Tech et start-up : quel soutien ?
En chinois, le mot crise est constitué de deux caractères : Wei Ji, qui signifient respectivement danger et opportunité. Les grandes crises économiques s’avèrent des challenges d’ampleur pour les États et les entreprises. Sans sous-estimer leur gravité sociale, celles-ci sont également sources de renouveau. D’ailleurs, quelques jours seulement après la déclaration de la pandémie, intellectuels et citoyens ne parlaient-ils pas déjà du « nouveau monde » ? Cette notion recouvre plusieurs réalités et révèle également un besoin impérieux d’espoir en ces temps troublés. Des sociétés risquent de vaciller. Or pour survivre, l’investissement et l’innovation, qui passent généralement par le numérique, seront clés. Et les entreprises bénéficient d’un terrain de jeu à perte de vue : matériel médical innovant, espaces de restauration à réétudier, expériences d’achat repensées, mobilités adaptées, évolutions liées aux habitudes de consommation, etc.
Deux types d’entreprises digitales doivent être distinguées. D’un côté, celles déjà bien installées et qui gagnent des parts de marché du fait des règles de distanciation sociale, de l’autre, les start-up. Microsoft a enregistré une forte augmentation de l’utilisation de son service de cloud computing Azure depuis le début de la crise. Amazon embauche 75 000 personnes supplémentaires pour répondre à un accroissement des ventes en ligne avec livraison à domicile. Le nombre d’appels vidéo et la messagerie sur Facebook explosent, tout comme les téléchargements d’applications de jeux en Chine sur l’App Store. « Les règles de distanciation sociale imposées pour contenir la propagation du coronavirus ont considérablement augmenté notre dépendance à ces plateformes numériques pour répondre à nos besoins de base, nous divertir et rester connectés avec nos amis et nos collègues, explique Sean Markowitz, économiste chez Schroders., Il existe cependant un revers à leur emprise croissante sur la société : les petites entreprises et les start-up rencontrant des difficultés, cette pandémie va probablement rendre les grands groupes technologiques encore plus puissantes qu’auparavant. »
Premiers dégâts
En France, le secteur du numérique, qui ne compte pas de tels géants, commence à constater les premiers dégâts. Selon quelques chiffres recueillis par le syndicat Syntec Numérique auprès de ses membres dans le cadre d’une étude d’impact de la crise sanitaire, plus de quatre répondants sur cinq anticipent une baisse de leur chiffre d’affaires prévisionnel de plus de 25 % sur le deuxième trimestre 2020. Près de la moitié des dirigeants expriment leur inquiétude quant à la pérennité de leur entreprise si l’économie ne retrouve pas son régime normal d’ici au mois de septembre. Et plus de deux entreprises sur trois du secteur numérique recourent au dispositif gouvernemental d’activité partielle.
Plus de deux entreprises sur trois du secteur numérique ont recours au dispositif gouvernemental d’activité partielle
Une situation due à un effet cascade. « Les directions informatiques des entreprises et des administrations publiques ont toutes, sans exception, adopté des mesures de crise absolument inédites », explique le document, qui cite notamment l’adaptation aux mesures de confinement, au télétravail ou encore à une baisse d’activité « dans un contexte d’activité partielle plus ou moins massive des collaborateurs et de négociations complexes avec leurs principaux fournisseurs de solutions et services numériques ». Or, éditeurs de logiciel, entreprises de la tech, sociétés de conseil en technologie et stratégie ainsi que start-up « sont confrontés aux mêmes difficultés que leurs clients, aux mêmes obligations doublement commandées par la crise sanitaire et la baisse d’activité ».
Mesures gouvernementales
Afin d’éviter le pire, le gouvernement par la voix de Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, apportait dès le 25 mars les premières réponses sous forme d’un plan de soutien de 4 milliards d’euros à la trésorerie des start-up. Celui-ci s'articule autour de trois grandes mesures. Il prévoit le financement de bridges (prêts pour se refinancer à court terme) entre deux levées de fonds pour environ 160 millions d'euros mais aussi des prêts de trésorerie garantis par l'État qui incluent des critères spécifiques pour les start-up. Le versement accéléré d’aides fait également partie du package. Les entreprises pouvaient ainsi dès le début du confinement demander leur CIR 2019, ce qui correspond à une avance de trésorerie totale de 1,5 milliard, ou celui des aides à l'innovation - avec le Paris Innovation Amorçage (PIA) - pour 250 millions d'euros. Par ailleurs, Bpifrance continue d’assurer le financement des jeunes pousses, qui représente 1,3 milliard cette année. Ainsi, les entreprises qui ont déjà levé des fonds et ont besoin d’aide pour assurer leur trésorerie ne sont pas les plus mal loties. « J’ai rarement vu une organisation se mettre en branle aussi vite et de façon aussi productive. Ce qu’ont fait O et Le Maire est assez exceptionnel », estime Marc Menasé, serial entrepreneur et fondateur de Founders Futur, venture studio qui investit dans des start-up.
Digitalisation accélérée
En effet, le numérique – et l’innovation de manière plus générale – sera l’un des facteurs essentiels de la reprise. D’abord parce qu’il représente plus d’un million d’emplois et génère environ 10 % du produit intérieur brut français. Ensuite parce qu’il est une condition nécessaire à la poursuite de l’activité. « Tous les business, qui auront vocation à faire en sorte que l’activité perdure peu importe ce qui se passe, ont de beaux jours devant eux », poursuit Marc Menasé. On pense à la digitalisation des commerces, que ce soit par la vente de vêtements en ligne ou la restauration. Paradigme de cette transformation : les grands chefs étoilés qui n’opéraient pas de service de livraison jusqu’ici. « Ils expliquaient que déjeuner chez un chef était une expérience complète. Désormais, ils ont presque tous inventé une offre de livraison. C’est l’exemple même d’un secteur hyper préservé par l’évolution numérique dont les convictions ont volé en éclats avec la crise », souligne Marc Menasé. À cela s’ajoute une réflexion plus globale autour d’une digitalisation responsable et souveraine. Ce qui passe par la protection des données mais aussi par celle de l’environnement, l’impact du numérique n’étant pas neutre sur la planète.
Des problématiques spécifiques
Il convient toutefois de rappeler que l’univers des start-up est épars, tant par la taille des entreprises que par les secteurs d’activité qu’elles couvrent. Ainsi, une jeune entreprise en phase d’amorçage n’aura pas les mêmes besoins qu’une société « late stage », c’est-à-dire à un stade de développement plus mature. Marc Menasé constate recevoir moins de dossiers de premiers financements que d’habitude. « Les entrepreneurs se disent que ce n’est pas le bon moment. Ceux qui voulaient quitter leur job pour se lancer attendent. Cette mise en stand-by se fera ressentir en fin d’année ou l’année prochaine. » Le tout sans compter les levées de fonds à l’arrêt pour le moment. Les closings à distance pouvant se révéler plus complexes qu’en physique ou ne serait-ce que parce que les investisseurs ont besoin de rencontrer les fondateurs en chair et en os avant de se lancer. La qualité des entrepreneurs étant primordiale dans le choix des dossiers financés, et encore plus en période de crise.
"Tous les business, qui auront vocation à faire en sorte que l’activité perdure peu importe ce qui se passe, ont de beaux jours devant eux"
Qu’en est-il pour les entreprises qui ont déjà levé des fonds ? Là encore la nuance s’impose. « Certaines start-up ont particulièrement accéléré durant le crise notamment lorsqu’elles opèrent dans les secteurs suivants : digitalisation du retail, santé, éducation et hobbies à la maison », constate le patron de Founders Futures, qui cite notamment ses participations Minute Pharma Minute, plateforme qui permet aux pharmacies de livrer leurs clients, ou l’application Bouge Chez Toi, qui regroupe des coachs sportifs.
Les réponses d’un écosystème
« Tous les investisseurs que nous sommes allons essayer de concentrer notre argent sur moins d’entreprises et des start-up qui ont des fondamentaux économiques très sains. Il n’y a plus de place pour les business nice to have », estime Marc Menasé. Les sociétés qui affichent des chiffres d’affaires en nette baisse sans être capables de rogner sur leurs coûts ou qui ont besoin de levées de fonds chaque année pourraient ne pas survivre à cette période.
"Il n’y a plus de place pour les business nice to have"
En outre, les grands groupes qui nouent des partenariats avec des entreprises innovantes ou les rachètent afin de développer leurs produits seront-ils toujours au rendez-vous ? Sachant qu’en France le phénomène était déjà considéré comme trop timide, malgré quelques beaux rapprochements. Sans ces pépites, une bonne partie de l’innovation dans le monde et en France se retrouverait bridée. En effet, les jeunes sociétés bénéficient d’une agilité hors pair permettant de tester de nouvelles idées et d’évoluer très rapidement. D’où l’intérêt d’investir dans ces entreprises ou de les accompagner pour les grands groupes, qui plus que jamais vont devoir se montrer compétitifs.
Les réflexions se multiplient autour des actions à mener pour la relance de ce pan d’activité économique. Ainsi, le Cigref, Syntec Numérique, Syntec Conseil et Tech In France, publiaient en mai un Pacte pour le numérique. Celui-ci propose différentes solutions. Parmi elles : une meilleure coordination gouvernementale à travers l’instauration d’une autorité ministérielle du pacte numérique. Ils proposent également d’étendre le dispositif de suramortissement fiscal numérique, actuellement réservé aux investissements des PME dans le domaine de la robotique et de la transformation numérique, et de créer une crédit d’impôt adapté, d’inventer de nouvelles formes de travail ou encore de développer les actifs numériques stratégiques (cybersécurité, cloud, etc.). Les réponses de l’écosystème dans son ensemble s’avéreront nécessaires afin de surmonter cette épreuve qui requiert des investissements dans le temps et de réinventer de nouveaux modèles.
Olivia Vignaud