Quand les banques incubent leur futur
Le secteur de la fintech compte près de 30 licornes au niveau mondial. Et des dizaines d’autres jeunes pousses ne demandent qu’à rejoindre ce club fermé. L’objectif de ces acteurs partis à la conquête du monde ? Disrupter les banques traditionnelles. Pour survivre, celles-ci n’ont pas le choix : elles doivent faire preuve d’agilité et d’inventivité. Pas toujours évident pour des groupes parfois plus que centenaires, comptant bien souvent des centaines de milliers de collaborateurs. Dans l'Hexagone, trois banques semblent avoir trouvé la parade : miser sur des incubateurs de start-up. Un système qui contente groupes traditionnels et jeunes entrepreneurs. L’Hexagone est particulièrement dynamique en la matière. Focus sur trois incubateurs aux méthodes différentes.
Platform58, donner du temps à la fintech
Pour La Banque postale, la course contre la montre est enfin terminée. Dotée d’une direction de l’innovation depuis 2006, ce n’est qu’en février 2019 qu’elle décide d’ouvrir son propre incubateur. En treize ans, le marché s’est modifié avec l’arrivée d’acteurs de poids comme Amazon, Apple ou la plateforme N26 qui bouleversent les usages. La création de Platform58 vient donc dynamiser l’acculturation au numérique du groupe qui avait pris du retard sur le sujet. "On demande aux entrepreneurs incubés de nous consacrer une journée par mois pour nous aider dans notre transformation digitale, explique Fabien Monsallier, directeur de l’innovation de La Banque postale et responsable de Platform58. Les masterclass sur l’innovation pour nos salariés sont en bonne partie animées par les fondateurs des start-up de notre incubateur. Ils ont une vraie crédibilité pour parler de prise de risque, de disruption ou de travail en mode collaboratif."
En contrepartie, les projets retenus par Platform58 obtiennent un engagement assez rare. "Le contrat usuel dans un accélérateur est de trois à six mois. Il faut plus de temps pour faire décoller une start-up, trouver le bon business model, développe Fabien Monsallier, qui choisit d’accompagner les structures sur une année complète, et bien au-delà. Si une start-up quitte notre programme, elle pourra toujours bénéficier de nos savoir-faire. Le temps et l’accompagnement ont au moins autant de valeur que l’argent." La stratégie est payante : Platform58 donne naissance à la pépite Kriptown dirigée par Mark Kepeneghian. Une plateforme où les internautes ont la possibilité d’acheter des parts de société sous forme de tokens. Une fois la levée terminée, un second marché se crée et les titres émis retrouvent de la liquidité. Une avancée pour les PME et ETI, qui voient souvent leur développement entravé par ce manque de liquidités.
BNP Plug and Play, cap à l'international
En s’associant depuis 2017 à Plug and Play, un réseau d’incubateurs présents dans une trentaine villes dans le monde, BNP Paribas souhaite désenclaver son innovation. Hélène Mouly, responsable du programme d’accélération installé à Station F, s’enthousiasme de ce foisonnement international. "Lors de notre sélection devant un jury, nous comptons environ 35 % de structures américaines et 25 % de françaises. Nous attirons également des start-up venues d’Israël, un pays très dynamique dans le secteur de la tech."
Le rythme de BNP Paribas Plug and Play est soutenu. Après la définition des besoins de la banque par ses départements internes, les start-up retenues, huit à dix tout au plus, sont accompagnées trois mois durant dans l’optique d’une industrialisation de leurs projets. "En moyenne, sont investis 20 000 euros dans la production d’un prototype, une proof of concept. Jusqu’à maintenant, nous avons accéléré 36 start-up ; 35 % des pilotes passent en phase d'industrialisation", se réjouit Hélène Mouly. Ce laboratoire porte des enjeux décisifs pour le groupe financier : alors que les acteurs traditionnels du secteur voient leurs services et leurs produits disruptés par les nouveaux entrants, l’innovation est primordiale pour que BNP Paribas reste concurrentielle et parvient à séduire les digital natives.
L’Envolée, l’outsider social
C’est à quelques encablures de la basilique Saint-Denis que L’Envolée, l’incubateur du Crédit coopératif, a pris ses quartiers depuis février dernier. Ici, on est loin de l’image d’Épinal de la start-up nation avec des open spaces saturés de bruit et d’idées. Un calme olympien règne dans des locaux flambant neufs, accueillant, tout au plus, dix projets et leurs équipes. "En Île-de-France, la plupart des incubateurs sont situés à Paris. En s’implantant en Seine-Saint-Denis, le premier département francilien créateur d’entreprises, nous cherchions à toucher une autre catégorie de start-up, plus en accord avec nos engagements dans l’économie sociale et solidaire", argumente Anne-Laure Reynier, à la tête de L’Envolée. Elle qualifie sa structure d’outsider dans le domaine bancaire mais aussi d'acteur durable par excellence."Le premier critère de sélection à L’Envolée, c’est l’inclusion sociale. On ne cherche pas la licorne de demain. Le futur Uber ne sera pas accueilli chez nous."
Plus que la tech, la défense de l’ESS est le credo de L’Envolée. "Nous proposons un accompagnement pour ceux qui font autre chose, qu’il s’agisse d’entreprises innovantes ou plus traditionnelles." "Autre chose" comme MyPocket, une solution de porte-monnaie dématérialisé pour les migrants. Cette start-up offre, contre un forfait initial de zéro euro, un RIB, une carte de paiement international et une application de gestion de compte depuis un smartphone, terminal indispensable pour activer toutes ces solutions. Comme pour chaque projet, le suivi est dispensé par un mentor, un salarié du groupe Crédit coopératif. Dans le cas de MyPocket, il prend de facto une dimension plus militante. "Imad Tabet, qui est à la direction des particuliers, est le mentor de MyPocket. Il a emmené son gérant, Arnaud Jacquin, à la Délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement (Dihal) pour savoir comment donner légalement accès à un compte bancaire aux sans-papiers qui arrivent sur notre territoire."
Si les valeurs de L’Envolée mêlent, de façon assez inédite, celles de la banque et de l'ONG, elles remettent en lumière le nécessaire besoin de renouveau de tous les acteurs financiers. La quête de la masse critique de clients, les opérations de fusions-acquisitions pour gagner en taille et en marchés, etc., leur a peut-être fait artificiellement oublier que l’innovation est le nerf de la guerre commerciale. Avec les incubateurs, les banques reprennent contact avec le réel.
Nicolas Bauche