A. Coury (CNAM) : "L’usager doit devenir acteur de ses données de santé"
Décideurs. Quels constats votre rapport « Stratégie de transformation du système de santé » en vue d’accélérer le virage numérique, et remis au gouvernement en septembre 2018, pointait-il ?
Annelore Coury. Notre rapport pointait deux problématiques majeures à résoudre en vue d’améliorer notre système de santé : en premier lieu, l’usager était oublié du virage numérique et avait un rôle très passif dans la construction de son parcours de soins ainsi que dans l’appropriation de ses données de santé. Par ailleurs, les professionnels de santé étaient confrontés à une offre morcelée du numérique qui rendaient complexes les usages dans leur vie quotidienne.
Nous avons également pointé que le déploiement des outils numériques de base était incomplet, notamment du fait de l’absence de référentiel et d’interactions entre les différents logiciels occasionnant des ruptures sur le terrain, d’un DMP [dossier médical partagé, Ndlr] insuffisamment déployé sur le territoire et d’une MSS [messagerie sécurisée de santé, Ndlr] à développer. Cette situation parfois chaotique a occasionné de vraies difficultés sur le terrain, car il arrivait que les outils numériques se fassent concurrence entre eux.
En matière de numérique, la vision de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, était claire : déployer une vraie stratégie nationale pour obtenir une architecture cible permettant de mener des projets cohérents et éviter la dispersion des moyens. Comment ? En renforçant et clarifiant la gouvernance de l’e-santé et en rassemblant tous les acteurs autour de cette stratégie.
Autre gros chantier identifié : celui du renforcement de la sécurité et de l’interopérabilité des systèmes d’information. Rappelons-le, « Ma santé 2022 » reflète la volonté du gouvernement d’engager une transformation profonde de notre système de santé avec, notamment, un travail sur l’organisation des soins de proximité et des différents parcours de soins.
Où en êtes-vous aujourd'hui ?
L’objectif aujourd’hui est de mettre en place une gouvernance forte et de commencer à construire, dans une stratégie globale, tous les éléments qui permettent d’aboutir à un système numérique qui réponde enfin aux problématiques des professionnels de santé. Nous devons aujourd’hui aller au bout du déploiement des outils de base, comme l’a d’ailleurs rappelé Agnès Buzyn en avril dernier, notamment en généralisant l’application « Carte vitale ». Nous avons ainsi lancé deux projets pilotes en région (Rhône et Alpes-Maritimes) pour travailler à la généralisation de cette application, en vérifiant principalement l’accès en ligne des droits des patients et en s’assurant que le processus du professionnel intègre l’utilisation d’un mobile par le patient. La généralisation de cette application logicielle est prévue en 2021.
L’autre priorité est d’accélérer le déploiement du DMP. Celui-ci répond au besoin des professionnels de santé de disposer, au travers d’un coffre-fort électronique sécurisé, de toutes les informations utiles sur un patient, et cela très rapidement. Il s’agit d’un outil d’échange d’informations dont la vocation est de permettre une meilleure prise en charge des patients. Ce chantier est en cours de déploiement en France et, à la mi-septembre, nous avons dépassé les 7 millions de DMP ouverts, un résultat très encourageant. Autre signe prometteur observé sur le terrain : les médecins généralistes et les établissements de santé commencent à l’alimenter quotidiennement donc à se l’approprier.
À compter du 1er juillet 2021, le DMP sera ouvert à l’ensemble de la population. Seuls les réfractaires auront la possibilité de ne pas en avoir, toutefois ils devront se faire connaître pour que leur refus soit pris en compte.
"À compter du 1er juillet 2021, le DMP sera ouvert à l’ensemble de la population"
Nous devons également accélérer en matière d’e-prescription. Aujourd’hui, 1 milliard de prescriptions dont 500 millions de prescriptions de médicaments sont réalisées chaque année. Le problème, lorsqu’un médecin prescrit un traitement, celui-ci n’a aucun moyen de savoir si son patient s’est bien rendu à la pharmacie chercher ses médicaments. Quant au pharmacien, il n’a, lui non plus, aucun moyen de vérifier rapidement la posologie ou le médicament en cas de doute. L’idée est donc de leur faciliter les choses pour améliorer la prise en charge et fluidifier le partage des informations.
Comment cela fonctionne-t-il ?
La prescription du médecin sera enregistrée dans une base anonymisée et le pharmacien aura accès aux informations, après avoir récupéré le numéro de prescription via un QR Code présent sur l’ordonnance papier apportée par le patient. Médecins et pharmaciens pourront donc ainsi partager les informations de prescription et de délivrance. L’expérimentation menée actuellement dans trois départements fait suite à une première étude, en 2017, destinée à identifier les éventuels freins et leviers d’amélioration. Nous ferons un bilan fin 2019 avant de généraliser l’e-prescription.
Autre mesure phare du ministère de la Santé : l’espace numérique de santé (ENS). Quel en est l’objectif ?
L’objectif de cet espace numérique de santé (ENS) est de compléter le DMP avec une plateforme numérique personnelle et personnalisable permettant au patient d’échanger avec les professionnels de santé, d’avoir accès à un agenda consolidé qui regrouperait tous ses rendez-vous médicaux et d’accéder à un magasin numérique d’applications référencées. L’objectif étant, encore une fois, que l’usager devienne véritablement acteur de ses données de santé.
Notre feuille de route pour accélérer le virage numérique est ambitieuse et se veut très pragmatique. Aujourd’hui, nous devons mettre en œuvre l’ensemble des mesures mais nous avons peu de temps pour le faire. Pour cela, nous collaborons étroitement avec le ministère de la Santé, la future agence de numérique en santé (ex-ASIP Santé) et les territoires.
Propos recueillis par Anne-Sophie David