Lyon : Le coup de poker d’un Collomb vert de rage
Une vraie publicité pour les analystes masochistes de la vie politique : Lyon, c’est deux fois plus d’élections, deux fois plus de trahisons pour deux fois plus de plaisir…sadique. Entre la toute nouvelle élection au suffrage universel du président de la « Métropole de Lyon » et la classique, mais ô combien fantasmagorique campagne pour la mairie lyonnaise, les scénaristes de "Baron noir" et de "Game of Thrones", s’ils veulent renouveler leurs intrigues doivent poser leurs stylos et chacun prendre place dans son couloir rhodanien. Attention, sur ce fleuve impétueux, cela peut secouer.
Le retour (raté) du roi
Avant d’entreprendre cette descente en rapides, remontons le cours du temps pour revenir en septembre 2018 où, à la stupéfaction générale, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, annonce dans l’Express sa candidature à la mairie et à la présidence de la Métropole.
Premier magistrat de la capitale des Gaules depuis 2001 (jusqu’à son entrée au gouvernement en juillet 2017) et général en chef d’Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle victorieuse, Gérard Collomb a très mal vécu l’été, encore marqué par la fameuse affaire Benalla qui allait faire tanguer le gouvernement et pour laquelle, estime-t-il, certains macronistes ont voulu le mettre en cause.
Premier magistrat de la capitale des Gaules depuis 2001, Gérard Collomb a très mal vécu l’été, encore marqué par la fameuse affaire Benalla.
Mais dès l’annonce de sa candidature, c’est un flot de critiques qui s’abat sur le candidat. Laurent Wauquiez, alors président des Républicains, n’est pas le plus tendre et résume bien l’état d’esprit des politiques et de l’opinion : "Penser qu'on puisse avoir un ministre de l'Intérieur à mi-temps montre bien la déconnexion du pouvoir sur l'insécurité subie par les Français". Aïe. Ces deux-là, pour sûr, ne passeront pas leurs vacances ensemble, du moins le croyait-on, mais nous y reviendrons…
Dans la nuit du 2 au 3 octobre, après un premier refus, l’Élysée accepte la démission du fidèle grognard qui peut enfin rejoindre les rênes d’une ville qu’il avait toujours dirigé d’une main de fer et sans velours, un comble dans l’ancienne capitale mondiale de la soie. Le 5 novembre 2018, un mois après la tonitruante démission, il retrouve son fauteuil de maire et son siège à la métropole. Il est temps : le navire de Collomb prend l’eau, le retour du roi est raté, les fidèles sont troublés et tentés de prendre le large.
Crime de haute trahison
Des mois se sont écoulés, et les craintes de gros temps confirmés. David Kimelfeld, ancien indéfectible allié et successeur de l’édile à la tête du « Grand Lyon » a annoncé au "Talk Le Figaro" le 22 janvier 2019 qu'il sera candidat à la présidence de la métropole de Lyon, à l'issue des premières élections au suffrage direct des 150 conseillers métropolitains. Pour Gérard Collomb, c’est une demi-surprise tant le fidèle lieutenant avait martelé son désir de s’émanciper.
Imaginer Gérard Collomb laissé filer une municipalité qu’il a mis vingt ans à remporter revient à croire aux contes de fées.
N’en demeure pas moins que le coup est rude et qu’il porte pour Collomb la marque du crime de haute trahison. Le plan pour reconquérir son Aventin métropolitain est cristallin : pour exfiltrer le coupable de félonie et reprendre le siège autrefois abandonné, il sera donc uniquement candidat à la présidence de la métropole.
Mais imaginer Gérard Collomb laissé filer une municipalité qu’il a mis vingt ans à remporter revient à croire aux contes de fées. Aussi, l’artificier aventureux veut tenir ces deux fers au feu. Pour préserver sa mairie, il sort du chapeau un ticket avec son adjoint au sport, l’ancien gymnaste médaillé en barres fixes et parallèles, Yann Cucherat. Un choix bancal, tant l’association entre l’athlète inexpérimenté et le vieux routier non exempt de rouerie détonne et étonne même les plus fervents "collombophiles" : plus dure sera la chute.
Face à lui, outre les candidatures de gauche, de droite, des écologistes et du Rassemblement National, se dresse une liste "Divers centre" conduite par celui-là même qui avait pris sa succession à la tête de la mairie après son départ au gouvernement, Georges Képénékian !
Les saigneurs de l’anneau
Pire, le magicien du serrage de main perd sa poigne : sa campagne est morne à mesure que les promesses, de toutes parts, verdissent. Tous visent l’abandon de l’"anneau des sciences", ce tronçon ouest à bâtir du périphérique lyonnais, serpent de mer depuis des décennies, qui doit relier les campus et pôles de recherche du Grand Lyon et dont Gérard Collomb a fait l’alpha et l’oméga de sa campagne : "c’est ça ou la mort de Lyon", assène-t-il.
Les saigneurs de l’anneau s’en donnent à cœur joie : "Crime contre le climat", "aspirateur à voitures", les critiques fusent, le climat devient éruptif et "cristallise la campagne" comme le résume parfaitement "Lyon Capitale" dans un éclairant article récapitulatif. Gérard Collomb, la mort dans l’âme, rengaine son idée maîtresse et le 19 mai, annonce l’ajournement du projet mais bien trop tard : le couperet est tombé.
1er tour : double surprise et double déception
Les Verts, après ce double premier tour Métropole-Mairie, raflent la mise à la surprise générale. Devant, Bruno Bernard et Grégory Doucet, l’hydre verte aux deux têtes, ont respectivement obtenu 22,6 % et 28,46 %, LR par l’entremise de François Noël Buffet et Etienne Blanc, 17,6 % et 17 % quand Gérard Collomb n’en réunit que 17,3 % pour la métropole et Yann Cucherat, son successeur annoncé, 14,9 %.
C’est la déception doublée d’une douche froide. Encore plus difficile à avaler : les deux "félons", anciens fils chéris, David Kimelfeld et Georges Képénékian avec leurs 17 % et 12 % décident de mener leur barque et de se maintenir au second tour. Cette fois, le naufrage guette.
Le coup du coup de foudre
Ultime manœuvre du capitaine Collomb, ancien patron du PS local, le coup du coup de foudre avec Laurent Wauquiez. En négociant, sous prétexte de "péril vert", un accord avec le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes le 28 mai dernier, qui aboutit au retrait de la candidature Collomb pour la métropole, en échange du ralliement de la droite pour sa reconquête de la mairie, Gérard Collomb sait le coup de tonnerre qu’il provoque.
Ultime manœuvre du capitaine Collomb, ancien patron du PS local, le coup du coup de foudre avec Laurent Wauquiez.
Les éléments se déchainent mais pas seulement : anciens amis, ennemis, figures locales et nationales, tous tombent à bras raccourcis sur cet "accord contre-nature" : "jour sombre", "ligne rouge", "perte de valeurs", "trahison", les mots cinglent. Désinvesti par LREM, désavoué par l’opinion, l’ancien ministre de l’Intérieur, rame, écope et tente de surnager, et nombreux sont ceux qui l’ont d’ores et déjà enterré.
2ème tour : sortir les calculatrices
Et pourtant…Au-delà du cas Collomb, personne ne se risque à anticiper le résultat des deuxième et troisième tour des municipales et des élections métropolitaines et chacun échafaude des scénarios, il est temps de tenter de décrypter la matrice, et de sortir les calculatrices.
Pour les élections métropolitaines, les négociations d’entre deux tours permettent d’y voir (un peu) plus clair avec un affrontement en trois blocs.
Un accord entre EELV (22,6%) et "la gauche unie" (8 %) a été signé, (une coalition à laquelle il faut ajouter les listes lyonnaises de "Lyon en commun", proche d’une partie de la France Insoumise, qui ont réalisé entre 6 et 12 % sur la ville). Ce sont des écologistes menés par Bruno Bernard qui seront les têtes de listes dans la quasi-totalité des circonscriptions de la métropole (12 sur 14). En dépit des divergences politiques passées entre "Lyon en commun" de Nathalie Perrin-Gilbert et la "gauche unie" emmenée par Renault Payre, la déperdition des voix entre les deux tours devrait être faible et la coalition devrait dépasser les 33 % à laquelle elle semble promise.
L’accord entre LR (17,7%) et l’ex-LREM Gérard Collomb arrivé en 4ème position (15,7 %), laisse le champ libre aux Républicains avec le retrait des listes de l’ancien président de la métropole.
Sur fond d’agitation de péril vert et rouge, l’addition des deux résultats semble rendre pertinente sur le papier cette association hétéroclite.
Pour autant, pour le moment, aucune enquête d’opinion ne permet de savoir quel sera le comportement des électeurs de Gérard Collomb si une large majorité d’entre eux s’agrège au combat désormais porté par François-Noël Buffet, très proche de Laurent Wauquiez et soutien revendiqué de la "Manif pour tous".
C’est donc bien l’actuel président de la Métropole, David Kimelfeld, nouvel ennemi juré de Collomb, qui détient les clés du second et du troisième tour métropolitain.
Et quid du comportement des votants RN ? Leur tête de liste, Andréa Kotarac, avec ses 7,6 % ne peut se maintenir que dans trois circonscriptions. Là aussi, la peur verte et rouge pourrait jouer et leurs bulletins se porter en partie vers la liste des Républicains. Suffisamment pour rattraper l’Union de la Gauche ?
C’est donc bien l’actuel président de la Métropole, David Kimelfeld, nouvel ennemi juré de Collomb, qui détient les clés du second et du troisième tour métropolitain. Avec ses 17 %, le LREM dissident a fait le choix de se maintenir et croit encore en ses chances. L’ancien socialiste (qui avait rejoint Emmanuel Macron début 2017) compte sur l’apport de voix d’électeurs de Collomb qui pourraient être rebutés par son alliance avec les Républicains.
Collomb, futur maire de Lyon ?
Portons désormais notre attention sur l’élection municipale mais avant cela, un rappel en forme d’évidence : Gérard Collomb peut toujours redevenir président de la métropole ou maire de Lyon. En effet comme le stipule "Lyon Capitale" : "aucune règle dans le code électoral n'empêche un conseiller municipal ou un conseiller métropolitain de se présenter respectivement comme maire ou président de la métropole lors du troisième tour". Ce n’est pas l’hypothèse la plus probable mais si aucune majorité ne se dégage des deux scrutins, "un come back" est toujours possible.
Au niveau de la ville de Lyon, là aussi, trois blocs vont s’opposer mais plus encore qu’en métropole, l’avance prise par EELV et leur tête de liste, est conséquente. Car là encore, l’union de la gauche fonctionne à plein et l’accord entre les écologistes (28,4 %), "Lyon en commun" (10 %) et la "gauche unie" (7%), laisse envisager une addition sans trop de déperdition approchant les 45 %.
Au second tour, la liste issue de l’alliance entre Gérard Collomb et LR, avec Yann Cucherat en tête de liste et l’ancien candidat des Républicains Etienne Blanc en deuxième position peut potentiellement réunir 35 % mais, encore une fois, sans aucune assurance quant au comportement final des électeurs "traditionnels" du maire de Lyon.
Enfin, Georges Képénékian qui a remplacé Gérard Collomb à la mairie pendant le passage de ce dernier place Beauvau, et qui a un parcours politique similaire à celui de David Kimelfeld (socialiste passé chez LREM avant d’entrer en dissidence) a décidé de se maintenir fort de ses 12 %. Ses récentes déclarations à propos de l’accord Collomb/LR ("C’est la pire image politique qu’un homme politique puisse donner"), et sur un éventuel rapprochement : ("j’ai un projet en tous points incompatible avec les valeurs des tenants de la droite la plus conservatrice"), laisse à penser que son électorat ne devrait pas trop se disperser.
Si après examen des données électorales, les écologistes semblent bien partis pour réussir un coup mémorable, il convient de rester prudent tant les nouveaux jeux d’alliances ont pu changer la donne. Le recul de l'abstention du 1er tour pourrait aussi renforcé la droite et le centre.
Alors pour Collomb, la droite, la gauche et les verts, à trois semaines des deux seconds tours, ne demeure qu’une seule chose à leur souhaiter : que vogue la galère, à la recherche du meilleur arrimage, afin que nul ne puisse errer, tel un Collomb sans terre. Mais on l’a vu et on le sait : la "moraline" ne peut pas toujours lutter contre les officines et l’arithmétique devenir une véritable science…politique.
Sébastien Petitot