Christine Lagarde, la révélation dans la crise
L’exercice avait quelque chose du baptême du feu. Lorsque, ce 12 mars, Christine Lagarde prend la parole en pleine crise du Coronavirus, alors que la panique qui a gagné les marchés fait dévisser les Bourses européennes, que les entreprises sont en quête de réassurance et les places monétaires, de stabilité et que, partout, le krach économique est annoncé, il y a urgence. La présidente de la BCE doit ramener le calme.
Pour y parvenir, elle dispose de tout un arsenal de mesures techniques destinées à adresser un message fort de soutien aux banques comme aux acteurs économiques. Pas de l’affichage, du concret et du solide, commenteront plus tard les observateurs. Pourtant, l’opération va virer au fiasco et, au lieu de produire l’effet attendu, accroître encore l’incertitude des marchés lesquels, déjà violemment chahutés, auront perdu quatre points supplémentaires à la fin de son intervention. En matière de réassurance, on a déjà vu plus efficace. Et en termes de démonstration de force, plus convaincant.
De l’"erreur de communication" …
À l’origine de ce raté, une formule malencontreuse donnant à penser que la BCE entendait renvoyer l’essentiel de la gestion de la crise à la responsabilité des États… Au moment où c’est précisément l’inverse, l’idée d’une Banque centrale protectrice, capable d’intervenir en dernier recours et de stabiliser l’édifice européen, qui était attendue, l’effet est désastreux. Rapidement les critiques affluent. La Deutsche Bank, parle d’"erreur de communication importante", l’Élysée, de "décisions insuffisantes", du côté de Matteo Renzi, "de réponses bureaucratiques" …
Face au feu nourri des attaques, Christine Lagarde réagit sans attendre, improvisant le jour même une interview dans laquelle elle s’emploie d’abord à corriger le tir puis renverse littéralement la tendance en annonçant la création d’un outil sur mesure : le PEPP, pour Pandemic Emergency Purchase Program ou Programme d’achat urgence pandémique. Un intitulé qui, à lui seul, résume l’ambition, à la mesure de la crise sanitaire et de ses enjeux économiques et financiers.
… à la "décision historique"
Cette fois, plus question d’interférence de nature à brouiller la portée du message ou de risque, pour la BCE, de se voir reprocher une réponse déconnectée des "besoins en liquidités" des marchés. Avec le PEPP, c’est une enveloppe de 750 milliards d’euros que la Banque centrale vient de débloquer à destination des entreprises et des États. Soit, ajoutée aux mesures précédemment annoncées, un total de 1 000 milliards d’euros destinés, sur l’année en cours, au rachat de dette privée et publique…
Pour nombre d’économistes, le lancement d’un tel dispositif relève de la "décision historique". Non pas uniquement en raison du montant annoncé mais aussi en raison de ses modalités de fonctionnement élargies aux entreprises non financières, et à la Grèce via un assouplissement temporaire des critères de risque de crédit. Autres leviers déployés pour stabiliser le navire européen dans la tempête : les critères d’éligibilité des collatéraux mobilisés par les banques pour se refinancer auprès de la BCE se voient assouplis jusqu’à autoriser des prêts aux PME, tout comme certaines exigences en matière de ratios de capitaux et de liquidité de manière à ne pas priver l’économie de liquidités pendant la crise.
La BCE a finalement tout mis en œuvre pour assurer la stabilité du système financier et apporter son soutien à tous les agents économiques : individus, familles, entreprises, banques et États
De quoi, donc, ramener le calme sur les marchés obligataires et faire repartir les cours des Bourses européennes à la hausse. Et de quoi, au passage, hisser Christine Lagarde au rang d’acteur clé de la lutte contre la crise du Covid-19 qui, à travers son action rapide et concrète, aura contribué à l’effort de guerre en réaffirmant la vocation "d’ultime prêteur" de la BCE. Tout comme, ne manqueront pas de souligner nombre d’observateurs, Mario Draghi avant elle ; son prédécesseur qui, lors de la crise monétaire de 2012, avait eu recours au même type de mesures d’urgence pour sauvegarder l’économie européenne et déclaré que la BCE saurait calmer les marchés et sauver la monnaie unique "quoi qu’il en coûte".
Coup de maître
Un "whatever it takes" devenu célèbre que Christine Lagarde aura su s’approprier en quelques jours, faisant taire ceux qui, en dépit de son cursus et de son expérience, continuaient à voir en elle, sinon une erreur de casting, du moins une étrangère au sérail ; la première à accéder à la présidence de la BCE tout en étant dépourvue de formation d’économiste et aussi peu familière de la gestion de crises financières que du monde des banques centrales… Pour l’ex-directrice du FMI, aucun doute, la séquence aura eu un effet de révélateur dont elle sort grandie.
"La BCE a finalement tout mis en œuvre pour assurer la stabilité du système financier et apporter son soutien à tous les agents économiques, à savoir : individus, familles, entreprises, banques et États", résumaient ainsi il y a quelques semaines les experts de Revue-Banque pour qui, aucun doute, sa présidente réalise là "un coup de maître". Adaptant le rôle de la BCE de manière à ce que celle-ci soit en mesure d’apporter un soutien sans faille aux entreprises et aux États de l’union monétaire et, ce faisant, se montrant à la hauteur des enjeux financiers et économiques suscités par la crise. Si le résultat de cette stratégie demeure impossible à garantir compte tenu de l’absence de visibilité liée à la période, la volonté politique qui l’accompagne semble, elle, avérée. D’autant plus depuis que l’ex-ministre des Finances française a entrepris de multiplier les appels à la solidarité européenne, répétant à longueur d’interviews que, au vu de l’ampleur de la crise, de son caractère inédit et de ses effets désastreux sur l’économie, il serait impensable d’espérer l’affronter en faisant cavalier seul. "Pour y faire face, les gouvernements européens doivent être côte à côte pour déployer ensemble des politiques face à un choc commun", déclarait-elle il y a peu avant d’ajoute0 : "Si tous les pays ne se relèvent pas, d'autres en pâtiront. En se montrant solidaire, on sert nos propres intérêts. Un discours sur mesure pour celle qui, il y a quelques mois, affirmait vouloir imprimer son "style" à la tête de l’institution, affirmant à ce sujet qu’elle n’était "ni faucon ni colombe", mais plutôt "chouette", en référence à la sagesse supposée du volatile.
Caroline Castets