Droite : après la crise, l’heure des contes ?
Bas les masques. En voilà une injonction paradoxale en ces temps pandémiques, mais à l’heure du déconfinement sanitaire et économique, les ambitions présidentielles des leaders de la droite républicaine ne se camouflent plus. Fuyant la bise mais nez au vent, François Baroin, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Bruno Retailleau, les quatre mousquetaires à qui l’on prête des ambitions présidentielles, ont chacun à leur manière occupé le terrain médiatique en multipliant les déclarations depuis le début de la crise du coronavirus.
Ainsi, les esprits inattentifs ou par trop conditionnés, auraient largement pu attribuer la phrase suivante à un leader de la France Insoumise tonitruant à l’assemblée : "Mais qu’est-ce qu’on veut, on veut rendre fous les Français ? (…) L’austérité, les logiques comptables, c’est ce qui nous a mis dans cette situation".
"Sortir du carcan des 35 heures"
Que nenni, c’est bien Xavier Bertrand qui cingle en direct sur BFMTV, le 12 avril dernier, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher, qui estimait "qu’il faudrait probablement travailler plus que nous ne l’avons fait avant". La punchline de l’ancien ministre du Travail de François Fillon ne doit pas surprendre puisque la crise sanitaire lui aura permis de creuser le sillon qu’il s’astreint à suivre depuis son départ des "Républicains" en décembre 2017 : celui d’une droite sociale qui assume de s’adresser et de reconquérir la "France d’en bas".
Reste que la sortie du président des "Hauts-de-France" a assurément de quoi rendre fou l’actuel président des Républicains, Christian Jacob, lequel répond sur le ton de l’évidence le 11 mai dernier sur France Inter qu’"il faut sortir du carcan des 35 heures", et que la semaine de 40 heures "ne le choque pas".
"Une relance autant par la consommation que par l’investissement public"
Qu’en pense François Baroin, grand ami de l’ancien maire de Provins ? Prudent et désertant ce terrain glissant, l’édile troyen, "la promesse de l’Aube", selon la formule de Brice Hortefeux a tenu à jouer une toute autre carte que ses concurrents : rendre bruyante son absence, sachant que d’or est le silence. L’une des rares interventions médiatiques du président de l’Association des Maires de France est en ce sens révélatrice : le temps est venu de laisser la place à l’écoute et à la négociation. En pronant dans le Figaro du 30 avril la tenue "d’une grande conférence sociale sur le modèle de ce qu’on a connu en 1968" avec en préambule "l’abandon de la réforme des retraites" tout en louant les bienfaits d’une "relance autant par la consommation que par l’investissement public", François Baroin a voulu démontré que la pandémie a bel et bien contaminé le "sang et les larmes" programmatiques du candidat Fillon en 2017 sous lesquels s’étaient rangés nos quatre mousquetaires.
Bruno Retailleau l’ancien premier lieutenant de l’ancien Premier Ministre, lui aussi ouvertement engagé dans la course à l’investiture, a dû également déstabiliser son ancien mentor lorsqu’il assenait dans les colonnes des Echos en mars dernier : "La globalisation encouragée par l’idéologie néo-libérale a considérablement fragilisé l’Occident". Il convient néanmoins de ne pas si figurer le président du groupe LR au Sénat un couteau entre les dents puisqu’en martelant la nécessité absolue de mettre fin aux dettes fiscales des entreprises, il s’inscrit dans un cheminement idéologique qui lui est propre, entre conservatisme et libéralisme assumée.
Les contes sans comptes...
Alors que la course à l’échalote bat son plein, la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, n’a pas voulu rater le train : présenté le 28 mai dernier, son "plan de relance économique, social et écologique" à 1,3 milliards d’euros aura pour conséquence nous assure "le Monde" de voir la dette de la région "ainsi remonter en fin d’année à 5,9 milliards d’euros, un niveau encore jamais vu ". Mais l’ancienne ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’Etat ne s’en laisse compter et somme le gouvernement "de conditionner les aides à Renault au maintien de l’emploi". L’objectif assigné ? Casser la prétendue rigidité que d’aucuns lui ont prêtée, démontrer que nul carcan ne viendra la museler.
Si la situation sociale et économique dramatique dans laquelle nous nous trouvons doit bien évidemment conduire à sortir des sentiers parfois trop balisés de l’orthodoxie financière, le positionnement récent de nos quatre mousquetaires ne manque pas d’interroger. Certes les belles histoires, les jolis contes qu’ils nous narrent, sont plus empreints de roses que d’épines, mais nos comtes de la droite républicaine veulent-ils convaincre des lecteurs ou des électeurs ? Elargir son auditoire est une noble ambition mais c’est aussi prendre le risque de perdre en crédibilité.
Les électeurs trancheront, mais l'Histoire politique montre que les contes sans comptes sont la promesse de réveils difficiles…
Sébastien Petitot