situation, il faut saluer la réactivité des banques centrales, des États et des établissements bancaires qui a permis, d’une part, de stabiliser les marchés financiers, et notamment les marchés de produits de dette comme les leveraged loans et obligations High Yield, et d’autre part, de limiter les problèmes immédiats de trésorerie des entreprises. Cependant, cela ne pourra sans doute que retarder les problématiques relatives à la viabilité de certaines sociétés et de certains modèles d’affaires qui verront jour sur les prochains mois.

La seconde différence est que nous avons à disposition une plus large panoplie de prêteurs et d'apporteurs de liquidités qu'auparavant. Par exemple, lors de la dernière crise, il n’y avait pas de fonds de dette ni de produit unitranche. Cette diversité de prêteurs permet de fluidifier les nouvelles transactions qui vont se faire au cours des prochains mois. Les fonds de dette auront également les moyens d'apporter de la liquidité si besoin sur les opérations existantes, et si des restructurations sont nécessaires, elles seront probablement plus rapides étant donnée la relation bilatérale entre le prêteur et l’emprunteur.

Monica Barton. À mon sens, la différence principale avec la crise de 2008 est que nous avons eu une période moratoire, mais aussi un accès simplifié aux liquidités, que ce soit par les PGE ou par le recours aux fonds de dette. En 2008, les mesures ont été prises pour éviter un effondrement systémique. Contrairement à la crise de 2008, nous ne vivons pas une situation de rupture d’accès au crédit. Ainsi, les sociétés saines auront préservé leur valeur.

Le marché français a été plus fluide en termes de restructuration, notamment avec la loi Macron. Ces outils flexibles entraîneront des restructurations plus raisonnées qu'en 2008. Les fonds de dette et de capital-investissement vont utiliser la crise pour nettoyer leur portefeuille des entreprises non performantes ou des secteurs les plus touchés. Par ailleurs, de nombreux emprunteurs et leurs sponsors de private equity peuvent envisager de racheter des dettes, de vendre des actifs ou de refinancer les dettes avec des fonds de dette. Les fonds de dette ont été submergés par les demandes de crédit – dès lors que ces entreprises ne sont pas éligibles aux PGE ou n'ont pas pu renégocier de nouvelles liquidités avec les prêteurs existants. Enfin, les emprunteurs ont leur mot à dire aujourd’hui. La plupart des entreprises ont mis en place des protocoles de gestion des dépenses pour combler les déficits de trésorerie et maximiser leur liquidité. Certaines sociétés se sont concentrées sur la renégociation des termes de leurs contrats comme les financial covenants et les clauses basées sur les revenus ou l'Ebitda. Les outils de restructuration amiables sont essentiels pour réunir tous les créanciers autour de la table en vue d’une renégociation.

Quelles conséquences observez-vous déjà sur la documentation juridique des opérations ?

Florent Trichet. Dans cette période de liquidité contrainte, nous nous attendons à un conservatisme accru de la part des prêteurs lors de la négociation des documentations juridiques. Cependant, nous sommes dans une situation qui peut paraître surprenante, car sur les quelques nouvelles opérations en cours, les emprunteurs souhaitent d’ores et déjà se prémunir contre le risque de prochaine pandémie ou de choc économique, aboutissant parfois à des termes plus défavorables pour le prêteur qu’avant le début de la crise. Ces discussions sont déjà en cours sur des opérations existantes, notamment dans le cadre de waivers, pour traiter l'impact de la crise sur l'Ebitda et donc sur les covenants financiers. Sur les nouveaux deals, il est demandé que ce type de choix soit traité en amont. Maintenant, il faut voir si les prêteurs voudront suivre sur ce terrain.

Mounir Letayf. Il y a eu beaucoup d'excitation au début de la crise sur les véritables moyens pour les prêteurs de sortir d'une opération en cours ou de refuser de mettre à disposition de nouvelles lignes ou même, dans le cadre de waivers, les cas de défauts auxquels le prêteur devait nécessairement renoncer. Les documentations de financement signées ces dernières années sont en général très favorables aux emprunteurs, prévoyant pour la plupart une mise à disposition des crédits sur une base de certitude des fonds - c’est-à-dire avec des cas de refus de mise à disposition très limités et, en tout état de cause, sans possibilité de faire jouer la clause de Material Adverse Effect (MAE) pour refuser de mettre le crédit à disposition. Nous constatons, du moins sur les dossiers sur lesquels nous sommes intervenus, que, s'agissant des dossiers qui ont closés pendant cette période de crise sanitaire, les prêteurs ont joué le jeu et se sont acquittés de leurs obligations. Les prêteurs tiennent à leur réputation d'acteurs sérieux du monde économique et financier. Par ailleurs, il est toujours très difficile pour un prêteur, même dans le contexte actuel, de faire jouer une cause de MAE pour sortir d'une opération même si l'application de cette clause n'est pas expressément exclue comme indiqué précédemment. Il est question aujourd'hui de faire évoluer cette clause soit pour la durcir soit pour y exclure expressément certains événements comme les pandémies, mais nous ne l'avons pas encore constaté en pratique, du moins sur le segment de marché mid-market. Nous avons toutefois constaté sur les dossiers en cours que les prêteurs demandaient aux emprunteurs de leur fournir des indicateurs financiers et des prévisionnels plus précis prenant en compte l'impact de la crise sanitaire. Nous pouvons anticiper que la mise à disposition des financements sera soumise au respect de conditions financières plus contraignantes dans les futurs contrats de financement quand bien même la clause de MAE stricto sensu ne serait pas modifiée.

Par ailleurs, la poursuite des dossiers en cours dans le contexte du confinement a conduit à faire évoluer la documentation pour permettre la signature des contrats et la remise des conditions documentaires de manière électronique et à distance. La signature électronique a été introduite dans plusieurs pays européens mais sa mise en œuvre est différente d'un État à l'autre ce qui rend les choses plus complexes dans le cadre de dossiers crossborder. Cela a conduit un certain nombre d'entre nous à nous adapter à ces modes de fonctionnement qui étaient restés très minoritaires dans la profession d'avocat et qui vont très probablement se généraliser dans le futur.

"Les fonds de dette et de capital-investissement vont utiliser la crise pour nettoyer leur portefeuille" Monica Barton

Monica Barton. En droit anglo-saxon, les clauses de type MAE font également débat. Elles ne peuvent être actionnées que si la preuve est apportée que la crise a eu un impact significatif sur la situation de l'emprunteur. La jurisprudence se fonde sur l'impact à long terme sur l'emprunteur pour démontrer le caractère significatif de l'impact. Pour cela, on va se pencher sur un reporting financier qui est a fortiori historique. Ainsi, il est très difficile de démontrer cet impact dans le cadre de la crise. Par ailleurs, les nouveaux term sheets se concentrent beaucoup plus sur l'Ebitda, les look forward tests, les exceptional items ou les restructuring cost.

De manière générale, au tout début de cette crise, les acteurs se sont concentrés sur les thématiques de force majeure, de clause de hardship ou de renégociation des contrats. Les mesures gouvernementales ont été peu étudiées dans les contrats en cours, mais seront au cœur de la négociation des nouveaux contrats. En droit français, en plus de prévoir les systèmes de signature électronique - si cela n’était pas déjà fait, les nouveaux contrats pourront exclure certains moratoires légaux - ce que prévoit la circulaire du 17 avril 2020, et le défi pour les conseils sera de notamment accompagner leurs clients pour prendre en compte tous ces derniers paramètres.

Comment pressentez-vous l'avenir du marché dans les prochains mois ?

Pierre-Louis Nahon. Nous allons très certainement constater une plus grande sélectivité sur les nouvelles opérations et une réouverture progressive du marché bancaire. Le levier ne sera pas supérieur à ce qu'il était avant et il y aura sans doute une plus grande modération dans les ajustements de normalisation sur l'Ebitda. De même, les direct lenders progresseront certainement dans le mid-market en France. Enfin, le sujet du débouclage des PGE - dont la maturité initiale est de douze mois - ne devrait pas manquer de focaliser l’attention au printemps 2021.

Florent Trichet. De notre côté, nous ne nous attendons pas un redémarrage très rapide. Sur les prochains mois, et notamment pour les nouvelles opérations, il y aura une très importante bifurcation du marché. Les secteurs les moins exposés et les crédits les plus résilients vont continuer à fonctionner alors que, pour tout un pan de l'économie, il n'y aura aucune opération pendant un certain temps. On peut s’attendre également à un regain des opérations public-to-private ou buy-and-build qui pourraient accélérer la concentration de certains secteurs.

"Nous allons très certainement constater une plus grande sélectivité sur les nouvelles opérations et une réouverture progressive du marché bancaire" Pierre-Louis Nahon

Monica Barton. Au mois d'août et de septembre, il va y avoir un vrai test sur les sociétés avec les cas de défaut de paiement. mergeront de vraies opportunités de restructuration, mais aussi de vente distress en août ou en septembre.

Mounir Letayf. Il y aura probablement plus de sociétés qui seront en liquidation que lors de la précédente crise de 2009 notamment dans des secteurs d'activité qui rencontraient déjà beaucoup de difficultés et pour lesquels la crise a eu pour conséquence une aggravation de ces difficultés. Il y aura également des concentrations dans certains secteurs. Les sociétés leveragées seront prioritairement restructurées. On ne peut pas se permettre de laisser ces sociétés aller au tapis car la réaction en chaîne sur les acteurs de l'industrie du private equity et du leverage finance (sponsors, prêteurs, etc.), eux-mêmes parfois leveragés, pourraient avoir des conséquences dramatiques.

Il y aura, du moins dans un premier temps, un rééquilibrage des relations entre cédants et acquéreurs et entre prêteurs et emprunteurs. Sur les opérations de M&A on risque de voir réapparaître les clauses d'ajustement de prix et de compléments de prix. Les conditions de financement vont également être durcies comme indiqué précédemment.

J'anticipe un redémarrage plutôt lent et prudent de l'activité, mais je reste confiant sur les opportunités que vont offrir certains secteurs, notamment dans les domaines de la santé et de la tech qui seront très performants dans les mois et les années à venir.

Propos recueillis par Béatrice Constans

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