La France accroît son contrôle sur les investissements étrangers
Ce mercredi, la France a emboîté le pas à de nombreux pays européens en renforçant le contrôle des investissements étrangers dans le pays. Pour ce faire, Bercy a opté pour une double dose de protectionnisme règlementaire. Dans un premier temps, Bruno Le Maire a annoncé que le décret sur les investissements étrangers en France serait renforcé en incluant toutes les biotechnologies. "Ce sont plusieurs milliers d'entreprises qui participent à la recherche sur les vaccins contre le Covid, par exemple. Il faut impérativement protéger ce savoir-faire français", a insisté le ministre de l'Économie. L'arrêté, publié au Journal Officiel aujourd'hui, intègre le secteur des biotechnologies à la liste des secteurs d’activité dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable, tels que la défense, l'énergie, l'eau, l'espace, les télécoms, les transports, la santé publique, l'alimentation et les médias. Par ailleurs, le seuil de contrôle des investisseurs étrangers sera abaissé de 25 % à 10 % de détention des droits de vote d'une entité de droit français. Une mesure qui durera jusqu'à la fin de l'année 2020.
Bruno Le Maire n'a pas caché l'intention de Bercy de protéger les entreprises tricolores jugées stratégiques. Nombre d’entre elles ont vu leur valorisation fragilisée par la crise du Covid-19 et se retrouvent face à un risque de prise de participation étrangère et, notamment, d'OPA hostile. "C'est un renforcement massif de nos capacités de contrôle sur les investissements étrangers, sur nos technologies, nos entreprises et nos savoir-faire", a annoncé le ministre. "Dans cette période de crise, certaines entreprises sont vulnérables, certaines technologies sont fragilisées et pourraient être rachetés à bas prix par des compétiteurs étrangers. Je ne laisserai pas faire et c'est le sens du renforcement de ce décret sur les investissements étrangers en France."
Un renforcement constant depuis 2014
En décembre dernier, dans le cadre de la loi Pacte, le gouvernement a déjà renforcé son dispositif de protection des entreprises nationales agissant sur des secteurs stratégiques. Le seuil de participation déclenchant le contrôle avait été alors abaissé de 33,33 % à 25 % des droit de vote d'une entreprise française visée par un rachat étranger. De nouveaux secteurs étaient également entrés dans le champ du contrôle : la presse écrite et les services de presse en ligne d’information politique et générale, la sécurité alimentaire, le stockage d’énergie et les technologies quantiques.
C'est le souvenir douloureux du rachat de la branche énergie du groupe Alstom par le conglomérat américain General Electric en 2014 qui avait poussé le gouvernement à élargir les secteurs contrôlés à l'énergie, à l’eau, aux transports, aux télécoms ou à la santé, en plus des traditionnels domaines de la défense ou des technologies de l'information.
La Commission européenne tire la sonnette d'alarme
Fin mars 2020, la Commission européenne a, dans ses orientations, invité les États membres de l'Union européenne à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les actifs et technologies stratégiques contre les investissements étrangers susceptibles de menacer des objectifs légitimes de politique publique. L'objectif clairement affiché est de préserver les entreprises et les actifs critiques de l'Union européenne, notamment dans des domaines comme la santé, la recherche médicale, la biotechnologie et les infrastructures, essentielles à la sécurité et à l'ordre public. Sans pour autant compromettre l'ouverture générale de l'Union aux investissements étrangers.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déclaré à ce sujet : "Si nous voulons que l'Europe sorte de cette crise aussi forte qu'elle y est entrée, il importe de prendre, dès à présent, des mesures conservatoires. Comme dans toute crise, lorsque les actifs de nos industries et de nos entreprises sont mis à rude épreuve, il nous faut protéger notre sécurité et notre souveraineté économique. Le droit de l'Union et les législations des États membres prévoient les outils dont nous avons besoin pour faire face à cette situation, et j'invite instamment les États membres à en faire pleinement usage. L'Union est un marché ouvert aux investissements directs étrangers et le restera. Cette ouverture n'est toutefois pas inconditionnelle."
L’Europe se protège
La France a été précédée par de nombreux pays européens dans la mise en place de stratégies de protection des secteurs clefs. En avril, l'Italie a notamment ajouté la finance et les assurances aux secteurs soumis au contrôle du gouvernement et a abaissé le seuil de contrôle jusqu'à 5 % du capital pour une partie de ses entreprises. L'Allemagne, qui a déjà revu son seuil de contrôle fin 2018 à 10 %, exige, à la suite de la pandémie, un droit de regard sur le rachat d'acteurs du secteur de la santé. Le gouvernement espagnol a lui aussi renforcé sa règlementation des investissements étrangers en étendant la vigilance à toutes les acquisitions de plus d'un million d'euros faites par des investisseurs contrôlés à plus de 25 % depuis un État situé hors du territoire. Outre-manche, le Royaume-Uni réfléchit aussi au renforcement de ses barrières pour empêcher des investisseurs étrangers de prendre le contrôle d'entreprises stratégiques.
De l'autre côté du globe, les inquiétudes sont toutes autres pour un des pays implicitement visés par ces mesures de protection. La Chine, qui se remet à peine de la pandémie et souhaite renforcer son attractivité, a déclaré qu'elle apporterait un soutien renforcé aux investisseurs étrangers dans son pays.
Alors que la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (Cnuced) dans ses dernières projections estime que la baisse des investissements directs étrangers pourrait être de 30 % à 40 %, tout l'enjeu des gouvernements sera d'équilibrer la protection nationale sans faire fuir les investissements étrangers. Un atout à ne pas négliger pour la relance économique mondiale.
Béatrice Constans