D. Mellul (Varenne Capital Partners) : "Le rebond des marchés financiers reste précaire"
Décideurs. Après la chute du premier trimestre, les marchés financiers sont remontés très rapidement. Depuis le début du mois de mai, les investisseurs semblent plus indécis, partagés entre la prudence et la peur de manquer une éventuelle phase de hausse. Le rebond initié par les marchés vous parait-il durable ?
David Mellul. Après une phase de peur subite, les marchés ont rebondi, surtout aux États-Unis. Cette reprise fut cependant sélective. Fondamentalement, on ne peut pas dire que l’économie soit florissante, ni que les déséquilibres soient résorbés. Bien au contraire. Les investisseurs ont surtout été rassurés par l’interventionnisme des banquiers centraux. A ce jour, 85 % de l’économie mondiale est sous perfusion des banques centrales. Ce rebond reste à mon sens précaire. Le niveau de volatilité continuera à être élevé. Une deuxième vague de sell-off ne peut être écartée, surtout si des mesures de distanciation sociale ou de confinement se maintiennent au cours des douze/dix-huit prochains mois. Un tel scénario pourrait aussi avoir des répercutions notables sur le moral des consommateurs. Il faut donc être très sélectif dans ses choix d’investissement.
Et comme si l’épidémie ne suffisait pas, on assiste à un retour sur le devant de la scène de la guerre commerciale sino-américaine.
C’était prévisible. Nous avons tous vu les déséquilibres engendrés par un libéralisme excessif. Donald Trump a nommé son programme « America First ». Il est donc cohérent pour lui de mener une politique protectionniste, dans laquelle la Chine est l’un de ses principaux rivaux. Les États-Unis veulent imposer les règles du jeu du commerce international. C’est une stratégie politique avec des répercussions économiques importantes dans l’ensemble des économies du monde. L’épidémie de Covid-19 aura clairement des conséquences à long terme. Le processus de mondialisation va ralentir, voire s’inverser. Certains pays vont vouloir relocaliser leurs outils de production, la France au premier chef. Notre pays dispose d’un savoir reconnu sur le plan médical et pourtant nous sommes dépendants d’autres nations pour produire des tests médicaux et des traitements reposant sur de la R&D pourtant tricolore.
"Une deuxième vague de sell-off ne peut être écartée"
Donald Trump menace également de ne pas rembourser la dette américaine détenue par la Chine. Est-ce réaliste ?
Les conséquences seraient dramatiques. Ses propos font craindre un certain nombre de risques sur le système financier dans son ensemble. En pratique, il est cependant peu probable que la première puissance du monde fasse défaut. L’économie mondiale est plongée dans un nouveau paradigme avec des niveaux d’endettement durablement élevés. L’inflation est le seul moyen efficace pour répondre à cette problématique, mais encore faut-il pour cela de la croissance et de la confiance. Beaucoup de temps sera nécessaire pour régler la situation. L’interventionnisme des banques centrales et des Etats va retarder les faillites d’entreprises. Mais les entreprises dont le modèle économique n’est plus viable disparaitront tôt ou tard. On a réduit le taux de défaut, pourtant il n’y a jamais eu une aussi grande proportion de dettes de mauvaise qualité sur un total de dettes lui aussi à son plus haut niveau historique.
Warren Buffett s’est totalement retiré du secteur aérien. Il a également estimé qu’il y avait très peu de belles opportunités d’investissement actuellement. Suivez-vous ses convictions ?
Nous sommes revenus à des niveaux de valorisation comparables à ceux de la deuxième moitié de 2018. Les marchés nous semblent chers. Il est toujours rare de trouver des entreprises de qualité dont la valorisation est attractive. Les investisseurs ont envie de souscrire à un scénario optimiste. Nous sommes plus prudents. Nos gérants ont analysé et adapté nos portefeuilles en suivant un scénario de crise sanitaire long et dur. Nous sommes encore plus exigeants et sélectifs. Nous rejoignons donc les propos tenus par Warren Buffett.
"Nos gérants ont adapté nos portefeuilles en suivant un scénario de crise sanitaire long et dur"
Quelle utilisation faites-vous de la stratégie « short » dans le fonds Varenne Valeur ?
Ce fut une source de performance importante au premier trimestre. On ne cherche pas à couvrir le portefeuille. On veut générer de la performance sur le long terme. C’est une stratégie complémentaire que l’on peut désactiver si elle ne se révèle pas en phase avec l’environnement financier et/ou économique. Ces dernières semaines, nous avons scruté les entreprises dont les dirigeants sont passés à la vente des actions de leurs entreprises. Ces rachats peuvent constituer un signal montrant la dégradation fondamentale de leur business, leur incapacité à supporter les conséquences économiques de l’épidémie. L’équipe de gestion en charge de la stratégie Short utilise ces signaux pour identifier de nouvelles opportunités potentielles, en veillant toujours à être très sélectif.
Quelles sont vos anticipations pour les mois à venir ?
Nous aurons sûrement davantage de visibilité à la sortie de l’été. Nous restons toujours aussi sélectifs, agiles et prêts à déployer du capital sur tous les moteurs. Sur la poche Long, nous restons de véritables enterprise-pickers. Nos équipes sont agnostiques aux tendances de marchés, aux thématiques et aux secteurs. Récemment, nous avons pris une nouvelle position sur Alphabet, la maison-mère de Google. En parallèle, nous avons allégé nos investissements dans LVMH et Ulta Beauty, ou encore cédé la position The Walt Disney Company. Enfin, concernant notre dispositif de couverture macroéconomique, celui-ci a très bien fonctionné lorsque les marchés se sont effondrés. Ces couvertures ont depuis été en partie monétisées et le dispositif actuel nous paraît adapté aux risques que nous identifions à moyen/long terme.