O. Sichel (Banque des territoires) : "Nous voulons combler les trous dans la raquette"
Décideurs. Comment la Banque des territoires fonctionne-t-elle malgré la crise ? Quelles ont été vos priorités ?
Olivier Sichel. Dans un premier temps, nous avons mis le personnel à l’abri pour assurer la santé de nos collaborateurs. Tout le monde est passé en télétravail. Nous avions beaucoup investi dans le digital et nos systèmes sont opérationnels. Nous devions être au rendez-vous, nous montrer à la hauteur de notre mission.
Il a fallu assurer le financement de la Sécurité sociale, qui se retrouvait avec des fonds à débourser alors que les rentrées d’argent étaient plus faibles, compte tenu des reports de charges.
Nous avons également dû intervenir auprès de nos clients les plus touchés. Je pense aux professions juridiques réglementées, qui sont très souvent de petites entreprises. Les notaires n’enregistraient plus de transactions. Avec le Conseil national du notariat, nous avons mis en place une enveloppe de 500 millions d’euros pour les besoins de trésorerie ainsi que des reports d’échéance de prêts.
Depuis le début de la crise, vous avez annoncé un certain nombre de plans de financement en partenariat avec les régions. Expliquez-nous.
Les régions mettent en place, avec notre concours, des fonds de solidarité pour les petites entités (TPE, clubs sportifs, associations etc.), qui ne sont pas concernées par les prêts garantis par l’État. Nous voulons combler les trous dans la raquette. Si les moyennes et grandes entreprises ont une relation établie avec leur banque commerciale, cela est souvent bien moins le cas pour les petites structures. La première initiative est venue de Jean Rottner dont la région Grand Est est touchée durement par la crise. Dans le cadre de ce plan de 44 millions d’euros, la région et la Banque des territoires avancent de petits montants de trésorerie pour les TPE – 5 000, 10 000, 15 000 euros par exemple.
Cette initiative a été suivie par les régions Pays de la Loire, Sud et Nouvelle-Aquitaine. Chacune essaie de cibler les outils qui lui semblent être les plus efficaces en fonction des dispositifs régionaux. Les fonds actés représentent aux alentours de 150 millions d’euros et pourraient facilement être doublés.
En parlant de financement, d’où viennent les ressources de la Banque des territoires ? La crise peut-elle les impacter ?
Nos fonds reposent sur deux sources : d’une part, les dépôts des notaires pour à peu près 34 milliards d’euros, et d’autre part le livret A – dont les dépôts remontent à la CDC et sont utilisés par la Banque des territoires – qui représente une ressource stable d’environ 184 milliards d’euros.
C’est grâce à ces ressources que nous finançons à parité les fonds de solidarité avec les régions. Par exemple, pour celui du Grand Est, la région abonde à hauteur de deux euros par habitant, ce qui représente 11,9 millions. Nous avons investi la même somme. Les autres fonds sont construits sur le même modèle. Les départements et les communes qui le souhaitent peuvent participer. Dans la Vienne, ils ont par exemple triplé la mise.
Ces différents fonds financent les petites structures. Même si le taux de sinistralité devait être important et que ne nous récupérions pas forcément cet argent, c’est parfaitement assumé car c’est notre rôle.
Cela ne pose-t-il pas de problème ?
Notre savoir-faire consiste à prendre des enveloppes de risques au moment où cela est nécessaire pour le pays et de placer, dans des poches plus solides, une autre partie des fonds. C’est toute l’utilité d’une banque d’intérêt général : prendre un risque que les autres établissements financiers ne prendraient pas mais sans mettre en péril l’épargne des Français. Ce qui nous aide, c’est de faire des paris de très long terme qui nous permettent de sortir dans les bonnes phases de marché.
"Même si le taux de sinistralité des petites entités devait être important et que nous ne récupérions pas forcément cet argent, c’est parfaitement assumé car c’est notre rôle"
Hormis les initiatives coordonnées, quelles sont les actions propres à la Banque des territoires ?
Nous avons vocation à être contracyclique. C’est-à-dire qu’actuellement, alors que nous sommes en bas de cycle, nous envoyons des signaux positifs au marché sur l’économie. Malgré la crise, nous nous engageons, par exemple, sur la deuxième tranche de financement du Futuroscope. Nous apportons 10 millions d’euros sur les 100 millions, le reste étant de la dette.
En outre, à travers CDC Habitat, nous nous engageons à commander 40 000 logements en sortie de crise. Nous avons déjà reçu 32 000 manifestations d’intérêt de la part des promoteurs et constructeurs pour les appels à projet lancés.
Le 6 mars, vous annonciez une association avec le Festival d’Avignon et le Groupe Fiminco pour développer son offre numérique et valoriser son patrimoine. Qu’advient-il de ce type de projets ?
Tout notre rôle d’accompagnement de l’événementiel est mis en sommeil du fait du confinement. Nous essayons de soutenir les manifestations dont nous sommes partenaires et repoussons à l’an prochain les projets de 2020.
Vous étiez investis dans la transition énergétique. La crise remet-elle en cause votre cap ?
Nous réfléchissons au plan de relance de la sortie de crise. La transition écologique et environnementale va être clé dans le processus. Sur 1,4 milliard d’euros investis par la Banque des territoires l’an dernier en equity, 644 millions avaient trait aux énergies nouvelles renouvelables (parcs photovoltaïques, éoliennes offshore, etc.). L’autre volet concerne la rénovation thermique des bâtiments. Sur la partie logements sociaux que nous gérons, les habitations répondent déjà souvent à des normes exigeantes. Durant la sortie de crise, il faudra sûrement mettre davantage l’accent sur d’autres types de bâtiments publics – gymnases, piscines, etc. – voire sur le privé. Nous devons réfléchir à la manière de financer la rénovation thermique dans la perspective de l’intérêt général.
"Il serait criminel de ne pas prendre en compte les leçons de la crise"
Votre plan stratégique est-il appelé à évoluer ?
Une nouvelle phase s’ouvre pour nous : préparer le monde d’après, définir notre contribution au plan de relance et à la reconstruction des territoires post-Covid. Plusieurs choses vont changer. Nous avons un rôle à jouer dans le financement du secteur médico-social. Bien que nous y soyons déjà investis, la crise met à jour des besoins tant pour les hôpitaux que pour les Ehpad. Il va nous falloir apporter de nouvelles idées et des financements supplémentaires. Par exemple, nous sommes présents dans le logement social. Or, la question du logement du personnel soignant ressort actuellement et va nécessiter des réponses.
Par ailleurs, le monde entier découvre les vertus du télétravail. Les habitudes des Français évoluent. Est-ce que demain, certains d’entre eux ne vont pas souhaiter installer leur résidence principale en périphérie de métropole ? Comment la Banque des territoires doit-elle accompagner, voire favoriser, ce mouvement ?
Enfin, une autre problématique se pose : celle de notre souveraineté industrielle, qui passera par des relocalisations. Diminuer notre dépendance à d’autres pays passe également par la diversification des sources d’approvisionnement. Il serait criminel de ne pas prendre en compte les leçons de la crise.
Que peut faire la Banque des Territoires sur le sujet de la souveraineté ?
Mercredi 15 avril, sous l’impulsion de Jean Rottner, nous avons présenté avec la région Grand Est une société d’économie mixte. Celle-ci a vocation à importer, stocker et distribuer – en fonction des règles fixées par l’État – des tests de Covid-19. À terme, la région Grand Est produira pour ses propres besoins. Si notre dépendance aux masques chinois est déplorée, soyons au moins capables de nous doter de nos propres structures pour les tests. Cette société mixte demande peu de financements. Nous dépenserons les 5 millions d’euros prévus une fois les tests homologués. En attendant, nous nous mettons en situation d’anticiper pour accompagner ce type de projets avec les régions, en appui de l’État sur les filières nationales qui l’exigent.
Propos recueillis par Olivia Vignaud