C. Brenet (Ardian) : “Certains dossiers ne se font qu’à la condition sine qua non d’une stratégie ESG”
Décideurs. Ardian est l’un des tous premiers acteurs français du private equity à avoir intégré les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), notamment depuis la signature des Principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations unies en 2009. Quelle est l’importance de la “soutenabilité” pour Ardian?
Candice Brenet. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et l’ESG sont primordiaux pour Ardian, aussi bien en interne, vis-à-vis des collaborateurs, qu’en externe, dans le cadre de nos investissements. En tant que financier, cet impératif de responsabilité et de “soutenabilité” met la dimension d'intérêt général au coeur de notre pratique d'investisseur, au-delà de l’ambition purement économique.
Que penser du “bullshit greenwashing”? Le monde de la finance ne se donnerait-il pas bonne conscience en adoptant et communiquant des engagements prônant le développement durable?
Comme dans toute industrie, il y a des acteurs plus ou moins fiables, et malheureusement le marketing du “green” existe. Cependant, la prise en compte sérieuse des critères ESG par les investisseurs du non-coté est un vrai mouvement de fond. Si l’on regarde dix ans en arrière, on se rend compte que beaucoup de fonds ne comprenaient pas l’ESG à l’époque. Ce temps-là est révolu.
Comme dans toute industrie, il y a des acteurs plus ou moins fiables, et malheureusement le marketing du “green” existe
Chez Ardian, nous avons mis en place, depuis 2011, un monitoring de nos GPs sur ce sujet, et nous avons commencé à accompagner les entreprises de notre portefeuille dans leurs démarches ESG dès 2009. Chaque année, nous observons les progrès de nos GPs et de nos sociétés. Les démarches sont toujours plus fines et leurs résultats positifs sont concrets. Ils traduisent une accélération de la prise en compte des enjeux de développement durable et leur intégration croissante au coeur de métier des entreprises.
Quelles sont les informations que vous demandez aux GPs dans le cadre de votre activité de fonds de fonds?
Encore une fois, les pratiques ont évolué favorablement. La “due dil” ESG est devenue systématique. Les sociétés de gestion ont d’ailleurs de plus en plus de collaborateurs exclusivement dédiés à cette thématique. D’autres préfèrent sous-traiter l’ESG auprès de cabinets spécialisés mais internaliser l'expertise nous semble clé pour vraiment faire évoluer les pratiques. Chez Ardian, nous regardons à la fois ce que fait le fonds dans son rôle d’investisseur – du processus de sélection des entreprises, à la gouvernance, au reporting de l’impact ESG au Comex, notamment –, et ce qu’il fait pour sa propre organisation, en interne. On estime que les démarches engagées par les fonds, pour leur propre compte, sont de nature à révéler leur maturité sur ces sujets, et leur volonté de faire progresser l’écosystème du capital-investissement.
Comment un actionnaire professionnel, un acteur du private equity par exemple, peut-il influencer la décision d’une industrie, d’une entreprise, de porter davantage attention à tout un lot de critères extra-financiers? Peut-il aller jusqu’à refuser d’investir, ou désinvestir en cas de non-respect de critères de “soutenabilité”?
Le non-coté, par rapport aux marchés boursiers, s'inscrit dans un temps long. Les fonds de private equity peuvent décider d’investir dans une société, soutenir sa transformation ESG durant plusieurs années, y compris sur des chantiers qui prennent du temps à se matérialiser en termes financiers. Par exemple, les bénéfices d'une supply chain plus durable ne sont pas immédiats. Leur plus-value en matière de qualité, de sécurité, et de coût des approvisionnements peut mettre plusieurs années à s'apprécier.
Le non-coté, par rapport aux marchés boursiers, s'inscrit dans un temps long
Sans nul doute, certains dossiers ne se font qu’à la condition sine qua non d’une stratégie ESG. Dernièrement, nous avons été en négociations avec une société dans l'emballage plastique et le plastique recyclé. Lorsque l’équipe d’investissement nous a appelés, nous étions sceptiques. C’est en se concertant sur le sujet, et après une analyse approfondie de l'entreprise, que nous nous sommes mis d’accord sur cette prise de participation dès lors que le management, l'équipe d'investissement et notre département étaient alignés sur l’importance du plan de transformation à délivrer. A contrario, nous n’avons pas donné suite à des opportunités d’investissement dont les perspectives de développement ne correspondaient pas à notre ADN Sustainability.
En ce qui concerne la période de détention, de trois à sept ans en moyenne, nous travaillons en forte synergie avec nos équipes qui restent mobilisées aux côtés des dirigeants. Notre plan d’engagement mis en place avec l’entreprise prévoit la tenue formelle d’un rendez-vous annuel dédié avec ses dirigeants lors duquel sont passées en revue les améliorations en matière d’ESG. Tout cela s’ajoute aux interactions classiques entre les actionnaires et le management.
Quelles sont les mesures prises par Ardian en interne pour favoriser l’inclusion sociale et l’égalité des sexes notamment?
La question de la diversité et de l’inclusion sociale est un sujet majeur pour Ardian. Cet axe fait partie des priorités de notre programme Sustainability. En partenariat avec les ressources humaines du groupe, nous travaillons sur trois volets précis : parité, handicap et mobilité sociale. En l’occurrence, la mobilité sociale est un point, également appréhendé par la Fondation Ardian depuis 2010, mais nous avons décidé de renforcer notre engagement en l'intégrant au sein même de notre processus de recrutement. Le private equity est un milieu qui a longtemps vécu en vase clos. Dans notre développement futur, nous pensons que la diversité sera un facteur démultiplicateur de richesse, financière et extra-financière. Elle intensifiera notre ouverture sur une société civile elle-même très diverse.
Nous nous efforçons de conserver des profils féminins dans nos derniers tours de recrutement
Ardian a aussi rejoint l’Investor Leadership Network, un réseau de grands investisseurs nord-américains et européens, sur le segment de la diversité. L’objectif est de monter à 30 % de femmes en position de leadership & risk-taking. En effet, le sujet, au-delà d’attirer les femmes dans l’univers du private equity, est de bénéficier de leurs compétences à des postes décisionnels. Concrètement, nous nous efforçons de conserver des profils féminins dans nos derniers tours de recrutement. Pour les collaborateurs, nous sommes particulièrement attentifs à l'égalité de traitement en termes de promotion et de rémunération. Favoriser des conditions de travail compatibles avec la parentalité est aussi essentielle pour accompagner les femmes dans leur carrière. De même que l'imaginaire : nous organisons aussi des sessions sur les biais de perception erronés, les mauvaises représentations que l’on peut avoir sur les sujets de diversité.
Qu’en est-il de l’initiative Carbone 2020 qui avait été lancée par plusieurs fonds français afin d’accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de la construction de leurs portefeuilles?
Il s’est passé beaucoup de choses depuis le lancement de cette initiative et l’objectif 2020 a été reconduit. Alors que ce programme ne concernait initialement que quelques GPs français, et se concentrait uniquement sur la thématique du carbone, nous l’avons étendu à d’autres pays et rattaché à la problématique plus générale du climat – qu’il s’agisse de biodiversité, de transition énergétique, etc.. Aujourd’hui, 37 sociétés de gestion ont rejoint cette initiative en France, et au niveau international, les PRI l’ont “endorsé” car celle-ci était la seule à offrir une approche Climat adaptée au monde du non-coté. Le déploiement poursuit ainsi son cours, et des GPs britanniques, néerlandais et américains regardent déjà nos travaux avec beaucoup d’intérêt.
Propos recueillis par Firmin Sylla