Les pandemic bonds au secours des pays pauvres
Après les effets dévastateurs d’Ebola, la Banque mondiale avait émis des obligations pandémie, qui ont permis de récolter 320 millions de dollars en juillet 2017. L’objectif ? Lever des fonds auprès d’investisseurs privés afin d’être en mesure de déployer rapidement d’importants moyens financiers en cas de crise sanitaire. L’institution a fait savoir que le dernier critère requis pour activer le paiement de ce dispositif a été rempli, à savoir un taux de croissance exponentiel des infections de Covid-19 dans des pays éligibles aux fonds.
Un système assurantiel
Les pandemic bonds fonctionnent comme une assurance, à l’image des cat bonds, obligations nées dans les années 1990 aux États-Unis pour couvrir les risques liés aux catastrophes naturelles. Si une pandémie se déclare, les investisseurs perdent leur mise, intérêts et principal, et les fonds sont versés aux pays les plus pauvres de la planète. À l’inverse, si aucune crise sanitaire ne se produit, ils perçoivent des intérêts de 6,5 % à 11 % par an, de la part des pays contributeurs – l’Allemagne, le Japon et l’Australie – jusqu’à l’échéance de l’obligation, le 15 juillet prochain, date à laquelle ils récupèreraient leur mise. Des investissements très rentables sur le papier au regard de l’environnement de taux actuel. Les souscripteurs, dont Baillie Gifford, Amundi and Stone Ridge Asset Management, ont d’ores et déjà reçu plus de 100 millions de dollars d’intérêts à fin février, selon le Financial Times.
Non cotées en bourse, les obligations pandémie, sont négociées de gré à gré. Il n’est donc pas possible de connaître leur valeur actuelle ni leurs détenteurs. Elles se répartissent en deux classes. La tranche A, rémunérée à 6,5 % avec une perte limitée à 16,7 % du capital, réunit 225 millions de dollars pour couvrir les grippes dont le coronavirus. La tranche B, plus risquée car sans plafond de perte en capital, paie un taux de 11 % et comprend 95 millions de dollars pour les coronavirus et Ebola. L’aspect vertueux mis en avant par les marchés réside dans l’incitation pour les souscripteurs à investir dans le domaine de la santé pour éviter une crise sanitaire lorsqu’un risque de pandémie augmente. Néanmoins, ce dispositif ne fait pas l’unanimité.
Un instrument financier critiqué
De nombreuses voix s’élèvent contre les rendements élevés proposés aux investisseurs par rapport aux besoins des pays en proie à la crise du coronavirus. "Les montants qu’ils paient sont de la petite monnaie en comparaison de ce que la Banque mondiale a déjà payé. 130 millions de dollars, ce n’est rien maintenant que nous faisons face à une crise systémique", rapporte au Financial Times Clare Wenham, professeur adjoint en politique de santé mondiale à la London School of Economics.
Les critères, extrêmement stricts, font également débat. Un certain nombre de morts et une vitesse de propagation du virus sont nécessaires au déclenchement du versement des aides. Le prospectus de 396 pages détaille qu’il faut 2 500 morts dans un pays et 20 dans un autre, ou un minimum de 250 victimes dans au moins un pays émergent et un certain niveau contamination selon la classe d’obligation, et ce dans un délai de douze semaines après la publication du premier rapport de l’OMS. L’ancien chef économiste de la Banque mondiale, Lawrence Summers, a d’ailleurs qualifié cette obligation de "maladresse financière" et "d’erreur embarrassante".
L’institution basée à Washington s’est défendue en précisant que ces obligations n’étaient qu’un outil parmi l’arsenal à sa disposition pour protéger des pandémies les nations les plus pauvres. Elle a par ailleurs promis 14 milliards de dollars pour aider les pays à lutter contre l’épidémie.
Un déploiement qui reste à préciser
Les nations faisant état d’un certain nombre de victimes et éligibles au financement de l’Association internationale de développement (IDA), branche de la Banque mondiale dédiée aux pays les plus pauvres, vont donc recevoir 132,5 millions de dollars. Le comité de supervision des fonds déterminera dans les prochains jours les pays bénéficiaires ainsi que les modalités de versement.
Anne-Gabrielle Mangeret